Portrait de John Williams

Le triomphe de l'émotion

Portraits • Publié le 06/06/2011 par

 

C’est la Columbia qui, en 1955, ouvre ses portes au jeune Johnny Williams. Celui-ci intègre l’orchestre du studio en tant que pianiste et fait la connaissance de Morris Stoloff, alors en charge du département musical. Impressionné par le talent du jeune homme, Stoloff lui permet, en plus de son travail d’accompagnateur, de participer aux orchestrations et arrangements des partitions de plusieurs films du studio. Encouragé par son mentor, il décide en 1956 de proposer ses talents en freelance à d’autres studios, notamment à la Fox. C’est ainsi qu’il se retrouve associé à nombre de compositeurs illustres tels que Dimitri Tiomkin, Franz Waxman, Alfred Newman, Elmer Bernstein ou encore Jerry Goldsmith. C’est également à cette époque qu’il tisse de surprenants liens d’amitié avec Bernard Herrmann, pourtant réputé infréquentable : « Il y avait toujours une certaine adversité dans les relations avec Herrmann […] mais Benny était toujours très chaleureux avec moi, bien plus qu’avec d’autres. »

 

En 1958, un nouvel accord avec l’AFM (American Federation of Musicians) impose aux studios de ne plus utiliser des musiques préexistantes pour leurs séries TV afin de stimuler la création de musiques originales. Le besoin de jeunes talents se fait pressant : il faut fournir des dizaines d’heures de musique en prime time chaque semaine.

 

Stanley Wilson, directeur musical du studio Revue (qui appartient alors à Universal), entend parler de la contribution de Johnny Williams en tant que pianiste sur de nombreux projets, notamment la partition qu’Henry Mancini vient de composer pour la série Peter Gunn et celle de Staccato (Johnny Staccato), une série TV mise en musique par Elmer Bernstein (Williams fait même une apparition dans le pilote, remplaçant John Cassavetes au piano). Intéressé par le parcours musical du jeune homme, Wilson lui propose plusieurs épisodes de la série M Squad. C’est le début d’une collaboration fructueuse avec le studio qui se poursuivra avec Wagon Train (La Grande Caravane), Bachelor Father et Checkmate (Echec et Mat) en 1960. Williams composera pour cette dernière le thème principal et la musique des 36 épisodes de la première saison, ce qui constitue son premier travail de composition en solo : « J’ai dû produire bien plus de musique que d’habitude et je devais être en studio d’enregistrement chaque semaine. Peut-être Wilson a-t-il pensé que je serai très à l’aise sur Checkmate parce qu’il s’agissait d’un score très orienté jazz. »

 

 

De fait, le jazz était le style de rigueur depuis deux ans sur toutes les séries policières, sous l’influence du score de Mancini pour Peter Gunn. Sur Checkmate, Williams parvient pourtant à se démarquer de cet effet de mode en tirant le maximum d’un petit ensemble d’une vingtaine de musiciens afin de créer une ambiance tout à fait appropriée à la série, mais qui ne lui permet pas de composer des mélodies mémorables. L’occasion se présente à lui de le faire dès 1961, lorsqu’on lui demande de mettre en musique la série Alcoa Premiere présentée par Fred Astaire. Chaque épisode s’inscrivant dans un genre différent, Williams a ainsi la possibilité de passer du mélodrame à la comédie, du film de guerre à l’intrigue policière. Une formidable expérience qui lui vaudra ses deux premières nominations aux Emmy Awards, pour chacune des deux saisons du show.

 

Alors que son travail pour la télévision devient de plus en plus remarqué, il compose également les partitions de plusieurs films parmi lesquels Daddy-O en 1959, Because They’re Young en 1960, Diamond Head et Gidget Goes To Rome en 1963. Le jeune compositeur bénéficie désormais de l’expérience acquise sur Alcoa Première et l’utilise au mieux en tirant parti d’un orchestre plus important qui lui permet de poser les bases de son style.

