Jerry Goldsmith (1929-2004)

50 Maîtres de la Musique de Film

Portraits • Publié le 31/03/2023 par

UnderScores se propose de dessiner dans cette série les portraits de 50 maîtres de la musique de film, de la glorieuse génération des compositeurs hollywoodiens du passé à ceux d’une époque plus récente, sans négliger les grandes figures de la nouvelle vague européenne. Bien sûr, c’est aussi l’occasion d’aborder des personnalités plus atypiques, loin du feu des projecteurs, mais qui se révèlent tout aussi indispensables.

« Il n’est pas seulement à l’avant-garde. C’est aussi un homme qui vous offrira l’inattendu le plus complet. Et c’est cela même qu’on attend d’un spectacle. »

 

Franklin J. Schaffner

Né à Pasadena en Californie, de parents juifs roumains, Jerry Goldsmith est l’un des plus audacieux et créatifs compositeurs américains de la musique de film hollywoodienne. Durant plus de quatre décennies, il a tout particulièrement imprimé son style unique sur un grand nombre de films fantastiques et d’action. Avec des compositeurs américains comme Henry Mancini, Laurence Rosenthal, Billy Goldenberg ou Elmer Bernstein, il s’est démarqué avec succès des grandes masses sonores de la musique hollywoodienne, privilégiant une réduction de l’effectif orchestral et une mise en valeur des instruments solistes. Son style musical est très protéiforme et alterne régulièrement la musique tonale et atonale, avec une utilisation massive des cuivres et un lyrisme des cordes qui évoquent la musique d’Hugo Friedhofer ou d’Alex North. La percussion est très présente ainsi que la recherche d’effets sonores inhabituels (utilisation d’instruments rares ou électroniques). D’une façon générale, il incarne une fusion subtile des principaux courants de la musique contemporaine du XXème siècle : l’école française impressionniste, la musique atonale/sérielle, héritière de la seconde école de Vienne, et les recherches expérimentales électroniques de l’université de Columbia (Computer Music Center) et de la RAI de Milan. Il reste une référence majeure pour des compositeurs de musique de film tels que Christopher Young, Elliot Goldenthal, Danny Elfman ou Marco Beltrami.

 

Dans les années cinquante, le jeune Goldsmith étudie la musique avec le pianiste distingué Jacob Gimpel, élève d’Alban Berg, puis l’harmonie et le contrepoint avec le renommé Mario Castelnuevo-Tedesco. Il s’oriente d’abord vers la musique de concert pour orchestre. La rencontre avec le légendaire compositeur Miklós Rózsa, à l’université de Californie, l’incite à écrire pour le cinéma et à orienter son style musical sur le modèle classique européen. L’héritage de Ravel, Debussy, Schönberg, Bartók et Stravinski sera particulièrement prégnant dans son œuvre même si le compositeur n’hésite pas non plus à se référer à la musique classique américaine, celle d’Aaron Copland en particulier. Goldsmith débute comme copiste puis chef d’orchestre et compositeur pour la radio-TV américaine CBS, où il écrit des musiques pour des épisodes dramatiques comme le western audio Frontier Gentleman ou des shows TV. Plusieurs de ces musiques étaient même enregistrées en direct. Goldsmith jouant lui-même au piano ou à l’orgue au sein de petits ensembles. Le grand musicien Bernard Herrmann sera lui-même particulièrement exaspéré lorsqu’il vit un jour, sur une bande-annonce de l’un de ces épisodes, apparaître sur sa musique le nom de Goldsmith crédité comme compositeur. Il s’agissait d’une simple erreur du studio, mais de là va naître une haine viscérale d’Herrmann qui n’hésitera pas à décrier le travail de Goldsmith à la moindre occasion. En 1962, sur le film d’aventure The Spiral Road (L’Homme de Bornéo), Goldsmith intègrera le gamelan javanais à l’orchestre, comme l’avait fait Herrmann pour Anna And The King Of Siam (Anna et le Roi de Siam), ce qui n’arrangea pas la relation entre les deux hommes !

