Rio Conchos (Jerry Goldsmith)

Chef-d'œuvre de jeunesse

Disques • Publié le 18/09/2013 par

Rio ConchosRIO CONCHOS (1964)
RIO CONCHOS
Compositeur :
Jerry Goldsmith
Durée : 60:12 | 16 pistes
Éditeur : Intrada

 

5 out of 5 stars

En 1989, Intrada publiait un disque qui allait vite devenir une référence chez les béophiles. Jerry Goldsmith y dirigeait pour la première fois le superbe London Symphony Orchestra dans une production discographique placée sous le signe du luxe. Dans le fameux Studio 1 d’Abbey Road, Goldsmith retrouvait Bruce Botnick, son ingénieur du son de prédilection, et un producteur, Douglass Fake, entièrement dévoués à la cause de sa musique. Et le résultat fut à la hauteur de l’affiche ! Aujourd’hui relooké et remasterisé, ce bel objet nous revient enrichi de quelques bonus et d’un nouveau livret.

 

Intrada avait eu à l’époque l’excellente idée de faire précéder sur le disque la musique de Rio Conchos par The Artist Who Did Not Want To Paint, pièce de douze minutes composée par Goldsmith pour un documentaire introduisant en salle le film The Agony And The Ecstasy (L’Extase et l’Agonie), consacré aux démêlés de Michel Ange avec le pape Jules II autour de la création du plafond de la chapelle Sixtine. Autant dire que cette œuvre n’a rien à voir musicalement parlant avec la musique qui va suivre, en dehors de lui être à peu près contemporaine. Goldsmith compose ici un véritable poème symphonique, s’inspirant de la musique de la renaissance italienne, mais en se la réappropriant complètement. Il n’est donc pas question de pastiche. Les références musicales ne sont guère appuyées et l’effectif orchestral, la présence notamment d’une large section de cors, excluent cette notion. Il s’agit plutôt d’une recréation libre qui évoque parfois l’Apollon Musagète de Stravinsky (les nombreux trilles des violons) ou les Danses et Airs Antiques de Respighi. L’ensemble de la pièce baigne dans un climat de grâce renforcé par la lenteur uniforme du tempo. Elle est par moment hiératique, parfois d’une douceur presque séraphique. L’instrumentation d’un grand raffinement – quelle délicatesse dans les petites percussions ! – et les textures diaphanes nous rappellent que Goldsmith était l’un des plus subtils magiciens de l’orchestre.

 

Bien que constituée de cinq sections différentes, la pièce est d’une grande unité. Après un motif d’introduction aux cors, cordes et bois alternent dans un dialogue d’une grande pureté. Un quatuor à cordes se détache du sein de l’orchestre et la musique devient progressivement plus intime et presque dépouillée. Un passage mystérieux amène un retour du thème introductif avant que le discours gagne en ampleur dans une section centrale pleine de majesté, faisant intervenir tout l’orchestre. La pièce retrouve ensuite la délicatesse et l’intimisme du début pour une série de reprises du thème initial – dont l’une pour flûte solo et harpe est de toute beauté – et s’achève sur une brève coda pleine de sérénité. On admire autant la perfection formelle de la pièce que la profondeur de son inspiration, qui laisse rêveur quant à ce qu’aurait pu composer Goldsmith dans le champ de la musique sacrée.

 

Stuart Whitman

 

Le compositeur a accompagné dans les années 60 l’arrivée d’une forme de westerns plus violents, plus réalistes, auxquels il a conféré, comme Maurice jarre à la même époque, un son plus moderne, cru, dissonant, dans la continuité d’un mouvement amorcé par Alex North. Typique de cette période, Rio Conchos est un petit western assez sombre réalisé par Gordon Douglas, efficace artisan de séries B. Sur le plan du langage musical, la partition de Goldsmith n’est pas sa plus avancée pour le genre. Il allait écrire des pages plus modernes dans 100 Rifles ou Wild Rovers. Il y déplace néanmoins clairement le curseur, les références implicites de son langage n’étant plus le postromantisme d’un Steiner, d’un Tiomkin ou à la même époque d’un Elmer Bernstein, mais un mélange d’americana et d’éléments impressionnistes et stravinskiens. Comme souvent quand il réenregistre sa musique, le compositeur adopte des tempi plus lents que lors des sessions originales. Les accents sont moins nerveux, comme s’il cherchait à donner plus de liberté, de souplesse à la musique, gommant parfois certaines aspérités qui faisaient le sel des prises initiales. Toutefois, force est de constater, quand on compare cette version à celle de 1964 parue chez FSM, que sa qualité technique superlative lui confère une ampleur et par endroits une puissance insoupçonnées qui la transfigurent totalement.

