Les années 90 sont dominées par sa collaboration avec Steven Spielberg. En 1991, c’est tout d’abord un projet de très longue date qui voit enfin le jour : Hook (Hook ou la Revanche du Capitaine Crochet), qui était à l’origine envisagé comme une comédie musicale, est une histoire très chère au cœur de Spielberg. Cette adaptation de Peter Pan est l’occasion pour Williams de raconter musicalement l’univers de J.M. Barrie, offrant une voix à chacun des personnages dans une incroyable débauche de thèmes. Le volume de musique est tel qu’il excède la longueur du film, Williams allant jusqu’à écrire une pièce spécifique pour la bande-annonce. Sans doute une de ses partitions les plus riches, certainement en tout cas celle sur laquelle il a travaillé le plus longtemps, le projet ayant été évoqué presque dix ans avant la sortie effective du film.
Toujours en 1991, il retrouve Oliver Stone pour la seconde fois sur JFK, pour lequel il compose une musique de thriller afin de renforcer le parti pris du film qui met à mal la théorie officielle de l’assassinat du président Kennedy. Le score fonctionne essentiellement sur l’opposition de deux thèmes : celui des conspirateurs, aux accents dramatiques et paranoïaques, et celui associé à Kennedy lui-même, glorifiant cette figure historique du martyr.
Williams renoue avec la grande fresque romantique en 1992 avec Far And Away (Horizons Lointains), de Ron Howard, remplaçant au pied levé le compositeur fétiche de ce dernier, James Horner, alors retenu sur un autre projet. Ravi de pouvoir s’approprier le folklore celtique et d’y adapter les couleurs des instruments qui lui sont propres, Williams s’acquitte de sa tâche avec brio, servant au mieux le genre historico-romantique dans lequel s’inscrit le film. Il écrit la même année la suite des aventures du jeune Macauley Culkin dans Home Alone 2 : Lost In New York (Maman, j’ai encore raté l’Avion), pour lequel il revisite et développe avec enthousiasme les pistes explorées pour le premier opus.
L’année 1993, toute entière dédiée à Spielberg, constitue une charnière dans la carrière du compositeur. Si Jurassic Park ressuscite des dinosaures disparus depuis des millions d’années en utilisant le meilleur de la technologie numérique de l’époque, Williams achève de leur donner vie à l’écran, sa musique offrant des thèmes inoubliables, l’angoisse le disputant au merveilleux. Mais, alors que la collaboration entre les deux hommes n’a jamais été plus fluide, Williams se sent littéralement dépassé lorsque Spielberg lui montre le premier montage de son prochain film. Schindler’s List (La Liste de Schindler) est a tel point chargé d’émotion que Williams est incapable de parler durant les heures suivant la projection. Quand il prend enfin la parole, c’est pour confier au réalisateur qu’il ne se croit pas capable d’illustrer un pareil sujet. C’est compter sans la foi indéfectible de Spielberg à son égard, persuadé qu’il saura trouver la juste mesure. De fait, après avoir longuement évoqué les moments du film dans lesquels la musique devait intervenir, le compositeur relève le défi en s’inspirant de mélodies classiques juives. Son thème principal, interprété par le violoniste Itzhak Perlman, propose une couleur de cordes unique offrant une texture quasi palpable à l’émotion. Cette année-là, pour la première fois depuis le début de leur aventure cinématographique, les professionnels récompensent enfin John Williams et Steven Spielberg ensemble : Schindler’s List remporte sept Oscars, entre autres ceux du meilleur film, du meilleur réalisateur et de la meilleure musique, et s’impose comme un chef-d’œuvre aux yeux de tous. Le compositeur trouve même le temps d’honorer une commande passée par le New York Philharmonic pour son 150ème anniversaire et compose The Five Sacred Trees, un concerto pour basson et orchestre trouvant son inspiration dans la tradition celtique.