 

 

Dès la fin des années cinquante, Goldsmith travaille sur des épisodes de séries comme Climax! (1955/1958), Playhouse 90 (1958/1960), Perry Mason (1957) ou la célèbre The Twilight Zone (Quatrième dimension – 1959/1961). Des compositions de chambre assez raffinées qui annoncent déjà un style profondément sensible et original. Le CD Jerry Goldsmith: The Early Years donne un bon aperçu de cette production. Dans le morceau Private Eye, de Perry Mason, par la répétition des notes percussives, on perçoit déjà une recherche de « l’effet échoplex », qui permet d’obtenir un écho sonore du jeu instrumental. Sur l’épisode Wake Up To Terror (1959) de la série policière The Lineup, l’utilisation du modern jazz démontre aussi une nette influence des idées musicales d’Elmer Bernstein et d’Henry Mancini, mais toujours réalisé avec une grande efficacité.

 

Tout au long des années soixante, Jerry Goldsmith était sous contrat à la Twentieth Century Fox et son imagination fertile tout autant que sa disposition à tenter des expériences musicales nouvelles le propulsent en première ligne pour les films de genre et les programmes télévisés. Après Black Patch (L’Homme au Bandeau Noir1957), il signe un western contemporain majeur avec Lonely Are The Brave (Seuls sont les Indomptés – 1962) réalisé par David Miller, l’histoire d’un cow-boy moderne qui vit toujours selon le code moral du Far West américain. Goldsmith accompagne l’errance de la star Kirk Douglas avec une trompette lancinante qui anticipe déjà le thème de First Blood (Rambo – 1982) joué par Sylvester Stallone, autre déphasé de la société moderne américaine. Dans le western plus traditionnel, on peut aussi citer Rio Conchos (1964), réalisé par Gordon Douglas, dans lequel Jerry Goldsmith s’éloigne du symphonisme traditionnel en délivrant une composition éclatée, aux tournures hispanisantes et une mise en valeur des timbres (guitare, banjo et percussion). Deux ans après, Ennio Morricone utilisera la même technique orchestrale avec le célèbre Per un Pugno di Dollari (Pour une Poignée de Dollars). Alliant mélodies traditionnelles et musique classique hispano-américaine, Goldsmith composera d’autres westerns tels que Hour Of The Gun (Sept Secondes en Enfer – 1967) de John Sturges, Rio Lobo (1970) d’Howard Hawks ainsi que le mélancolique Wild Rovers (Deux Hommes dans l’Ouest – 1971) de Blake Edwards.

 

 

C’est surtout grâce à John Huston que Jerry Goldsmith pourra imposer son véritable style dans la composition pour le cinéma. Écrite en 1962, Freud (Freud, Passions Secrètes) est sans doute l’une des partitions les plus significatives de l’orientation moderniste du compositeur, qui assume l’héritage d’Arnold Schönberg et de Béla Bartók (on y trouve quasiment une citation de la Musique pour Cordes, Percussion et Célesta). En 1945, avec Spellbound (La Maison du Dr. Edwardes), Rózsa avait déjà ouvert la voie à une musique « psychanalytique », l’une des partitions de référence de Goldsmith, qui le décida à s’orienter dans la musique de film. L’approche de Freud est ici beaucoup plus chambriste et radicale, avec le refus de développer un thème mélodique rassurant et un traitement des cordes anxiogène, au frontière de l’atonal. Un an auparavant, dans l’épisode The Grim Reaper de l’anthologie fantastique Thriller (1961), on pouvait déjà avoir un bon aperçu de la faculté de Goldsmith à créer une ambiance inquiétante par l’utilisation de cordes tendues et dissonantes. Dans le film de Huston, les séquences de rêves sont illustrées par des compositions électroniques d’Henk Badings qui plaisaient beaucoup au réalisateur. C’est en travaillant avec l’italien Gino Marinuzzi Jr., qui devait initialement s’occuper de la partie électronique, que Goldsmith se passionne pour le domaine. Encore peu coutumier de ses nouvelles sonorités, il ne cessera au cours des années 60 de les développer, intéressé par le fait de pouvoir enrichir la palette sonore de l’orchestre classique.

