Spy Connection #3

Dupliquer n'est pas jouer

Disques • Publié le 29/10/2015 par

Ils s’appellent Derek Flint, Francis Coplan, Hubert Bonisseur de La Bath, Dick Malloy. Les besoins de leur profession les ont affublés de matricules ésotériques comme A-S 3, OSS 117 ou X 1-7. Ils portent (plus ou moins) avantageusement le smoking, déambulent dans des décors tout droit issus d’une brochure touristique, et ni les menaces proférées par quelque génie du mal au petit pied, ni les jambes gainées de noir qu’exhibent de lascives gourgandines ayant juré leur perte, ne peuvent égratigner leur flegmatique réserve. Bien entendu, toute ressemblance avec James Bond ne saurait être que fortuite…

 

Eurospy Logo 1#1 – (Une) opération (du) tonnerreEurospy Logo 2
#2 – Bons baisers d’Umiliani
#3 – Dupliquer n’est pas jouer
#4 – Au service secret de l’Élysée
#5 – Les clones ne meurent jamais
#6 – Lalo Royal
#7 – Spyfall
#8 – Le monde ne leur suffit pas

 

Au début des années 60, dans le sillage du rouleau-compresseur James Bond, la France a été parmi les plus rapides à enfiler un smoking immaculé et à faire parler le Walther PPK d’usage. Voilà qui n’estomaquera que les jeunes spectateurs ou les cinéphiles à la mémoire courte, pour qui notre beau pays n’a jamais produit que des gaudrioles sans conséquence et des films cavalièrement qualifiés « d’ôteur. » Fut pourtant bel et bien un temps où le public n’avait pas besoin de se tourner systématiquement vers Hollywood pour étancher sa soif de sensations fortes. On pourrait même soutenir, au prix de quelques abrégés téméraires, que les ancêtres (plus ou moins) légitimes de 007 ont d’abord fréquenté les salles françaises. Les années 50, en plein boom des adaptations de romans de gare à l’écran, sont un paradis pour les aventures des Lemmy Caution, Nick Carter, Géo Paquet dit le Gorille et autres barbouzes auxquels Lino Ventura, Roger Hanin et surtout le buriné Eddie Constantine ont prêté leur carrure d’armoire à glace. Surgi de nulle part, le phénomène Bond a tout chamboulé. Exit la violence sèche et les coupe-gorge noyés d’ombres expressionnistes, influence revendiquée des séries noires américaines, et place à l’exotisme barbouillé de couleurs où s’épanouissent les espions new look. Une vraie cure de jouvence à laquelle, évidemment, la musique ne pouvait échapper.

 

D’un coup d’un seul, les mélodies jazzy de Paul Misraki, qui lorgnaient sans équivoque du côté d’Elmer Bernstein ou d’Alex North pour suggérer une rudesse hard-boiled, s’en sont trouvé quasi ringardisées. Il fallait innover, expérimenter, au besoin partir dans tous les sens. Dans la meute des nouveaux agitateurs, Michel Magne est probablement celui qui a tiré les plus beaux marrons du feu. Presque tous les héros de la discipline (les joyeux barbouzes de Lautner, Francis Coplan, son Altesse Sérénissime Malko Linge, qui se trouve nanti dans SAS à San Salvador d’une pochade pop rock aussi divertissante que futile) ont joui de sa gouaille roborative, à commencer par leur incontestable leader, Hubert Bonisseur de La Bath, alias OSS 117. Nappé d’un second degré exquis, oscillant sur le seuil du je-m’en-foutisme caricatural qu’il se garde judicieusement de franchir, le leitmotiv imaginé par Magne fait preuve d’un sacré culot. Le romancier Jean Bruce n’a pas dû y reconnaître sa progéniture ! Quarante ans après, la folie douce du compositeur trouvait un écho inattendu et jubilatoire dans le revival parodique d’OSS 117. Michel Hazanavicius, Jean Dujardin et Ludovic Bource, frères siamois de la déconnade racée, revitalisaient sans crier gare l’esprit ubuesque et l’easy listening tant propice au farniente que l’on ne pensait pas retrouver un jour dans le cinéma de l’Hexagone. Grâce à l’exubérant trio, les vieux de la vieille dispersés parmi le public se remémoraient soudain, entre autres bizarreries floutées du sépia d’antiques souvenirs, que le commissaire Navarro avait sillonné des contrées lointaines dans une autre vie et distribué moult taloches sous l’identité du Tigre. Le tout emballé avec une conviction chancelante par un Claude Chabrol en rupture provisoire de ces diatribes qu’il a toujours aimé jeter à la figure des bourgeois de province.

