Portrait de John Williams

Le triomphe de l'émotion

Portraits • Publié le 06/06/2011 par

 

Auréolé par l’Oscar reçu pour son adaptation des compositions de Jerry Bock pour Fiddler On The Roof (Le Violon sur le Toit) en 1971, John Williams fait son entrée dans le club des compositeurs reconnus et respectés. En 1972, après avoir poursuivi son exploration du western et de l’americana avec Mark Rydell pour The Cowboys (Les Cowboys), il retrouve le producteur Irwin Allen qui lui confie la partition de The Poseidon Adventure (L’Aventure du Poséidon). L’impact de la musique est tel que le nom de Williams sera ensuite associé à plusieurs films-catastrophe majeurs de la décennie.

 

Toujours en 1972, Williams se lance dans une aventure expérimentale aux côtés de Robert Altman pour Images, un film mettant en scène un personnage schizophrénique. Altman, toujours intéressé par les techniques non orthodoxes, entend laisser à Williams le plus de liberté possible sur le score : « Fais ce que tu veux. Plus ce sera absurde, mieux ce sera. » Inspiré par les sculptures de métal et de verre de Baschet, « qui produisent des sons qui ne semblent pas appartenir à ce monde », le compositeur décide de créer une double structure musicale pour rendre compte de la schizophrénie du personnage : un rythme tonal, presque romantique, pour piano et cordes, sur lequel viennent se juxtaposer des percussions arythmiques et dissonantes. Un vrai travail sur la musique comme langage abstrait qui reflète parfaitement la note d’intention du réalisateur. Ravi, celui-ci fera de nouveau appel à lui l’année suivante pour The Long Goodbye (Le Privé).

 

Cinderella Liberty (Permission d’aimer) constitue en 1973 la troisième collaboration de Williams avec Mark Rydell. Il choisit ici une approche différente, dans la continuité des scores expérimentaux composés pour les films d’Altman, et produit un score dépouillé et minimaliste dans un style mêlant blues et lounge music.

 

La même année, Jennings Lang, vice-président d’Universal, présente à John Williams un jeune réalisateur de vingt-sept ans faisant ses premières armes à la télévision. Steven Spielberg évoque avec passion l’impact de la musique associée aux images, et confie son admiration pour le score de The Reivers. Surpris et charmé par la capacité du jeune homme à parler de musique, Williams ne sait pourtant pas encore à quel point cette rencontre va être déterminante dans sa carrière.

 

Après le succès rencontré par The Poseidon Adventure, Irwin Allen fait de nouveau appel à Williams en 1974 pour mettre en musique The Towering Inferno (La Tour Infernale). Le dialogue entre les deux hommes étant facilité par une collaboration de longue date, Williams obtient d’Allen qu’il travaille dans son sens afin de garantir l’impact de la musique, comme par exemple la suppression des effets sonores dans la séquence d’ouverture. Le compositeur enchaine juste après pour un autre film du même genre, Earthquake (Tremblement de Terre), qu’il qualifiera plus tard de « déclin du film-catastrophe. »

 

 

Williams accepte alors de mettre en musique le premier film de Spielberg, The Sugarland Express, qui sort sur les écrans en 1974. Le jeune réalisateur a en tête la musique de The Reivers et imagine déjà un grand orchestre pour accompagner les images ; pourtant, après avoir visionné le premier montage, Williams lui déconseille cette approche qui lui semble disproportionnée par rapport à l’histoire contée et aux personnages. Il lui propose de miser sur un petit ensemble qui ferait la part belle à un instrument soliste, l’harmonica. En acceptant de renoncer à son idée première pour épouser celle de son compositeur, Spielberg pose les bases d’une longue amitié et d’une relation de travail fondée sur le dialogue et la confiance.