 

Combiné à une écriture avant-gardiste, son style composite va épouser à la perfection l’univers du cinéma fantastique, de l’épouvante et de la science-fiction. Poursuivant l’atmosphère tourmentée de Freud, il compose en 1964 la musique du drame psychopathologique, Shock Treatment (La Mission de Mister Manning) qui utilise des effets électroniques générés notamment par l’utilisation du thérémine et de l’overlay (une bande magnétique passée à l’envers). En 1965, The Satan Bug (Station 3: Ultra Secret – 1965) annonce déjà un travail sur la percussion inventif et une recherche sur les climats sonores renforcée par l’utilisation des premiers synthétiseurs de l’époque comme le Solovox et le Novachord. Sur Sebastian (Les Filles du Code Secret – 1968), il travaille également avec un grand spécialiste des synthétiseurs, l’australien Tristram Cary, à qui l’on doit notamment les sonorités envoûtantes des premiers épisodes de la série Doctor Who. Goldsmith démontre aussi sa faculté à changer aisément de registre musical, passant de la composition chambriste délicate avec A Patch Of Blue (Un Coin de Ciel Bleu – 1965) à la partition épique patriotique gorgée de cuivres et de percussions de The Blue Max (Le Crépuscule des Aigles – 1966)

 

 

En 1968, Planet Of The Apes (La Planète des Singes), réalisé par Franklin Schaffner, constitue un sommet, sinon un point de rupture, dans l’œuvre du compositeur, et même dans la musique de film américaine tout court, par son audace et son invention musicale. Après une œuvre comme celle-ci, les expérimentations harmoniques d’un Varèse ou d’un Xénakis paraissent soudainement terriblement datées. Goldsmith a composé une symphonie simiesque archaïque, en utilisant des grappes d’accords dissonants, des passages rythmiques non mélodiques complexes et une atonalité percussive renforcée par toute une batterie de percussions exotiques provenant de la collection du musicien Emil Richards. Pour cette partition, il suggère l’emploi de prosaïques culs-de-poule ordinaires en guise d’instruments à percussion, des bols en acier inoxydables, des gongs, et surtout une cuíca, tambourin brésilien à la membrane percée au centre, qui produit un grognement étrange lorsque l’on frotte une tige. Les joueurs de cors soufflent à l’envers dans le bec de leurs instruments, histoire de générer un souffle caractéristique pour les scènes de la zone interdite. On trouve aussi une flûte basse couplée à un démultiplicateur de son, des angklungs javanais, (instruments de musique en bambou), un vibraslap, ainsi qu’un shophar (corne de bélier) utilisé durant la chasse à l’homme des gorilles. Le premier jour de l’enregistrement en studio, Goldsmith dirigea l’orchestre sous un masque de singe et demanda au secrétaire de la Fox une banane en guise de bâton de chef d’orchestre. Durant la longue marche des astronautes dans le désert, il a enregistré séparément les altistes et les violoncellistes, avant de passer les bandes à l’échoplex pour créer ces étranges sonorités très spatiales et planantes. Il s’agit d’une machine originale permettant d’ajouter un phénomène d’écho à dissipation graduée.

 

En 1970, l’américain le réutilise avec talent dans le film de guerre Patton (avec des triolets de trompettes en échos, pour suggérer les guerres du passé et la croyance du général dans sa propre réincarnation) et surtout Alien (1979), le célèbre film de science-fiction horrifique (cordes et percussions frottés ou frappés diminuendos pour insuffler l’angoisse). L’effet sera repris par plusieurs compositeurs comme Michael Small sur The Driver ou James Horner dans la suite Aliens. Après le succès du film de Schaffner, Goldsmith s’attèle en 1971 au troisième volet de la saga, Escape From The Planet Of The Apes (Les Évadés de la Planète des Singes), réalisé par Don Taylor. Sans délaisser les touches musicales expérimentales du premier épisode, il compose une partition beaucoup plus pop, marquée par la guitare électrique basse et la guitare-sitar qui ajoutent une touche psychédélique typique du début des années soixante-dix.

 

 

En 1969, The Illustrated Man (L’Homme Illustré), tiré d’un recueil de nouvelles de Ray Bradbury, permet à Goldsmith de délivrer l’une de ses musiques les plus fascinantes : une partition psychologique pointilliste, exécutée par une formation chambriste variée (harpe, célesta, guitare, flûte, sitar indien…). L’ensemble est rehaussé par un thème principal lyrique pour voix de soprano, écrit sur un mode dorien. Les parties électroniques sont élaborées par Paul Beaver, l’un des spécialistes du Moog modulaire et du Minimoog. Elles sont particulièrement développées dans l’épisode The Veldt qui se déroule dans une maison familiale futuriste. Goldmith développera l’utilisation de l’électronique avec la passionnante partition de Logan’s Run (L’Âge de Cristal – 1976), un film d’anticipation qui dépeint une espèce humaine enfermée dans une ville-bulle en proie à tous les plaisirs. La composition à la fois classique et avant-gardiste fait surtout un excellent usage du synthétiseur ARP 2500/2600 et rappelle certaines pièces électroniques atonales du compositeur Milton Babbitt. On peut notamment apprécier ses sonorités kaléidoscopiques sur Fatal Games et le sulfureux Love Shop. Dans le film, il s’agit d’une sorte de boite à partouze psychédélique que Logan et Jessica doivent traverser pour fuir vers les limites de la cité.