Après s’être consacré à l’écriture de son Concerto For Cello And Orchestra en 1994, Williams revient au cinéma dès 1995 pour le remake de Sabrina par Sydney Pollack, une comédie romantique dans la plus pure tradition du genre. Il y retrouve l’association piano et orchestre, toujours propre à rendre compte avec subtilité du sentiment amoureux, puis s’associe de nouveau à Oliver Stone pour leur troisième thriller politique : Nixon. Pour confirmer la note d’intention de l’auteur, il n’hésite pas à conférer un thème martial et définitivement effrayant au personnage de Richard Nixon, le reste du score étant par ailleurs construit sur des éléments dissonants, encore une fois marqueurs du chaos et de la conspiration. Puis, pour Barry Levinson, qui lui demande en 1996 de mettre en musique son drame Sleepers, il compose une partition très noire, pour laquelle il mêle à l’orchestre non seulement des synthétiseurs mais également une guitare électrique, laissant la place à quelques rares fulgurances lyriques grâce à l’usage des chœurs.
Mais 1997, une autre année marathon, s’annonce déjà : après avoir accepté de remplacer à la dernière minute Wynton Marsalis sur Rosewood, pour lequel il retrouve le blues de The Missouri Breaks, Williams s’aventure de nouveau dans l’imaginaire peuplé de dinosaures de Steven Spielberg pour The Lost World. Ce deuxième opus de la saga Jurassic Park trouve ici un traitement assez éloigné des lignes harmoniques développées sur le premier film. Brutal, sombre et tribal, il est essentiellement construit autour d’une massive section de percussions soulignant l’hommage rendu par Spielberg à l’un de ses films préférés, le King Kong de 1933.
Il rencontre ensuite Jean-Jacques Annaud pour Seven Years In Tibet (Sept Ans au Tibet), qui lui permet de travailler une nouvelle fois avec l’un de ses interprètes préférés, le violoncelliste Yo-Yo Ma. Sa composition évoque d’ailleurs souvent ce qu’il a écrit quatre ans plus tôt pour Schindler’s List, cette fois sur un mode plus emphatique qui souligne avec force les passages les plus lyriques du film.
Enfin, il retrouve de nouveau l’infatigable Spielberg pour Amistad, une fable sur l’esclavage traitée sous la forme d’un film de prétoire. Le score est élaboré autour d’un poème, Dry Your Tears Afrika, mis en musique à la façon d’un hymne traditionnel africain pour chœur mixte qui constitue le seul élément véritablement lyrique du score, par ailleurs plus atmosphérique.
John Williams reste aux côtés de son collaborateur privilégié en 1998 pour Saving Private Ryan (Il Faut Sauver le Soldat Ryan), pour lequel il compose le magnifique Hymn To The Fallen, hommage aux soldats ayant sacrifié leur vie au cours du débarquement de Normandie. Il retrouve ensuite Chris Columbus en remplacement de Patrick Doyle, atteint d’une leucémie, sur le drame Stepmom (Ma Meilleure Ennemie), mettant en scène la relation de deux femmes que tout oppose et qui se découvrent lors du combat de l’une d’entre elles contre le cancer. Williams compose ici un score discret construit autour de la guitare du soliste Christopher Parkening.
1999 marque les retrouvailles de Williams et de Georges Lucas pour le premier épisode de la nouvelle trilogie Star Wars : The Phantom Menace (La Menace Fantôme). Plus de vingt ans après le premier opus de la saga, il relève le défi consistant à imaginer l’univers Star Wars avant la naissance de l’Empire, l’idée étant de créer un point d’origine pour les thèmes développés plus tard dans l’histoire. Contacté par Alan Parker, il accepte dans la foulée de composer la musique d’Angela’s Ashes (Les Cendres d’Angela), adapté du livre autobiographique de Franck McCourt. Williams compose une partition illustrant la misère sans jamais sombrer dans le pathos et choisit pour ce faire d’écrire avant tout pour solistes (piano, cordes et bois) et d’utiliser l’orchestre en contrepoint.
Il achève cette décennie en s’associant de nouveau à Spielberg pour le documentaire An American Journey, réalisé à l’occasion du passage au nouveau millénaire et dont l’ambition est de dresser le portrait de l’Amérique du XXème siècle en six tableaux au travers desquels Williams imprime une fois de plus sa voix unique dans l’inconscient collectif de son pays.