Portrait de John Williams

Le triomphe de l'émotion

Portraits • Publié le 06/06/2011 par

 

En 2000, Roland Emmerich remplace au pied levé son compositeur habituel, David Arnold (qui a pourtant déjà commencé à travailler sur le film) et confie la musique de The Patriot (Le Patriote) à John Williams. Celui-ci prend le parti de façonner un score plus héroïque que patriotique, mettant en musique davantage la conscience d’un homme que la gloire d’un pays.

 

L’année suivante, A.I. Artificial Intelligence (A.I. Intelligence Artificielle) sort sur les écrans et s’impose comme une œuvre-somme. Initié par Stanley Kubrick, le projet est repris par Spielberg à la mort de celui-ci et trouve sa résolution dans la fusion de ces deux voix à priori opposées : l’intelligence incisive et glacée du premier et l’intelligence émotionnelle du second. Spielberg choisit bien évidemment Williams pour mettre en musique ce conte philosophique : « C’est le plus grand conteur musical de tous les temps », dit-il à son propos. Illustrer la relation entre l’homme et la machine, travailler sur des sonorités organiques et mécaniques, trouver la voix musicale d’un petit androïde pour donner du sens à la quête de soi… tout cela renvoie Williams aux grandes heures de création vécues sur Close Encounters Of The Third Kind, et sa musique parvient à transcender tous les concepts pour, à l’image du film, toucher directement l’âme et le cœur.

 

Toujours en 2001, Williams rejoint Chris Columbus pour l’adaptation cinématographique d’une célèbre saga littéraire : Harry Potter And The Philosopher’s Stone (Harry Potter à l’Ecole des Sorciers). Le compositeur se fond avec une aisance déconcertante dans l’univers créé par J.K. Rowlings et démontre à nouveau sa fantastique maîtrise du thème, mélange exquis de bois et de cordes devenu très vite indissociable du personnage du jeune héros.

 

Si les années 2000 sont pour John Williams l’occasion de réduire le rythme de ses compositions pour le cinéma, certaines années ne sont pas pour autant de tout repos. Il compose en 2002 les scores de quatre films, et pas des moindres ! L’année commence avec le second volet de la nouvelle trilogie Star Wars, Attack Of The Clones (L’Attaque des Clones), pour lequel il imagine entre autres un sublime thème romantique, mais perd définitivement la bataille contre les effets sonores du film et les multiples remontages de ce dernier.

 

 

Tout le contraire de son expérience avec Spielberg, leur dix-huitième collaboration soulignant leur incroyable complicité et leur capacité à se renouveler sans cesse. Minority Report est un film de rupture, un objet d’art coupant, sans rondeurs ni compromis, une affirmation forte de l’univers visuel de son auteur, que Williams traduit de nouveau par le biais d’une musique inspirée, trouvant sa source dans le film noir. Spielberg résumera le parti pris de son compositeur ainsi : « Si la plupart des scores de John Williams pour mes films sont en couleurs, je considère ce score comme son premier en noir et blanc. » En symbiose totale, les deux artistes accèdent à un nouvel état de conscience dans leur art, dépouillé de toute fioriture : l’adéquation musique/image n’a jamais été plus juste.

 

Après un retour dans les couloirs d’Hogwarts pour Harry Potter And The Chamber Of Secrets (Harry Potter et la Chambre des Secrets), dans lequel il développe la thématique mise en place sur le premier opus, en introduisant graduellement des motifs plus sombres qui accompagnent l’évolution des personnages, Williams retrouve de nouveau Spielberg pour un vrai moment récréatif : Catch Me If You Can (Attrape-moi si tu peux). La note d’intention du film étant annoncée dès le générique, animé à la façon des comédies des années soixante, le compositeur revisite les partitions jazz de ses débuts, insufflant une énergie joyeuse aux aventures du personnage principal, et soulignant le caractère obsessionnel de ce dernier en façonnant sa musique sur un mode presque sériel. Sous une apparente improvisation typique du jazz, la musique est, comme toujours chez Williams, écrite à la mesure près.