 

Casse-Tête Chinois pour le Judoka 

Un qui ne devait guère goûter la saveur d’aussi particulières madeleines de Proust, c’est le regretté Pierre Jansen. On peut penser que son incursion composée de quelques films chez les espions de quat’sous, qui avait naguère sanctionné sa fidélité envers Chabrol, n’est pas restée le plus scintillant souvenir de ses anciennes années cinéma, dont il ne consentait qu’à parler avec amertume et sévérité (Le Boucher était son unique fierté). Ce qui ne signifie pas, tant s’en faut, que cet indiscutablement grand compositeur ait saboté sans vergogne son ouvrage. Dans Le Tigre Aime la Chair Fraiche, tout petit B archétypal de la pénurie d’idées neuves qui minait l’Eurospy, Jansen fait des étincelles grâce aux exigences jamais rabotées de son écriture. Marie-Chantal contre le Docteur Kha s’avère tout aussi minutieusement ciselé, avec en prime, apposées ça et là, de subtiles touches d’ironie illustrant pour le mieux un scénario digne d’une enquête de Fantômette. Tandis que Chabrol s’ingénie comme il peut à trouver le ton distancié qui sauverait son film de la panade, les cordes exécutent de froids pizzicati, puis cèdent au charme de l’héroïne un peu fofolle en délivrant une valse aux petits airs mutins. Qu’un compositeur « sérieux » tel que Jansen ait réussi à si brillamment se dépêtrer des pièges des sous-James Bond donne une sacrée envie d’entendre ce qu’Antoine Duhamel, artiste également consacré, a pu faire de Casse-Tête Chinois pour le Judoka, nanar de choix à ce qu’on raconte. Gageons qu’on doit y relever de beaux zestes de l’humour débridé qui imprègne Cinq Gars pour Singapour, constellé des glouglous délicieusement saugrenus que Duhamel a lui-même tirés d’une simple paille.

 

La fantaisie : voilà le maître-mot pour tous ceux, figures d’importance de la Nouvelle Vague ou artisans populaires, qui ont tâté de l’Eurospy. De ce côté-là, Philippe de Broca n’avait de leçon à recevoir de personne. Au pinacle de sa carrière dans les années 60, il décroche certains de ses plus beaux succès grâce à l’irrésistible triumvirat qu’il forme avec Jean-Paul Belmondo et Georges Delerue. Le premier, hâbleur, intrépide, incarne idéalement un nouveau type d’aventurier qui, dans l’esprit agile du cinéaste, est autant redevable à Ian Fleming qu’à Hergé. Le second, pas encore intronisé grand maître néo-classique, laisse rarement filer une occasion de s’amuser. Et des plaisirs récréatifs, L’Homme de Rio et Les Tribulations d’un Chinois en Chine en débordent de toutes parts. De la joyeuse java brésilienne de l’un à l’Extrême-Orient tout droit sorti d’une bande dessinée de l’autre, de poursuites endiablées à des chœurs gutturaux ombrant soudain les vives couleurs musicales d’une inquiétante noirceur, Delerue ne faiblit pas un instant et attaque sur tous les fronts, un large sourire aux lèvres. Le résultat, euphorisant à souhait, aurait dû constituer pour le grand Georges une rutilante carte de visite quand de Broca partit, en 1973, en quête d’un compositeur apte à refléter toute la démesure parodique de l’invincible Bob Saint-Clar.

