HARRY POTTER AND THE PHILOSOPHER’S STONE (2001)
HARRY POTTER À L’ÉCOLE DES SORCIERS
Compositeur : John Williams
Durée : 73:36 | 19 pistes
Éditeur : Warner Sunset / Nonesuch / Atlantic
Alors qu’il était déjà célèbre auprès de milliers voire de millions de jeunes lecteurs, le sorcier imaginé par la romancière anglaise J.K. Rowling allait connaître un succès décuplé lors de son passage au grand écran, donnant lieu à l’une des sagas les plus populaires et les plus lucratives de l’histoire du cinéma. Débutée en 2001, cette odyssée filmique allait durer dix ans et marquer en profondeur tous ceux qui y ont participé, chacun à sa mesure. Composante primordiale d’un film appartenant au genre de la fantasy et se devant de proposer au public un spectacle total, la musique est loin d’être en reste et va même s’imposer comme l’un des principaux piliers de la saga Harry Potter. Dès le départ, cette réussite est l’œuvre d’un artiste (et quel artiste !), déjà compositeur de plusieurs monuments cinématographiques à la renommée planétaire : John Williams. En tant que collaborateur attitré de Steven Spielberg et de George Lucas, celui-ci est depuis longtemps passé maître dans l’art d’illustrer des longs-métrages mêlant aventure, science-fiction et fantasy : autant dire que la magie, ça le connaît ! En outre, il se montre d’autant plus à l’aise avec l’univers du jeune sorcier qu’il a déjà travaillé à trois reprises avec le réalisateur Chris Colombus, sur les deux Home Alone (Maman j’ai raté l’Avion) et sur Stepmom (Ma Meilleure Ennemie). Toutes les conditions sont donc réunies pour offrir à Harry Potter la meilleure musique qui soit.
Comme souvent dans les grandes sagas portées par des héros charismatiques – et Dieu sait si Williams est expert en ce domaine ! -, tout commence par un thème. Ici, ce sera celui d’Hedwig, la chouette d’Harry, qui deviendra le fer de lance de la partition. Présenté dès le Prologue, ce thème ouvrira désormais chaque film et sera la marque de fabrique de la saga, immédiatement identifiable par toute personne ayant de près ou de loin été en contact avec la civilisation durant ces dix dernières années. Employé dans les bandes-annonces, repris dans les jeux vidéo, dans les publicités à la télévision, utilisé comme sonnerie de téléphone portable, le fameux thème d’Hedwig connaîtra le même destin glorieux que ceux de Jaws (Les Dents de la Mer), d’E.T., de Star Wars et d’Indiana Jones, prouvant une fois encore, à l’aube de ses soixante-dix ans, combien Williams, plus qu’aucun autre grand compositeur de musique de film, a le génie des thèmes, des mélodies instantanément et éternellement mémorables.
Interprétée d’abord par un célesta, instrument de prédilection du compositeur, dont les notes cristallines sont parfaitement appropriées à l’évocation d’un monde merveilleux, puis par des cordes virevoltantes ainsi que par des bois et des cuivres discrets, la mélodie principale ressemble à une berceuse se muant peu à peu en une sorte de valse féérique tourbillonnante et étourdissante. Avec pour source d’inspiration majeure le célèbre Casse-Noisette de Tchaikovsky, Williams tisse une sorte de fil d’Ariane aussi fin, gracieux et aérien qu’une toile d’araignée brillante de rosée, aboutissant à Harry Potter en passant par Home Alone et surtout par la fée Clochette de Hook : bel exemple de cohérence et de progression dans l’exploration de la magie sous toutes ses formes ! Evoquant dans un premier temps le mystère, la découverte et le départ pour l’aventure, le thème d’Hedwig connaît un développement nouveau dans sa seconde partie et s’avère plus sautillant, plus malicieux, davantage associé aux farces d’Harry et de ses amis (depuis les mauvais tours réservés aux Dursley jusqu’aux courses-poursuites à dos de balais) et aux excursions endiablées à travers Hogwarts, qu’il s’agisse d’humains ou d’oiseaux ! Cette partie sera davantage développée dans le dernier morceau de l’album, le bien-nommé Hedwig’s Theme, dans lequel le célesta sera relégué au second plan au profit d’orchestrations plus massives et rutilantes dominées par les cuivres ronflants typiques du compositeur d’Indiana Jones. Précisons d’ailleurs que cette version du thème n’intervient pas dans le film et que la plupart des pistes proposées sur le disque sont des arrangements de concert différentes de celles entendues avec les images. Comme souvent, Williams a conçu l’album de la bande originale comme une œuvre à part entière, à l’instar d’une composition classique.
