L’Âge d’Or de la comédie musicale égyptienne

#5 : La fabuleuse Samia Gamal

Dossiers • Publié le 30/07/2018 par

#1 : Introduction
#2 : Les chanteuses à la voix d’or
#3 : Mohamed Abdelwahab, le chanteur des rois et des princesses
#4 : Farid Al Atrache, le chanteur au coeur triste
#5 : La fabuleuse Samia Gamal
#6 : La farce musicale
#7 : Le film de bédouins
#8 : Les chanteurs de charme

Fille modeste d’un roturier juif d’un petit village de Haute-Égypte, Samia Gamal connaît une enfance perturbée. Sa mère quitte le domicile familial alors qu’elle n’a que sept ans. Élevée par une belle-mère cupide qui souhaite la marier très jeune au chef du village, elle s’enfuit de chez elle à quinze ans pour aller vivre chez sa demi-sœur au Caire. C’est là qu’elle fait la rencontre de Badia Masabni, « la mère de la danse orientale moderne », qui lui offre une place dans sa compagnie de danse. Elle adopte comme nom de scène Samia Gamal, qui signifie « beauté » en égyptien.

 

Après quelques petits rôles de figurantes, elle tourne en 1944 au côté du grand Mohamed Abdelwahab dans Une Balle au Cœur (Rossassa fi Kalb), où elle danse langoureusement en compagnie de deux séduisantes almées, sur l’enchanteresse mélodie Ensa el Donya. Très vite, elle devient une déesse des comédies musicales, adulée par des millions d’admirateurs.

 

Danseuse sur des tambours géants dans C’est toi que j’aime (Ahbbak Enta – 1949), kleptomane ingénue dans Mademoiselle la Voleuse (Nachala Hanem – 1953), séduisante bédouine dans Le Chacal du Désert (Intiqam al Habib – 1951), épouse tourmentée dans Un Verre, une Cigarette (Sigara wel Kas – 1955), mais aussi fille perdue alcoolique dans Le Passage des Miracles (Zokak al Midak – 1961) ou ravissante négresse dans Ne le dis à Personne (Ma Toulch Lihadd – 1951)… Avec ce mélange d’innocence et de séduction qui la caractérise, Samia Gamal crève littéralement l’écran dans les films qu’elle tourne en vedette, ou même lorsqu’elle ne tient qu’un simple rôle de danseuse de cabaret.

 

Samia Gamal aux côtés de la célèbre Dalida (à droite) dans Un Verre, une Cigarette (1955)

 

Mais le film égyptien qui a fait le tour du monde et grâce auquel Samia Gamal s’est révélée aux yeux du public international est la comédie musicale fantastique Madame la Diablesse (Afrita Hanem) tourné en 1949 par l’un des meilleurs spécialistes du genre, Henri Barakat. Sur ce film, le mythique Farid al Atrache interprète un pauvre chanteur qui tombe amoureux de la fille de son patron. Un génie, joué par Samia Gamal, est censée l’aider à conquérir la femme qu’il aime, mais celle-ci tombe amoureuse du chanteur et fait tout pour le séduire.

 

Sur de nombreuses séquences du film, la performance chorégraphique de la danseuse se révèle fascinante au sens fort du terme. Tout est là pour envoûter : la musique orientale pour cordes et kanoun composée par Farid, les numéros de danses conçues par le libanais Isaac Dickson, ou encore le costume de Samia, qui suggère et dévoile tour à tour l’harmonie de son corps. Pour elle, Farid al Atrache va composer de nombreuses chansons et musiques de danse, dans des styles très variées. Rumba, flamenco, musique folklorique orientale ou africaine… Dans le cœur des spectateurs, le couple devient alors aussi populaire et légendaire que Ginger Rogers et Fred Astaire aux Etats-Unis.

 

On retrouve à l’affiche Farid et la belle Samia dans cinq autres productions musicales : L’Amour de ma Vie (Habibi el Omr – 1947), C’est toi que j’aime (Ahbbak Inta – 1949), Le Dernier Mensonge (Akher Kedba – 1951), Viens me Saluer (Taa la Salim – 1951) et surtout Ne le dis à Personne (Ma Toulch Lihadd – 1952), qui comprend le remarquable Raqs el Gezlan (la Danse de la Gazelle). Un morceau instrumental pour cordes et kanoun qui accompagne la danse de Samia dans un café-théâtre parisien. Cette séquence, soigneusement cadrée par Henri Barakat, fait aujourd’hui indéniablement partie du patrimoine cinématographique égyptien.

 

La danse mythique de Samia Gamal dans Madame la Diablesse (1949)

 

Parmi les nombreux films de Samia, on notera tout particulièrement sa chorégraphie d’une belle sensualité dans La Danse de l’Adieu (Raqset al Wadaa – 1954), sur le célèbre Ay ya Zein (Oh Beauté), interprété par le chanteur Mohamed Kandil. Il y a également l’étonnant mélodrame Train de Nuit (Ketar el Lail – 1953) d’Ezzel Dine Zoulfikar, qui comprend de superbes numéros de danse mis en musique par l’algérien Ibrahim Haggag. Il permet aussi de mettre en valeur les talents dramatiques de Samia dans un rôle de danseuse de cabaret partagée entre deux amants rivaux.

 

On retiendra aussi son rôle de danseuse-esclave dans Le Comte de Monte-Cristo (Al Emir al Antikam – 1951) d’Henri Barakat. Un film à la réalisation soignée avec de superbes chorégraphies de Samia et qui bénéficie d’une partition musicale signée par des ténors du genre tels que Farid al Atrache, Mahmoud Bayrem Ettounsi et Ahmed Sedki. Et puis, impossible de ne pas mentionner sa fameuse danse de charme en robe légère, sur la célèbre composition Zeina Zeina, de Mohamed Abdelwahab, qui laisse pantois l’acteur Shoukry Sarhan dans le film Zanouba (1956) d’Hassan al Seifi.

 

A l’aube de la cinquantaine, Samia Gamal fait sa dernière apparition au cinéma en 1972 dans Le Compte à Rebours (Saat al Sifr) d’Hussein Helmi Elmohandès, le temps d’une courte séquence de danse mise en musique par Baligh Hamdi où elle conserve toujours son sourire rayonnant. Elle s’éteint le 1er décembre 1994, au Caire, emportée par un cancer.

 

Julien Mazaudier
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