 

L'Homme de Rio

 

Au lieu de quoi, c’est Claude Bolling, profitant de l’indisponibilité de son illustre confrère, qui remporta le morceau. Si des esprits chagrins le déplorèrent, ils durent vite se rendre à l’évidence : Bolling avait tout compris au Magnifique. Un peu du gai carnaval de L’Homme de Rio saille sous les palmiers d’un Mexique fantasmé par l’écrivain de douzième zone François Merlin (Belmondo, encore), mais ce n’est qu’une des multiples facettes d’une partition délirante et sarcastique. Que Bébel mitraille un Jean Lefebvre hébété dans une pléiade de gerbes de sang « peckinpesques » ou qu’il bondisse au ralenti dans une décapotable, Bolling, tel un mariachi aviné, joue presque systématiquement la carte du contrepied. Un déploiement de dérision comme celui-ci aurait-il eu des effets aussi heureux dans le film omnibus Guerre Secrète ? A voir Bourvil pratiquement transformé en James Bond français, courant l’arme au poing et s’adonnant à la varappe à flanc d’immeuble, les compositeurs Robert Mellin et Gian Piero Reverberi ont dû envisager, au moins un temps, de basculer dans le n’importe quoi loufoque. Le cadre plutôt dramatique du récit les a finalement aiguillés vers un ton sérieux et point trop emphatique. On en conviendra, la méthode ne mange pas de pain mais à l’intérêt de prévenir les sorties de route par trop brutales.

 

Maintenant, prenez Pierre Richard. Avec son sourire de gentil benêt et sa gestuelle élastique, on ne l’imaginait pas davantage que Bourvil en terreur des services secrets. L’approche est cependant tout autre, car Le Grand Blond avec une Chaussure Noire et sa suite, Le Retour du Grand Blond, s’inscrivent ouvertement dans la catégorie populaire et par essence comique de « l’espion malgré lui » (un créneau où le mongoloïde Tais-toi quand tu Parles, musicalisé dans la joie et la bonne humeur par Armando Trovaioli, montre également les crocs). Pas d’erreur, Vladimir Cosma, toujours à l’affût d’une facétie musicale, était l’homme de la situation. Armé d’une flûte de Pan volubile, il offre au diptyque d’Yves Robert, et à la postérité par la même occasion, un thème formidablement entrainant et plein de malice. Des deux volets, Le Retour du Grand Blond se révèle sans mal le plus déglingué, l’étourdissante fièvre de Rio aidant (décidément, le Brésil est l’une des destinations favorites des super-espions). Le temps d’un Blackfinger titré avec espièglerie, Cosma affronte même James Bond et les voluptueuses nappes de cordes si caractéristiques du style de John Barry. Hélas, quand arrive en 1991 La Totale, aimable fantaisie où Thierry Lhermitte se démène comme un beau diable entre d’infâmes terroristes et sa femme ingénue, nous retrouvons cette vitalité dans le pastiche à un stade de décomposition avancé. Les mésaventures du grand blond désormais lointaines, c’est au pire des eighties que le pauvre Cosma se hasarde cette fois à se référer. Clairement pas dans son élément, le voilà réduit à soutirer d’ineptes couinements de sa guitare électrique, qu’il accommode de-ci de-là de synthés passe-partout. Même Brad Fiedel au plus bas de sa forme aurait eu peine à régurgiter quelque chose d’aussi gratiné. Voilà qui tombe à pic (si l’on peut dire), c’est justement le compositeur de Terminator qui, trois ans après, embarque à bord de l’hénaurme remake mis en scène par James Cameron. Mais ses habituelles munitions électroniques sont restées à quai, et le grand orchestre généreusement octroyé par Iron Jim devient entre ses mains tâtonnantes un fardeau dont il ne sait que faire.

 

Bons Baisers de Hong Kong

 

Sans nul doute possible, les heures fastes des 007 bien de chez nous avaient vécu, délayées au fil des ans par une approche plus dure, plus pragmatique du cinéma d’espionnage. Très symptomatiquement, l’excellent Les Patriotes et surtout Le Dossier 51, chef-d’œuvre d’austérité, ont inscrit au nombre de leurs audaces une absence (quasi) totale de musique. Convié sur Double Zéro, l’un des ultimes os à ronger pour les nostalgiques de l’espionnage à la fraîche, le doué Colin Towns aura bien tenté de faire de la résistance, mais sans véritable succès. Le choix d’un score imperturbablement sérieux pour accompagner les pitreries d’Eric et Ramzy coulait bien entendu de source. Encore eût-il fallu, pour déboucher sur quelque chose d’enthousiasmant, le garder des diktats du gros son moderne, qui appose ici sa pachydermique empreinte au détriment de toute créativité. Bref, au tandem de rigolos précités, il n’est pas défendu de préférer un quatuor d’autres mariolles : les Charlots, indémodables, immarcescibles. Auréolés d’une telle gloire en 1975 qu’ils pouvaient tout se permettre, y compris un blockbuster sans queue ni tête fondé sur rien d’autre que leur désir bouffon de jouer à Sean Connery, nos loustic accouchaient d’un Bons Baisers de Hong Kong lourdement cuirassé de nanardise. Et se payaient par là même le luxe d’une chanson-titre gratinée, où les réminiscences des hits « bondiens » des années 60 viennent faire un drôle de mélange avec la variété psychotronique prisée par la bande à Rinaldi. Si elle avait vu le jour une dizaine d’années plus tôt, parions que cette monstruosité (parfaitement jouissive !) aurait fait vaciller les convictions de Rolling Stone Magazine, qui sacra autrefois les Charlots « meilleurs musiciens français de studio ».