 

Comme toujours avec ses compositions de cette période, il est fascinant de voir un compositeur du tempérament de Goldsmith faire ses armes. Le style, bien que déjà affirmé, est encore en devenir. Le compositeur travaille sur de longues séquences relativement statiques qui ne possèdent pas encore la frénésie et la folie rythmique qu’il saura bientôt libérer. Il procède par répétitions et modifications progressives d’un même matériau alors que par la suite son style sera beaucoup plus explosif. On sent également ce que le jeune musicien doit encore à l’approche de son ami Alex North, avec cet orchestre sec, incisif, dégraissé, traversé de dissonances crues. Influence sensible aussi dans l’utilisation des percussions en solos, comme dans Drag Race (pièce qui ne figure pas dans ce réenregistrement mais présente sur le CD FSM). A l’inverse on note déjà la franchise des idées thématiques, la sûreté du geste orchestral et cette vigueur toute en muscle qui sera bientôt la signature de Goldsmith. Le film se passant essentiellement au Mexique, le compositeur nous mitonne en gourmet un de ces menus hispanisants qu’il affectionne tant. La guitare a un rôle central, tandis que le banjo, l’accordéon et une abondance de petites percussions (marimba, fouet, crotales, jawbone [racle]) griffent le tissu orchestral de traits ethniques et colorés.

 

Richard Boone

 

Le très joli thème principal, qui fournit la matière d’une grande partie de la partition – procédé très goldsmithien – est présenté dès les premières mesures à l’accordéon, avec des accents à contretemps typiques. Une première volée de pièces épiques et pleines de panache nous embarquent au cœur de la sierra (Bandits Ho, The River, River Crossing). Un motif mélodique associé aux apaches apporte une nouvelle touche de couleur aux pièces suivantes. Il est repris fortissimo aux cors dans le brillant Wall Of Fire, qui constitue une sorte de prototype de ce qui deviendra rapidement une spécialité de Goldsmith, ces allegros féroces et propulsés qui balayent tout sur leur passage. Dans un registre tout différent, le motif apache est exposé avec beaucoup de fraicheur par la flûte dans Lonely Indian, après une introduction d’une merveilleuse délicatesse.

 

Dans les pièces accompagnant les scènes finales du film (Chief Bloodshirt , The Corral , The Intruder) Goldsmith nous entraine dans un univers sonore plus sombre et plus contemporain. Il introduit un nouveau motif très brutal, ponctué à contretemps de glissandi de trombones et crée au début de Chief Bloodshirt d’inquiétants effets de contrebasses. Dans Free Men / The Intruder, il se livre presque à une étude de timbres et de rythmes, s’appuyant sur la succession et la répétition de longues séquences de soli instrumentaux pour créer des climats d’étrangeté et de menace sourde (procédé qu’il reprendra rarement par la suite). Après une longue introduction où l’on retrouve les jeux de timbres et de rythmes de The Intruder, le finale (Special Delivery) s’anime en un passage très stravinskien et balaye avec une belle fougue les principales idées mélodiques du film. Un point d’orgue mène à un sommet orchestral massif qui conclut en majesté la partition, à l’exception d’un bref End Cast, ajouté ici à titre de bonus.

 

Aussi somptueusement rajeuni, dans un habillage sonore qui permet d’entendre tous les détails, ce Rio Conchos démontre que l’une des qualités principales de la musique de Jerry Goldsmith, autant que son énergie rythmique et son invention orchestrale, était déjà la clarté et l’économie d’un style parfaitement maîtrisé. Cette nouvelle édition est agrémentée de quelques bonus assez anecdotiques mais sympathiques (notamment quelques paroles échangées entre le compositeur et les musiciens à la fin de la session d’enregistrement). Côté orchestre, le LSO fait évidemment une prestation sans défaut. L’homogénéité et la cohésion sont parfaites, et la prise de son assez réverbérée, avec beaucoup d’ampleur et de profondeur, et de très beaux timbres.

 

Rio Conchos

Stephane Abdallah
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