L’Âge d’Or de la comédie musicale égyptienne

#7 : Le film de bédouins

Dossiers • Publié le 13/08/2018 par

#1 : Introduction
#2 : Les chanteuses à la voix d’or
#3 : Mohamed Abdelwahab, le chanteur des rois et des princesses
#4 : Farid Al Atrache, le chanteur au coeur triste
#5 : La fabuleuse Samia Gamal
#6 : La farce musicale
#7 : Le film de bédouins
#8 : Les chanteurs de charme

La vie dans le désert a servi de cadre à de nombreuses comédies musicales égyptiennes. Même dans des films d’auteurs plus réalistes, on retrouve souvent quelques numéros chantés ou dansés. C’est aussi l’occasion de mettre en valeur le riche patrimoine musical traditionnel arabe. Ce sont les frères Lama qui ont lancé ce genre dès 1928 avec Baiser dans le Désert (Kobla fil Sahra), et ont continué avec des films comme Marouf le Bédouin (Marouf al Badawi – 1935), Le Trésor Perdu (Al Kanz al Mafkoud – 1938) ou La Belle Bédouine (Al Badawiyah al Hasna – 1947).

 

KOUKA, la sultane du désert (1917-1979)


Cette brunette piquante aux traits orientaux a parfaitement incarné la bédouine traditionnelle telle que la décrivent poètes et écrivains : élancée, droite, généreuse, à la langue déliée, et bonne cavalière. On la retrouve dans plusieurs films d’aventures historiques comme Rabah (1943), où les compositions d’Abdul Hamid Abdel Rahman mettent bien en valeur le charme des mélodies bédouines. Vinrent ensuite Sultane du Désert (Soultanat al Sahra – 1947) et Wahiba, Reine des Bohémiens (Wahiba, Maliket el Gaghar – 1951), avec le populaire chanteur-compositeur Abdel Aziz Mahmoud. Dans La Brune du Sinaï (Samra Sinai – 1959), on peut aussi l’apprécier interprétant une « danse de l’épée » au rythme d’une chanson traditionnelle bédouine.

 

Tous ces films d’aventures sont réalisés par son mari, Niazi Mostafa, l’homme aux 150 films. C’est un cinéaste éclectique et touche à tout qui s’est forgé une spécialité dans les westerns bédouins. Il est surtout connu pour sa série des Antar et Abla (Antar wi Abla), qu’il inaugure en 1945. Le premier film remporte un vif succès (200 millions de dollars en deux ans), mais aujourd’hui, il reste malheureusement assez difficile à visionner.

 

L’affiche du film Sultane du Désert (1947)

 

Il s’agit de l’adaptation d’une épopée chevaleresque qui a pour héros le poète antéislamique Antar, fils de l’Émir de la tribu des Bani Abs et d’une esclave noire, qui vécut au VIème siècle. Antar tombe amoureux de sa cousine Abla, interprété par Kouka, mais à cause de ses origines et de la couleur de sa peau, le père d’Abla refuse leur union. Fameux pour ses talents poétiques autant que pour ses vertus guerrières, Antar est le héros du Hedjaz. Ses aventures sont très populaires dans le monde arabe et d’une renommée égale à celles du conte des Mille et une Nuits. Elles furent notamment une source d’inspiration pour le compositeur russe Rimski-Korsakov dans sa splendide deuxième symphonie, baptisée Antar.

 

Fortement imprégnées du folklore bédouin, les chansons du film sont composées par Mahmoud Bayrem Ettounsi, Abdel Halim Noweira et Mahmoud el Sherif, de grands spécialistes de l’art lyrique égyptien, qui ont régulièrement écrit pour d’autres films d’aventures de Kouka. Les plus beaux passages musicaux sont indéniablement les chants plaintifs qu’elle interprète en souvenir d’Antar parti au Yemen chercher mille chamelles rouges pour constituer la dot du mariage.

 

C’est là qu’il faut rappeler l’importance du scénariste, poète et compositeur Bayrem Ettounsi (1893-1961), surnommé « le roi du poème populaire ». D’origine tunisienne, il s’agit d’une forte personnalité qui a eu au début de sa carrière maille à parti avec la censure, autant égyptienne que française. Il est principalement connu des arabes pour ses compositions romantiques et nationalistes interprétées par Oum Kalthoum, mais on lui doit aussi un grand nombre de chansons écrites pour le cinéma. Sur les films de Kouka, il a notamment effectué d’importantes recherches sur les dialectes bédouins, pour obtenir des compositions musicales très fidèles aux chants des peuples nomades du désert.

 

Kouka dans Antar le Prince Noir (1961), interprétant La Fête du Bonheur

 

D’autres adaptations suivront comme Antar et la Conquête du Désert (Antar Yaghou el Sahara – 1960), toujours réalisé par Mostafa et composé par le fameux chanteur-compositeur Sayed Mekawi (1927-1997), mais les chansons restent un peu plus anecdotiques.

 

En 1961, Niazi Mostafa réalise Antar, le Prince Noir (Antar Ibn Shaddad), un remake en couleur du premier film de la saga avec un budget plus confortable. Le passage à la couleur heurte néanmoins la sensibilité de certains spectateurs qui trouvent le maquillage de l’acteur Farid Shawki, grimé en nègre, absolument ridicule, regrettant de ne pas avoir un acteur noir dans le rôle du chevalier du désert. Les chansons accrocheuses et rythmées sont composées par Ali Ismail, un compositeur très à l’aise dans le répertoire musical folklorique. On peut notamment relever la chanson La Fête du Bonheur, que Kouka interprète en compagnie d’un chœur de valeureux guerriers du désert qui s’apprêtent à partir au combat contre la tribu ennemie des Tamims. « C’est la fête de la victoire que méritent les hommes courageux. Que méritent ceux qui ont vaincus les ennemis. C’est la fête du Bonheur. Ô peuple ! (Go !) Fête de la Victoire ! Aujourd’hui (Yo !) et chaque jour. Restera à vous pour toujours. Restera et ne terminera jamais » (textes de Mahmoud Bayrem Ettounsi).

 

Ce personnage de bédouine héroïque collera tellement à la peau de l’actrice qu’elle aura l’occasion de le réinterpréter, au cours d’une représentation théâtrale, dans le mélo dramatique Un Verre et une Cigarette (Sigara wel Kas – 1955), toujours sous la direction de Mostafa.

 

Kouka décèdera des suites d’un cancer en 1974. Quand à Niazi Mostafa, il périra sept ans plus tard, assassiné dans des circonstances toujours non élucidées.

 

 

Julien Mazaudier
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