 

Très à l’aise dans l’utilisation d’ambiances instrumentales oppressantes, Goldsmith poursuit tout au long des années soixante-dix ses recherches musicales sur de nombreux films d’angoisses comme The Mephisto Waltz (Satan, mon Amour – 1971), une partition très inventive qui réutilise pour la circonstance la valse du même nom de Franz Liszt ainsi que le fameux thème mortuaire du Deus Irae. Sur le thriller d’angoisse de Paul Wendkos, The Brotherhood Of The Bell (La Fraternité ou la Mort – 1970), il tisse une partition étonnante par ses brusques changements de registres, entre baroque, jazz et avant-garde. Avec The Other (L’Autre – 1972), le film fantastique psychologique de Robert Mulligan, Goldsmith introduit un thème pastoral pour cordes flûte et harpe, proche d’une berceuse pour enfant, qui incarne l’innocence de Niles, le jeune garçon. Mais au cours du film, la musique va s’assombrir au fur et à mesure que se manifeste la présence dérangeante d’Holland, le frère jumeau maléfique. Un parfait mélange d’horreur mais aussi de lyrisme, que Jerry Goldsmith réutilisera plus tard sur Poltergeist (1982), en associant à la petite fille la douce berceuse du thème de Carol Ann, en contraste avec la violence des esprits frappeurs incarnés par des morceaux comme Twisted Abduction et Night Of The Beast.

 

 

À l’instar de compositeurs comme Bronislau Kaper ou Maurice Jarre, Jerry Goldsmith se montre également très à l’aise dans l’utilisation de la musique traditionnelle non-occidentale. Dans The Sand Pebbles (La Canonnière du Yang-Tsé – 1966), le superbe film d’aventure de Robert Wise, il fait un très bon usage des percussions asiatiques et du système pentatonique oriental. Le thème principal, fortement dramatique portée par des cordes sombres, anticipe sur la fin tragique du chef-mécanicien interprété par Steve Mc Queen, qui délivre là l’une de ses meilleures prestations. Goldsmith retrouve l’acteur en 1973, avec Papillon de Franklin Schaffner, où il compose une très belle valse nostalgique pour orchestre et accordéon, inspirée par la musique populaire parisienne. D’autres partitions de Goldsmith auront recours à des climats ethniques exotiques comme High Velocity (Haute Tension – 1976), Inchon (1981) ou le film d’action américano-japonais The Challenge (À Armes Égales – 1982). L’une des plus impressionnantes reste toutefois The Wind And The Lion (Le Lion et le Vent – 1975), le film d’aventure marocain de John Milius. Intégrant les rythmes berbères à l’orchestration massive hollywoodienne, Goldsmith délivre une somptueuse partition épique qui culmine sur le tempétueux Raisuli Attack, un thème guerrier porté par des trompettes déchainées et un éventail de percussion particulièrement complexe (bongos, timbales, tambour militaire, caisse claire, tambour de bois à fente…) La partition est également enrichie d’un très beau thème lyrique portée tour à tour par la flûte, le hautbois ou le cor. En 1981, Goldsmith récidive avec succès dans la musique épique orientale avec la composition de la mini-série antique Masada, sur la lutte des juifs de Palestine contre les légions romaines. L’occasion pour le compositeur de revenir sur ses origines en écrivant une marche pour cuivres et orchestre galvanisante, inspirée par la hora, une ronde syncopée devenue le symbole de la construction de l’état d’Israël par le mouvement sioniste socialiste agricole.