 

Nos pérégrinations aux quatre coins du Vieux continent n’en sont pas pour autant terminées. Le succès de James Bond dans les sixties euphoriques a fait également tourner bien des têtes outre-Rhin, et des nuées de producteurs peu scrupuleux, par l’odeur des deutsche marks alléchés, ont montré le plus vif empressement à mettre le Krimi au goût du jour. Arraché aux mystérieuses ténèbres du Berlin d’après-guerre pour être planté sous un soleil paradisiaque, amputé de ses excroissances horrifico-fantastiques, le genre, parmi les plus populaires du cinéma allemand, a été réaménagé en une vaste aire de jeu pour les nouveaux 007 teutons. Le romancier Edgar Wallace lui-même, figure tutélaire du Krimi, auquel il a fourni d’innombrables récits, s’est tout à coup heurté à une concurrence moderne et rajeunie. Parce qu’il est l’auteur des enquêtes mouvementées de Jo Walker, alias Kommissar X, le plumitif Karl-Heinz Günther représente l’un des mécènes les plus notables de cette nouvelle vague. L’Histoire, guère charitable, l’a remercié en attribuant régulièrement la paternité de l’impavide détective à son confrère Paul Alfred Müller, qui n’était intervenu qu’en tant que « collaborateur » pour alimenter en tomes toujours plus nombreux une franchise devenue fort lucrative.

 

Drei Gelbe Katzen

 

Assurément, le sourire désarmant et le charisme cabot de l’acteur Tony Kendall furent les meilleurs alliés de Jo Walker quand il s’immergea dans les salles obscures. La musique de Mladen « Bobby » Gutesha, sagement inféodée aux standards de l’époque (ça jazzouille, ça se trémousse sans conviction franche), n’a par contre rien d’un atout choc. Mais dans Jagt Auf Unbekannt (Le Commissaire X Traque les Chiens Verts), premier opus d’une série longue de sept titres, le compositeur réussit avec brio à cerner la décontraction naturelle du héros, celle-là même que les petites mains de l’Eurospy, malgré leurs besogneux efforts, n’ont pu qu’effleurer. Après avoir été capturé par ses ennemis, Walker est conduit dans les entrailles d’une base souterraine. Mais plutôt que de ruminer d’un air sombre quelque plan d’évasion, il se renverse en arrière, cigarette aux lèvres, et détaille tout à loisir les charmes de son escorte, de blondes amazones harnachées de cuir et bardées de flingues. En fond sonore, la chanson-titre, I Love You Jo Walker, qui habillait déjà le générique d’ouverture, donne à savourer une fois encore ses trompettes décomplexées et la voix chaleureuse d’Angelina Monti. Cette ode à l’irrésistible charme de notre héros jouera d’ailleurs les prolongations lors de certains épisodes futurs, au contraire de Mladen Gutesha qu’un système de production cosmopolite débusquera très vite au profit des compositeurs italiens. Drei Gelbe Katzen (Chasse à l’Homme à Ceylan), suite immédiate de l’original, élève sensiblement le niveau grâce au savoir-faire de Gino Marinuzzi, comme chez lui sous le ciel d’azur du Sri Lanka. Sa musique ne réinvente pas la roue, certes, mais son cachet débordant de tonus rythme agréablement un film assez lymphatique. De même, elle s’écoute avec un certain plaisir sur l’album paru chez Verita Note (et titré pour l’occasion Operazione Tre Gatti Gialli), faisant d’autant plus regretter que le malheureux Jo Walker ait été absorbé par un néant discographique sans cela absolu.