Deuxième thème fort mémorable, celui présenté au début de Harry’s Wondrous World, encore plus féérique que le précédent. Lyrique, émouvant, interprété par des cordes soyeuses et des flûtes enchanteresses, ce thème est porteur de tout l’espoir, de toute la lumière, de toute l’énergie positive du héros et de ceux qui le soutiendront dans sa quête : Ron et Hermione bien sûr, mais aussi les bienveillants Dumbledore, Hagrid et McGonagall, sans oublier les défunts parents James et Lily. Grandes vagues de violons, clochettes en pagaille, bois enjôleurs, tout est réuni pour susciter une fois encore un émerveillement profond et prolongé : à l’écoute des envolées triomphales de cette superbe suite (un medley des principaux thèmes qu’on entend durant le générique de fin), c’est toute la magie de l’enfance qui renaît pour le plus grand bonheur des auditeurs/spectateurs, et bien insensibles ceux qui ne sentiront pas les larmes leur monter aux yeux ! Par la suite, ce riche canevas permettra au compositeur de broder une splendide tapisserie conférant aux images une dimension supérieure. L’album édité par Warner, même s’il ne contient que soixante-treize minutes de musique alors que le film en est rempli quasiment de bout en bout, rend bien compte de tout le travail effectué par Williams en n’omettant aucune scène majeure et en présentant, une fois n’est pas coutume, les pistes dans l’ordre chronologique.
Depuis The Arrival Of Baby Harry jusqu’à Mr. Longbottom Flies en passant par Visit To The Zoo, le thème d’Hedwig fera l’objet de multiples variations allant du malicieux au très solennel, agrémentant la révélation du destin du héros ainsi que l’apparition du château dans la nuit étoilée d’envolées chorales de toute beauté, reflet idéal de la dimension merveilleuse du monde des sorciers. Celle-ci s’affiche de façon radieuse dans The Journey To Hogwarts et Entry Into The Great Hall : orchestrations chamarrées (abondance de cuivres, carillons, tambourins), rythmes chaloupés et mélodies sautillantes, fanfares tout droit sorties des Home Alone et marches exubérantes qui, étant donné le contexte (le banquet), ne peuvent que renvoyer aux passages les plus célèbres de Hook. Cette tonalité féérique issue des films de Chris Colombus consacrés aux fêtes de Noël se retrouvera inévitablement dans Christmas At Hogwarts, à son tour marqué par ce style débordant de fraîcheur et d’enthousiasme qui donne à croire que John Williams, pourtant vieil homme, est allé puiser son inspiration à la Fontaine de Jouvence !
Ainsi, pour décrire l’univers des sorciers, fera-t-il usage du sens de la fantaisie qu’on lui connaît en proposant dans Diagon Alley un mélange inattendu de percussions et de flûte à bec aux sonorités allant du médiéval au baroque, et de violon débridé qu’on croirait d’un Paganini tzigane ! Quant au thème associé à Hogwarts et à la maison Gryffindor, Hogwarts Forever!, sorte d’hymne aux accents pompeux très « vieille Angleterre » (certains y ont vu une référence à Edward Elgar), il est développé sur un mode presque parodique dans The Banquet et dans la seconde partie de Mr. Longbottom Flies, chaque fois que l’on a à faire au personnage burlesque de Neville. Pour finir, le comique étant toujours présent dans tout ce qui est lié à Hagrid, même son chien tricéphale, aussi effrayant soit-il, a droit à un morceau gentiment décalé : Fluffy’s Harp, qui oppose la lourdeur et l’aspect pataud du contrebasson à la grâce voluptueuse de la harpe, lors d’un duo insolite rappelant The Dialogue dans Close Encounters Of The Third Kind (Rencontres du Troisième Type).