 

Chez Goldsmith, l’utilisation du rythme discontinu, avec ses arrêts/départs incessants, fait indéniablement partie de son langage musical. Il trouve son origine dans les compositions de Béla Bartók (le Concerto pour Orchestre) et d’Igor Stravinski (Le Sacre du Printemps, la Symphonie en Trois Mouvements) dans lequel le compositeur se réfère régulièrement. On pourrait par exemple citer le générique tonitruant de Capricorn One (1978) et le film de science-fiction Outland (1981), où les cuivres froids et les percussions lourdes rythment la mémorable course-poursuite dans la station spatiale, entre le marshal (Sean Connery) et le dealer de drogue. Le film-catastrophe, The Cassandra Crossing (Le Pont de Cassandra – 1976) et The Salamander (La Salamandre – 1981) sont également des compositions comprenant des passages rythmés d’une grande complexité musicale. Sur Total Recall (1990), l’adaptation de Philip K. Dick par Paul Verhoeven, des morceaux comme Clever Girl et The Big Jump démontrent une nouvelle fois la parfaite maîtrise de Goldsmith à accompagner les séquences de course-poursuite et à déployer un pupitre de percussions riche et massif. Pour l’anecdote, l’orchestre d’origine avec lequel il devait enregistrer a même déclaré forfait devant la trop grande complexité de l’œuvre et le compositeur a dû se rabattre sur le National Philharmonic Orchestra, constitué des meilleurs musiciens de Londres.

 

 

Jerry Goldsmith avait pour habitude de dire que la partition idéale pour un film ne devait pas excéder trente minutes. Un bon exemple de cette économie de moyens se retrouve dans Chinatown (1974), le film noir vénéneux de Roman Polanski. L’américain remplace au pied levé le compositeur Phillip Lambro et délivre en seulement dix jours l’une de ses partitions les plus reconnues. Il utilise un orchestre minimaliste comprenant une petite batterie, des cordes, quatre pianos (dont un préparé), quatre harpes, des guitares et surtout un solo de trompette mémorable qui imprime une saveur jazz typique du film noir américain. En 2009, le compositeur John Adams se servira de cette partition comme une référence pour la composition de sa pièce symphonique City Noir. En 1997, avec L.A. Confidential, Goldsmith fera une nouvelle incursion dans le jazz symphonique avec une composition moins intéressante sur le plan thématique mais relativement efficace dans sa confrontation entre jazz et écriture néo-classique, en référence au score de Léonard Bernstein pour On The Waterfront (Sur les Quais).

 

L’année 1976 inaugure pour Goldsmith la trilogie satanique de The Omen (La Malédiction), une série de films d’épouvante relativement médiocres dans la lignée de The Exorcist (L’Exorciste) La trilogie bénéficie surtout d’une remarquable partition pour chœur et orchestre, évoquant par moment le climat de désolation d’Oedipus Rex de Stravinski et la sauvagerie du Sacre du Printemps. Cette messe noire nous rappelle la venue de l’Antéchrist sur terre (le jeune Damien Thorn), comme annoncé dans l’Apocalypse de Jean. Le thème principal Ave Satani est certainement l’un des morceaux les plus célèbres du compositeur. Il s’ouvre sur un chant crépusculaire chanté en latin, transposition détournée des messes chrétiennes à la gloire de Jésus Christ. Le Corpus Christi devenant ainsi dans la version de Goldsmith Corpus Satani et l’Ave Maria, Ave Satani. La présence de l’orgue et des cloches renforce la dimension biblique tandis que les lancinantes mesures de violoncelles accentuent l’impact dramatique. Sur le troisième volet de la saga, The Final Conflict (La Malédiction Finale – 1981), Goldsmith réussit un somptueux thème-générique en accentuant la dimension épique par un chœur massif et une orchestration puissante dans la lignée des cantates de Prokofiev. Les voix sont dans l’ensemble assez peu abordées chez Goldsmith. Sa musique la plus représentative reste Christus Apollo, une grande cantate pour chœurs, orchestre et récitant, composée en 1969. On compte aussi son émouvante composition écrite pour la mini-série QB VII (1974), inspirée par la musique liturgique juive (A Kaddish For The Six Million).