 

Il existe bien les éditions Nocturna, mais le béophile aura beaucoup de mal à dénicher sa pitance dans les longs extraits dialogués qui phagocytent leur menu. La saga des Kommissar X ne manque pourtant pas d’attraits qu’on aurait eu grande joie à découvrir gravés dans les sillons d’un CD : Drei Grüne Hunde (Le Commissaire X : Halte au LSD), dont l’inhospitalier labyrinthe urbain où rôde un Herbert Fux sardonique et coiffé d’un feutre fatigué a inspiré à Francesco de Masi un jazz délié, très film noir, ou encore Drei Goldene Schlangen (Commissaire X et les 3 Serpents d’Or) de Roberto Pregadio, flanqué d’une énigme attendant toujours d’être élucidée. Par quel paradoxe temporel trouve-t-on dans son générique d’ouverture le fameux thème de la série Satsujin Ken (Street Fighter), tournée cinq ans après avec Shin’ichi « Sonny » Chiba ? Un vil bricolage effectué a posteriori doit être seul responsable, le style de Pregadio étant trop éloigné de celui, convulsif et rentre-dans-le-lard, du compositeur nippon Toshiaki Tsushima pour qu’on puisse imaginer même une seconde qu’il soit l’instigateur secret des uppercuts musicaux de l’inénarrable Takuma Tsurugi.

 

Jerry Cotton

 

En comparaison, Jerry Cotton, l’autre 007 germanique de poids, a bénéficié d’un défrichage éditorial princier (même si, autour d’une poignée d’anthologies, gravite une constellation de CD remplis de babillages et d’effets sonores). Phénomène littéraire lui aussi, et parfait exemple de l’influence tentaculaire du modèle américain depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’agent fédéral Cotton ne s’est pas rendu aussi aisément que nombre de ses frères d’armes aux sirènes de l’espionnage cheesy. C’est patent à la vision des films réalisés durant les années 60, qui n’ont jamais vraiment fait leur deuil de l’esthétique des séries B à l’ancienne, ça l’est par contre beaucoup moins en prêtant l’oreille aux scores de Peter Thomas. L’auteur du goûtu Raumpatrouille, fidèle à son inclination pour les patchworks irrévérencieux, pirouette d’un extrême à l’autre, gratifiant le fier Jerry d’une marche militaro-burlesque du meilleur effet puis tordant à satiété de jolies phases de suspense. Ne manquent à l’appel que les textures électroniques dont le compositeur fut un apôtre convaincu. Un oubli que le récent Jerry Cotton de Christoph Zirngibl et Helmut Zerlett, surgi de nulle part pour tirer l’as du F.B.I. de sa léthargie prolongée, a diligemment réparé. Foin de trémolos passéistes, pourtant : en 2010, ce ne sont plus les mélodies fondantes de John Barry, ni les extravagances clinquantes de ses multiples successeurs que l’on tente de cloner, mais la férocité bourrine et scandée par les rythmes synthétiques de David Arnold. A cet égard, Zirngibl et Zerlett remplissent leur contrat sans déshonneur, mais sans faire jaillir non plus des myriades d’étincelles.

 

Ce n’était pas une raison, entendons-nous bien, pour cantonner leur travail dans les appendices d’un album saturé de chansons (où l’on a la surprise de croiser notre Benjamin Biolay national). La seconde édition parue ne les loge pas à meilleure enseigne, puisqu’elle croule, dans la grande tradition des audiobooks allemands, sous d’incessants verbiages condamnant les notes de musique égarées à faire tapisserie. A première vue d’un inintérêt abyssal pour qui ne se sent pas l’âme d’un complétiste névropathe, ces disques bavards dont le marché local est engorgé ont néanmoins quelque chance de luire d’un tout autre éclat devant des yeux embués de nostalgie. Nostalgie pour une ère de cinéma révolue, pas forcément moins âpre au gain que la nôtre, en tout cas plus candide et naïve dans ses improbables promesses de divertissement. Nostalgie aveugle, lourde de complaisance si on l’étudie de près, mais toutefois sincère à l’égard des disgracieux rejetons de James Bond qui, à force de se cogner partout en tentant d’imiter leur père mondialement idolâtré, devaient bien finir par s’attirer comme une étrange sympathie mâtinée de tendresse.

 

Le Magnifique

Benjamin Josse
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