Après cette longue mais jamais fastidieuse exploration du monde des sorciers, Williams se recentre sur l’action et sur l’aventure. A ce titre, le clou du spectacle est sans aucun doute The Quidditch Match, morceau-pivot de la partition, longue piste de plus de huit minutes marquée par un nouveau thème vigoureux, triomphal et instantanément séduisant, que l’on retrouve dans la suite Harry’s Wondrous World (au même titre que celui de Hogwarts, dans un registre plus noble et plus épique). Succédant à une ouverture très martiale fondée avant tout sur des percussions et des cordes très graves, ce thème constitue la solide charpente d’une pièce qui va ensuite s’orienter rapidement vers l’action échevelée, épousant à la perfection les multiples circonvolutions des balais, les poursuites, les descentes, les remontées, les loopings… Dense, frénétique et virtuose, The Quidditch Match contient évidemment tout ce qui fait le style de John Williams depuis des années et certains pourront trouver que là encore on ne s’éloigne pas assez de ce qu’on pouvait entendre dans les Star Wars ou les Indiana Jones, mais le résultat n’en demeure pas moins éblouissant. Notons que vers la fin du match, lorsque le balai d’Harry est possédé, on entend pour la première fois le thème de Voldemort, fait d’attaques de cuivres grinçants mêlés à des chœurs maléfiques, effet d’annonce suggérant que derrière le sorcier malveillant (Quirrell ou Snape ? on ne le sait pas encore !) se cache l’ombre du « Dark Lord » en personne. Ce thème apparaîtra également lorsqu’Harry et Draco exploreront la Forêt Interdite, mais cette scène n’est pas présente sur le disque.
Dans le dernier tiers du film et de l’album, on trouvera une alternance régulière de passages trépidants et de séquences tendues voire effrayantes. Cela dit, les ténèbres et la menace étaient déjà intervenues dès The Gringotts Vault, lorsqu’Hagrid avait récupéré la Pierre Philosophale : le thème associé à cet objet redoutable, froid et menaçant, apparaît d’abord sous une forme mineure et insidieuse (le thème du Crâne de Cristal dans le quatrième Indiana Jones lui devra beaucoup) puis éclate soudain à grand renfort de chœurs funèbres ; on le réentendra de plus en plus fréquemment au fur et à mesure que les héros approcheront du terme de leur quête. Une première rencontre avec le danger s’était déroulée dans The Moving Stairs, où des voix glaçantes annonçaient la proximité de la Pierre Philosophale et de son gardien, entraînant les héros dans une course éperdue. Dans Christmas At Hogwarts, les accents pimpants du début font rapidement place à un chant de Noël murmuré par des voix sépulcrales, sur un mode presque inquiétant, et l’on entend déjà les sonorités synthétiques étranges et planantes du très prenant The Invisibility Cloak And The Library Scene.
Avec In The Devil’s Snare And The Flying Keys et The Chess Game, le compositeur enchaîne les morceaux de bravoure virtuoses. Dans le premier, la plante maléfique est illustrée par une abondance de cuivres grinçants et de cordes grondantes formant un mélange étouffant et toxique, tandis que la poursuite en balais pour récupérer la clé de la pièce suivante s’effectue au son d’envolées grisantes pleines de clochettes qu’on pourrait croire autant tirées de Raiders Of The Lost Ark (Les Aventuriers de l’Arche Perdue) que de Hook. Dans le second, la partie d’échecs menée avec autorité par Ron donne lieu à un déchaînement martial des plus jouissifs : tambours, caisses claires, xylophone, fanfares solennelles… L’emphase et l’exagération sont de rigueur et c’est tant mieux ! Enfin, ultime révélation et ultime affrontement, The Face Of Voldemort permet aux héros de découvrir le vrai visage de leur ennemi : dans cette piste ambitieuse de six minutes, pleine de mystère et de menace, se croisent à de multiples reprises les thèmes de la Pierre Philosophale et de Voldemort, en un long crescendo ponctué de brusques accès de colère. Avec son alliance de chœurs et de cuivres ombrageux, de violons dramatiques et de flûtes criardes, ce morceau fait beaucoup penser aux Jurassic Park et s’achève dans un chaos dévastateur et salutaire.
Avant d’abandonner son auditeur fasciné et enchanté, Williams lui fait encore un dernier cadeau dans Leaving Hogwarts avec la reprise triomphale du thème associé à Harry et ses parents, entendu dans The Library Scene lorsque le héros découvre le Miroir d’Erised. Ce thème, repris également dans Harry’s Wondrous World, permet d’achever en beauté un score d’une richesse fabuleuse, plein de mélodies inoubliables, orchestré avec grand talent et surtout doté d’une âme sincère et profonde. L’univers de Williams et celui de J. K. Rowling revisité par Chris Colombus se marient à la perfection comme si leur rencontre avait été prévue de toute éternité : le compositeur de Harry Potter And The Philosopher’s Stone va ainsi livrer une nouvelle œuvre-phare de sa filmographie et marquer la saga de son empreinte puissante et indélébile comme personne ne le fera après lui. Malgré tous les efforts – ô combien louables – de ses successeurs, la musique des Harry Potter, ce sera, pour toujours, celle de John Williams.