 

 

En 1977, avec Islands In The Stream (L’Île des Adieux – 1977), Goldsmith compose une musique apaisée et mélancolique dominée par le cor d’harmonie. Il s’agit probablement de l’une de ses plus belles pages dans le domaine du drame sentimental, avec des climats maritimes faisant échos à La Mer de Debussy ou à The Ghost And Mrs. Muir (L’Aventure de Mme Muir) de Bernard Herrmann. Sur le thriller médical Coma (Morts Suspectes – 1978), réalisé par Michael Crichton, Goldsmith signe une nouvelle partition brillante qui utilise principalement quatre pianos, des percussions, une large section de cordes dissonantes, ponctuée par les sonorités irréelles de l’échoplex et des touches bruitistes d’électronique. La musique n’intervient que dans la deuxième partie du film et apporte un climat d’angoisse particulièrement adapté à l’ambiance claustrophobe du mystérieux bâtiment hospitalier que découvre Geneviève Bujold. L’année d’après, c’est avec un mélange de punch, d’humour et d’élégance que Goldsmith signe la partition inspirée de The Great Robbery Train (La Grande Attaque du Train d’or – 1979) du même Crichton, une musique qui fait preuve d’une utilisation dynamique du pupitre des cuivres pour évoquer la vitesse de la machine à vapeur dans laquelle est embarquée l’équipe de braqueurs menée par Edward Pierce (Sean Connery).

 

Avec Alien de Ridley Scott, le « film choc » de l’année 1979, Goldsmith signe un opus d’avant-garde majeur de son répertoire fantastique. Deux ans auparavant, il s’était déjà essayé avec réussite à la science-fiction-horrifique avec Damnation Alley (Les Survivants de la Fin du Monde – 1977), qui décrivait un monde post-apocalyptique menacé par des animaux mutants particulièrement agressifs… Ici, l’Alien et son attribut, le Facehugger, sont musicalisés par un instrumentarium de nature organique, comme le didgeridoo, la conque et le serpent, un instrument à vent déjà utilisé par Bernard Herrmann pour évoquer le reptile géant dans Journey To The Center Of The Earth (Voyage au Centre de la Terre). Le morceau d’ouverture très lyrique débute sur un solo de trompette lointaine rappelant The Unanswered Question de Charles Ives. Mais c’est avant tout l’impressionnisme musical de Claude Debussy, comme Nuages ou La Chambre Magique du Martyre de Saint-Sébastien, qui semblent avoir inspiré l’américain pour suggérer l’immensité et le mystère de l’espace. La musique est créée en dix semaines et complète l’inventif design sonore crée par Jimmy Shields et Ben Burtt. Il faut aussi souligner que Goldsmith a lui-même participé au bruitage, créant l’ « Alien Effect » : un bruit de vent sourd généré par le souffle d’une conque indienne géante, réverbérée par l’échoplex. Face au perfectionnisme de Scott, la partition de Goldsmith a été particulièrement morcelée, jusqu’au générique de fin qui comporte un large extrait du premier mouvement de la Symphonie Romantique d’Howard Hanson. Un choix contestable, que Goldsmith a eu du mal à avaler en découvrant le film pour la première fois. La très complète édition CD d’Intrada sortie en 2007 permet heureusement de rendre justice à la partition du compositeur en intégrant les morceaux coupés au montage.

 

 

La même année, Star Trek : The Motion Picture, le film de science-fiction de Robert Wise, tiré de la célèbre série de Gene Roddenberry, est une nouvelle partition majeure de Goldsmith. Dotée d’un orchestre massif de quatre-vingt-dix musiciens et d’une instrumentation riche et complexe comprenant des instruments aussi insolites que le blaster beam, le waterphone ou l’éoliphone, elle figure avec Star Wars et Dune parmi les plus belles réussites de la musique de space opera. Sur ce film, l’américain, certainement influencé par le succès des musiques de John Williams, tend à délaisser les techniques avant-gardistes qui ont fait sa réputation pour aller vers un style plus néo-romantique. Avec sa dynamique épique, le thème principal, associé au vaisseau l’Enterprise, reste l’une des musiques les plus mémorables du compositeur. Il sera réexploité sur plusieurs épisodes de la franchise. Pour illustrer la romance entre le lieutenant Ilia et le commandant Decker, Goldsmith crée aussi un splendide motif lyrique aérien pour cordes et piano, dans la lignée des compositions d’Edward Grieg. L’anglais Ralph Vaughan Williams est également une référence pour Jerry Goldsmith. Dans l’envoûtante séquence spatiale (The Cloud / V’Ger Flyover) supervisée par Douglas Trumbull, on retrouve l’atmosphère hypnotique et contemplative de la Septième Symphonie, dite Antarctique, évocation fascinante des terres lointaines et inconnues. C’est aussi grâce à la musique que le film de Wise parvient à captiver, souffrant d’un manque de rythme et d’un scénario pas toujours très palpitant. Le deuxième épisode, La Colère de Khan (The Wrath Of Khan) réalisé par Nicholas Meyer sera d’ailleurs bien plus maîtrisé. Plus inégal mais toujours efficace, Goldsmith reprendra du service sur Star Trek V: The Final Frontier (Star Trek V : l’Ultime Frontière – 1989), Star Trek : First Contact (Star Trek : Premier Contact – 1996), Star Trek : Insurrection (1998) et enfin Star Trek : Nemesis (2002).