 

Un an plus tard, Spielberg montre à Williams un premier montage de Jaws (Les Dents de la Mer). Lorsqu’il s’installe au piano pour n’y jouer que deux notes, Spielberg croit à une blague : « Je m’attendais à un thème bizarre, certes, mais mélodique ! » Pourtant, après avoir entendu à plusieurs reprises le célèbre ostinato, le réalisateur se rend à l’évidence : cette idée toute simple va devenir la signature du film. Car c’est bien ce motif de deux notes qui manipule les spectateurs, annonce la présence du requin, entretient la tension au niveau inconscient et confère la structure narrative du film, comme le précise Williams : « L’art de monter un film est selon moi musical […], je crois que la base de tout est le rythme, c’est la clé de l’intonation, du vibrato… »

 

Premier film à atteindre les 100 millions de dollars au box office, Jaws lui permet de remporter son premier Oscar en tant que compositeur et braque définitivement sur lui les projecteurs d’Hollywood. Il collabore dans la foulée avec des cinéastes prestigieux, comme Clint Eastwood pour The Eiger Sanction (La Sanction). Les deux hommes, mis en contact en 1975 par le studio Universal, échangent de longues heures sur leur passion commune pour le jazz et le score combine d’ailleurs mélodie classique au clavecin et piano et rythmique jazzy pour contrebasse et violoncelle.

 

C’est toujours pour Universal qu’en 1976, Alfred Hitchcock, qui papillonne d’un compositeur à l’autre depuis son conflit avec Bernard Herrmann en 1966 sur The Torn Curtain (Le Rideau Déchiré), lui demande de mettre en musique Family Plot (Complot de Famille), qui sera l’ultime film du réalisateur britannique. Si ce dernier donne au compositeur de nombreuses directives extrêmement précises, il ne demandera jamais à entendre la moindre note avant les sessions d’enregistrement, gage de l’aura toujours grandissante de Williams.

 

 

Le musicien enchaîne la même année sur les partitions de The Missouri Breaks d’Arthur Penn, un western pour lequel il rompt avec la tradition de l’americana pour lui préférer des harmonies issues du jazz et du blues, et Midway (La Bataille de Midway), dont la marche renvoie Williams aux années passées sous le drapeau de l’US Air Force. La même année, il compose également un Concerto For Violin and Orchestra, une œuvre de concert particulièrement importante pour lui puisque dédiée à sa femme Barbara Ruick, décédée prématurément en 1974.

 

Produit par la Paramount, Black Sunday est proposé en 1977 à Williams comme une évidence, et constituera sa dernière incursion dans l’univers du film-catastrophe. Sa maîtrise du genre allant crescendo de film en film, Black Sunday s’impose comme le fleuron du genre. Le réalisateur John Frankenheimer ne tarit d’ailleurs pas d’éloges sur la contribution de Williams au film, malgré une post-production compliquée qui obligera Williams à retourner en studio pour réenregistrer une nouvelle version du climax, très éloignée de celle composée initialement.

 

Mais 1977 marque surtout la naissance de la saga la plus populaire du septième art. C’est Steven Spielberg qui incite son ami Georges Lucas à associer Williams au projet Star Wars, alors que le film ne devait à l’origine n’avoir pour score qu’une sélection de musiques classiques. Les pièces de Strauss, Wagner ou Korngold constituent une base de travail de choix pour le musicien, enthousiaste à l’idée de composer une musique nourrie par ses influences classiques, en les adaptant à un support filmique inattendu : une fresque de science-fiction. Le film et sa musique constituent un tel choc pour les spectateurs que l’album du score devient ainsi à l’époque la plus grosse vente du genre. La partition de Williams, récompensée de nouveau par un Oscar, achève de le mettre à une place qu’il ne quittera plus, celle du compositeur le plus courtisé d’Hollywood.