 

En 1963 et 1964, il poursuit son travail pour le petit écran sur les séries Kraft Suspense Theatre (Haute Tension), sur laquelle il rencontre Robert Altman, Chrysler Theatre pour le studio Revue et Gilligan’s Island (L’Île aux Naufragés) pour CBS. Il commence parallèlement à écrire des pièces de concert (dont Essay For Strings) sur l’impulsion donnée par Bernard Herrmann, mais consacre de plus en plus de temps à ses compositions pour le cinéma. En 1965 sortent sur les écrans John Goldfarb, Please Come Home! (L’Encombrant Mr. John) et None But The Brave (L’Île des Braves). Pour ce dernier, Williams retrouve son mentor Morris Stoloff, devenu directeur musical de Reprise, le label discographique de Frank Sinatra, qui s’avère être le réalisateur et l’interprète principal du film. De cette rencontre, Williams dira : « Il n’aurait pas pu être plus gentil, rempli de considération et de reconnaissance […] Je sais qu’il a la réputation d’être difficile mais je n’ai jamais eu autre chose que la plus fantastique et délicieuse relation avec lui. Je pense que Frank s’entend bien avec les musiciens : il apprécie les gens qui font de la musique. » None But The Brave offre au jeune compositeur l’opportunité de modeler davantage son style, mélange de cuivres audacieux et d’envolées de cordes lyriques. C’est aussi une source d’inspiration personnelle pour un Concerto For Flute And Orchestra écrit un peu plus tard en 1969 (mais qui ne sera joué pour la première fois qu’en 1978).

 

 

1965 est aussi l’année où Williams rencontre Irwin Allen, producteur à la Fox de la série Voyage To The Bottom Of The Sea (Voyage au Fond des Mers). Après avoir essuyé une crise historique, le studio entame un renouveau grâce à des films et séries à succès, et un département musical foisonnant de multiples talents : Alex North, Jerry Goldsmith, Alexander Courage et les orchestrateurs Herbert Spencer et Arthur Morton, tous recrutés par Lionel Newman. Sur les conseils de ce dernier, Allen propose à Williams de mettre en musique sa nouvelle série, Lost In Space (Perdus dans l’Espace), qui sera la première incursion du compositeur dans l’univers de la science-fiction. Il compose le thème principal et quatre des sept premiers épisodes, mêlant approche orchestrale traditionnelle et sons électroniques, grandes lignes harmoniques et éléments dissonants. Le style Williams est en marche…

 

En 1966, après avoir composé la musique d’un western avec James Stewart, The Rare Breed (Rancho Bravo), il se voit confier ce qu’il appelle son « premier film véritablement important » : How To Steal A Million (Comment Voler un Million de Dollars), une comédie de William Wyler. L’occasion pour Williams de retrouver Audrey Hepburn, qu’il avait accompagnée au piano sur Funny Face (Drôle de Frimousse) en 1957, et de profiter du succès du film pour être associé à des projets de plus en plus importants.

 

Alors que son contrat avec le studio Revue prend fin, Johnny continue sa collaboration avec Irwin Allen sur les séries The Time Tunnel (Au Cœur du Temps) et Land Of The Giants (Au Pays des Géants) et compose la musique de plusieurs comédies. En 1967, A Guide For The Married Man marque sa première collaboration avec Herbert Spencer, qui deviendra son orchestrateur attitré de 1974 à 1992, date de sa disparition. La même année, il signe Fitzwilly pour Delbert Mann et est nominé pour la première fois à l’Oscar pour son adaptation des compositions de son ami André Prévin pour Valley Of The Dolls (La Vallée des Poupées). Sa collaboration avec Mann continue en 1968 sur Heidi, premier film à être signé John Williams et qui lui vaudra aussi son premier Emmy Award. L’année suivante, il collabore pour la première fois avec le réalisateur Mark Rydell pour The Reivers (Reivers), dans lequel il mêle ses couleurs musicales personnelles à celles de l’americana à la manière d’Aaron Copland.

 

La décennie s’achève sur une dernière collaboration avec Delbert Mann pour le téléfilm Jane Eyre, qui reste à ce jour l’une des partitions préférées du compositeur. Celle-ci démontre toute la sensibilité classique et la richesse du style unique de Williams, avec ses mélodies ciselées et ses lignes harmoniques complexes. Il remportera de nouveau un Emmy Award pour cette partition. Il adapte également la musique de Leslie Briscusse pour Goodbye Mr. Chips, ce qui lui vaudra l’année suivante une seconde nomination aux Oscars.

 

 

Stephanie Personne
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