 

On pourrait cependant reprocher à Goldsmith sa trop grande profusion. Là où un Bernard Herrmann ou un John Williams se montrent plus économes dans le choix des films et des sujets abordés, Goldsmith n’hésite pas à s’aventurer sur un grand nombre de projets souvent indignes de son talent. En comparaison, John Williams a composé les musiques de Superman, Indiana Jones, Jurassic Park et Home Alone. Goldsmith hérite lui de Supergirl (1984), King Solomon’s Mines (Allan Quatermain et les Mines du Roi Salomon – 1985), Congo (1995) ou de l’épouvantable Dennis The Menace (Denis la Malice – 1993). Pour autant, et c’est aussi ce qui fait tout le talent du compositeur, ses musiques peuvent se montrer nettement inspirées, comme en témoigne cet étonnant The Vortex / The End Of Zaltar dans Supergirl, à l’architecture sonore impressionnante.

 

 

À partir des années 80, Goldsmith va considérablement développer l’utilisation des synthétiseurs, notamment sur de nombreux films fantastiques de qualité souvent discutables. Twilight Zone: The Movie (La Quatrième Dimension – 1983) est un film à sketch raté, où seul surnage l’épisode de Joe Dante It’s A Good Life. Goldsmith entamera avec le réalisateur américain une fidèle collaboration qui fera merveille l’année suivante sur Gremlins (1984) et son délirant thème principal, le Gremlin Rag. Il reprend un peu la même recette musicale avec l’insolite Link (1986) qui intègre une batterie popisante par-dessus un orchestre électro-symphonique. Explorers (1985) est plus inégal, à l’image du film, brillant pendant une heure mais plombé par une dernière partie absolument calamiteuse. Quant à Poltergeist II (1986), il vaut surtout pour son étonnante pièce introductive The Power, et son mélange harmonieux entre orchestre et électronique.

 

Avec le film de science-fiction Runaway (1984), composition totalement écrite pour un ensemble de synthétiseurs, comprenant un Roland MBK-1000 et un Yamaha GS-1, Goldsmith déroute. Il réitère l’expérience pour le thriller Criminal Law (La Loi Criminelle – 1988), au climat plus froid et métallique. Aujourd’hui, le son de ses longues nappes synthétiques parait bien daté, même si un certain charme rétro opère sur certains morceaux. Under Fire (1983) de Roger Spottiswoode souffre également d’un son très marqué 80’s, même si les parties de guitares jouées par Pat Metheny apportent du relief à l’ensemble. Mais c’est surtout avec Legend (1985), le conte fantastique ambitieux de Ridley Scott, que Goldsmith s’est surpassé. La partition, composée en trois mois, reste d’ailleurs l’une des favorites de Goldsmith. Elle se compose d’une riche palette orchestrale reposant sur un chromatisme diffus, des changements rythmiques et des modulations harmoniques surprenantes. Reprenant l’atmosphère enchanteresse du film d’animation The Secret Of NIMH (Brisby et le Secret de NIMH – 1982), Goldsmith en développe la densité vocale par un chœur mixte aérien et une chanson mélodieuse interprétée par la princesse Lily. Au grand orchestre symphonique du National Philharmonic s’invitent sept synthétiseurs, associés principalement aux gobelins maléfiques qui viennent interrompre de façon malicieuse la féérie musicale (Yamaha DX-7, Roland JP-8, Memorymoog, Oberheim OB-8, Oberheim DSX/ DMX et Prophet-T8). Le générique d’introduction est à lui seul une merveille d’orchestration ponctué par les bruitages électroniques qui évoquent les grillons et les oiseaux de la forêt imaginaire. L’américain s’est inspiré du folklore gaélique pour décrire le peuple des elfes de la forêt, mais tout au long du film, on pense surtout à l’écriture impressionniste de Maurice Ravel, et à des pièces comme L’Enfant et les Sortilèges, Daphnis et Chloé et la Valse que Goldsmith auto-cite pratiquement lors de la scène de danse entre la princesse Lily et le démon Darkness, véritable incarnation du mal à la forme bestiale. Avec la scène de la tempête, c’est sans doute l’un des moments les plus inspirés du film, où la dimension visuelle et musicale rencontre la poésie de Cocteau. Curieusement, suite à des projections test médiocres, et pour plaire davantage à un public jeune, la musique de Goldsmith est remplacée par une partition pop/synthétique du groupe électronique Tangerine Dream, un choix déplorable tant la composition de la formation allemande parait aujourd’hui furieusement datée par les sonorités des synthétiseurs et des échantillonneurs numériques typiques des années quatre-vingt. Heureusement, les copies européennes furent épargnées et la partition de Goldsmith demeure aujourd’hui restaurée grâce à l’édition Director’s Cut en Blu-Ray et DVD.