 

La déferlante Star Wars ne doit pourtant pas faire oublier sa troisième collaboration avec Steven Spielberg, la même année, sur Close Encounters Of The Third Kind (Rencontres du Troisième Type). Bien que le film relève lui aussi de la science-fiction, son thème n’en demeure pas moins plus intimiste puisqu’il porte essentiellement sur la difficulté de communiquer. Un problème que ne semblent décidemment pas avoir le réalisateur et son compositeur, la vision de l’un étant une fois de plus magnifiée par la musique de l’autre. Un an avant que la moindre image ne soit tournée, Spielberg demande la désormais fameuse séquence de cinq notes (Williams envisageait de son côté sept notes pour en faire une mélodie, alors que Spielberg ne souhaitait qu’un « signal » musical), car la musique tient ici une place essentielle : les extra-terrestres communiquent en effet par la lumière, les couleurs et la musique, finissant par dialoguer avec les humains par le biais de ce langage universel. Inspiré par les théories de Scriabine sur les couleurs synesthésiques, Williams teste des centaines de combinaisons et élabore pour le film une double composition : d’un côté une musique tonale très linéaire fondée sur une harmonie romantique, de l’autre une musique abstraite et atonale basée sur un motif mathématique, avant de réunir les deux approches pour faire jaillir l’émotion du chaos en unissant ces deux voix musicales à priori opposées.

 

 

L’année suivante ne sera pas moins marquante, Williams enchaînant sur le très attendu Superman, qu’il envisage de nouveau sur un mode symphonique, souhaitant offrir au film de Richard Donner une partition héroïque et opératique tout en évitant de se prendre totalement au sérieux. Faisant appel au London Symphony Orchestra pour la seconde fois après Star Wars (il réutilise d’ailleurs pour le thème du diabolique Lex Luthor un motif non retenu du film de George Lucas), il compose une marche flamboyante qui restera à jamais ancrée dans l’inconscient collectif américain comme l’archétype du thème de super-héros.

 

Ami de Spielberg, Brian de Palma est naturellement amené à rencontrer John Williams, auquel il propose The Fury (Furie), initialement confié à Bernard Herrmann peu avant sa brutale disparition. Le compositeur livre ici l’une de ses partitions les plus torturées et les plus sombres. Il termine l’année en parcourant les fonds marins de Jaws 2 (Les Dents de la Mer 2), bien que Spielberg ne soit associé au film qu’en tant que producteur, et profite de l’occasion (un budget confortable et un orchestre plus important) pour développer le canevas musical mis en place sur le premier opus.

 

En 1979, il compose la musique du Dracula de John Badham, imaginant le film comme une histoire d’amour tragique à la façon de Tristan et Yseult, et livre une partition profondément ancrée dans la tradition anglaise du XVIIème siècle pour mieux souligner l’élégance et les qualités à la fois romantiques et érotiques du vampire. Williams enchaîne la même année sur 1941, qui sera l’un des rares échecs commerciaux de Spielberg. Traiter la seconde guerre mondiale sur un mode parodique en y incluant des scènes de comédie musicale était un pari risqué, et le public n’est pas prêt à accepter de Spielberg ce type de fantaisie. Ce qui ne remet guère en question l’incroyable énergie que Williams insuffle à l’ensemble par une marche militaire ironique qui reste à ce jour la préférée de Spielberg.

 

La suite la plus attendue de la décennie sort enfin sur les écrans en 1980 : The Empire Strikes Back (L’Empire Contre-Attaque), d’Irvin Kershner, offre à Williams l’occasion d’explorer plus avant la thématique mise en place sur Star Wars. Cette suite, conçue véritablement comme un drame shakespearien, met encore plus l’accent sur les archétypes propres au récit mythologique. Williams y développe donc des thèmes supplémentaires pour structurer ce récit et donner une voix en propre à tous les personnages importants. La saga confirme son statut de succès planétaire, et le nom de John Williams est désormais indissociable de Georges Lucas et Steven Spielberg et des succès populaires qu’ils alignent avec une facilité déconcertante.

 

 

Stephanie Personne
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