 

Il entame l’année 2004 en collaboration avec Alfonso Cuarón pour Harry Potter And The Prisoner Of Azkaban (Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban), signant ici son dernier score pour la franchise. Beaucoup plus sombre que les deux précédents, le film bouscule l’univers merveilleux de la série et multiplie les passages angoissants. La même année, pour The Terminal (Le Terminal) de Spielberg, il s’inspire de la musique d’Europe de l’Est en élaborant une partition colorée par la clarinette et le cymbalum, soulignant le caractère doux-amer de cette fable.

 

2005 est encore une année très chargée pour le compositeur : alors qu’il achève dignement le troisième et dernier épisode de la saga Star Wars, Revenge Of The Sith (La Revanche des Sith), en conférant à la chute du personnage d’Anakin dans le côté sombre de la Force un thème poignant sublimé par les chœurs, il se retrouve engagé dans un véritable marathon cinématographique aux côtés de Steven Spielberg. War Of The Worlds (La Guerre des Mondes) constitue le point d’orgue de la trilogie de science-fiction du réalisateur pour cette décennie, permettant à Williams d’aller encore plus loin dans l’élaboration de textures organiques, dans une partition plus atonale qu’harmonique, malgré quelques clins d’œil musicaux aux films de monstres des années cinquante.

 

 

Spielberg envisage un temps de réaliser Memoirs Of A Geisha (Mémoires d’une Geisha), mais victime d’un emploi du temps trop chargé, il se contente finalement de produire le film. Le projet ayant été évoqué de longue date avec Williams, qui avait commencé à proposer des pistes pour le score, c’est tout naturellement que le réalisateur Rob Marshall fait appel à lui. Le défi consistant ici pour le compositeur à fusionner les bases de la musique japonaise aux idiomes mélodiques occidentaux. Il fait appel aux talents conjugués de Yo-Yo Ma et du violoniste Itzhak Perlman pour faire entendre cette nouvelle voix. L’année se termine avec Munich, pour lequel il met en avant les sonorités typiques de l’oud, de la cithare hongroise, de la clarinette, et la voix de Lisbeth Scott, l’une des plus exceptionnelles d’Hollywood.

 

Williams profite d’une accalmie dans ses engagements hollywoodiens pour travailler sur des compositions plus personnelles et poursuit ses tournées de concerts un peu partout sur le territoire américain. Ce n’est qu’en 2008 qu’il repart à l’aventure avec Indiana Jones And The Kingdom Of The Crystal Skull (Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal), élaborant pour l’occasion une partition qui, si elle rend hommage aux thèmes célèbres de la franchise, s’enrichit également de nouvelles harmonies reflétant le style plus sec et épuré que le compositeur développe depuis le début du nouveau millénaire. Il compose la même année la musique d’un documentaire, A Timeless Call, dédié aux vétérans américains et réalisé par Spielberg lui-même à l’occasion de la convention démocrate, et compose Air And Simple Gifts, qu’il dirige en janvier 2009 lors de l’investiture de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis. Il reçoit d’ailleurs l’année suivante la National Medal of Arts des mains du président américain.

 

Il faudra attendre 2011 pour que le compositeur retrouve l’univers de Steven Spielberg pour mettre en musique de The Adventures Of Tintin : The Secret Of The Unicorn (Les Aventures de Tintin : le Secret de la Licorne) et War Horse, qui sera une nouvelle incursion dans le film de guerre pour le réalisateur de Saving Private Ryan.

 

La carrière de John Williams compte parmi les plus remarquables d’Hollywood, non seulement parce qu’elle s’étend sur près de six décennies, mais aussi et surtout parce qu’il a imprimé sa personnalité unique au septième art comme peu d’autres l’ont fait avant lui. 45 nominations à l’Oscar (dont 5 remportés) et des dizaines d’autres récompenses témoignent du statut unique qu’il occupe à Hollywood, du talent indiscutable du musicien et de l’extraordinaire capacité de cet artiste à se renouveler sans cesse pour mieux « écouter » le cinéma, tout cela associé à la modestie d’un homme qui ne se repose jamais sur ses succès et estime avoir, encore aujourd’hui, des choses à apprendre.

 

 


Illustrations : DR

Texte original : © UnderScores 2010

Remerciements à Alexandre Tylski pour avoir initié cet ambitieux projet

Stephanie Personne
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