 

 

En 1992, Jerry Goldsmith compose l’une de ses dernières grandes partitions pour le thriller érotique de Paul Verhoeven Basic Instinct. Le réalisateur souhaitait une musique inspirée par Vertigo (Sueurs Froides) de Bernard Herrmann et passa de nombreuses séances de travail avec le compositeur pour trouver l’atmosphère appropriée. Alternant habilement les ambiances mystérieuses et les climats agressifs, Goldsmith tisse une partition fascinante, à l’image de l’héroïne trouble incarnée par Sharon Stone. Sur le thème principal, il reprend la même construction en séries d’arpèges que le générique du film d’Hitchcock, avec une atmosphère plus douce et impressionniste grâce à une subtile combinaison de cordes (harpe, violons), clarinette et percussions synthétiques. En 2000, il réitère le même type d’atmosphère synthético-orchestrale dans le film Hollow Man (L’Homme Sans Ombre – 2000) du même réalisateur. Si les dernières partitions de Goldsmith ne surprennent plus guère par leur originalité, elles possèdent toujours un savoir-faire indéniable. Que ce soit dans le romantisme feutré de The Russia House (La Maison Russie – 1990), la composition épique moyenâgeuse de First Knight (Lancelot, le Premier Chevalier – 1995), le score d’action maitrisé d’Air Force One (1998) et de The 13th Warrior (Le Treizième Guerrier – 1999) ou la musique du film d’aventure The Mummy (La Momie – 1999), aux fastes couleurs arabisantes. En 1997, sur le modèle d’Alfred Newman, l’un de ses mentors, il compose l’excellente fanfare pour cuivres et orchestre qui ouvre les films d’Universal Pictures. C’est avec le long-métrage de son ami Joe Dante, Looney Tunes: Back In Action (Les Looney Tunes Passent à l’Action – 2003) qu’il fait ses adieux au cinéma. Il décède l’année suivante des suites d’un cancer, à l’âge de 75 ans.

 

Hors musiques de films, Jerry Goldsmith a également composé quelques pièces symphoniques pour le concert comme The Thunder Of Imperial Names (1957), la cantate Christus Apollo (1969), Music for Orchestra (1970), Fireworks: A Celebration Of Los Angeles (1999). On lui doit aussi l’enregistrement de plusieurs musiques de films d’Alex North dont la partition rejetée pour 2001: A Space Odyssey (2001 : l’Odyssée de l’Espace) et The Agony And The Ecstasy (L’Extase et l’Agonie), qui contient un très beau prologue symphonique composé par Jerry Goldsmith lui-même.

 

 

À visionner : Écouter les Films: Jerry Goldsmith, réalisé par la Flim Équipe.

 

À lire : Le site Internet Jerry Goldsmith : The Musical Law rédigé par Pascal Dupont et Quentin Billard qui regorge d’informations passionnantes.

 

À écouter : Freud (Varèse Sarabande), Planet Of The Apes (Varèse Sarabande), The Wind And The Lion (Intrada), Alien (Intrada), Star Trek: The Motion Picture (La-La Land Records), Legend (Music Box Records), Basic Instinct (Quartet Records).

Julien Mazaudier
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