Les années Reagan peuvent se définir comme celles de tous les défis pour John Williams, qui bénéficie maintenant d’un statut à part dans la communauté des compositeurs de cinéma, lui permettant de choisir en toute liberté ses projets.
Il succède en 1980 à Arthur Fiedler en tant que directeur musical du Boston Pops Orchestra. Très honoré, il aura à cœur pendant plus de dix ans de s’acquitter de sa mission, parvenant à concilier un emploi du temps très exigeant à Hollywood et les tournées parfois très longues de l’orchestre (plus de quarante concerts par an). Ce sera pour lui un contrepoint idéal à la composition pour le cinéma, lui permettant de diriger de nombreux arrangements de ses propres musiques, mais aussi de celles d’autres compositeurs, qu’il s’agisse d’œuvres écrites pour le cinéma et la comédie musicale ou de pièces issues du répertoire classique.
Mais le cinéma lui réserve également une décennie des plus mouvementées, les succès s’enchainant avec la régularité d’un métronome. En 1981, Spielberg et Lucas font renaître le film d’aventures à l’ancienne sous les traits d’Indiana Jones, et la partition de Raiders Of The Lost Ark (Les Aventuriers de l’Arche Perdue) propose en conséquence un mélange savoureux de mélodies héroïques et romantiques, avec ce qu’il faut de nonchalance et d’humour, et vient une fois de plus s’imprimer directement dans l’inconscient collectif : si l’aventure a désormais un nom, elle a aussi une musique. Williams tente la même année de mêler l’univers des synthétiseurs avec celui de l’orchestre symphonique pour Heartbeeps, mais l’échec cuisant du film ne rend pas l’expérience satisfaisante.
Spielberg, qui considère désormais Williams comme « l’artiste chargé de réécrire musicalement [ses] films », achève l’année suivante une de ses œuvres les plus personnelles, et l’un des plus gros succès de l’histoire du cinéma : E.T. : The Extra-Terrestrial (E.T. : l’Extra-Terrestre). Le cinéaste fait encore preuve d’une confiance absolue dans le talent de son compositeur, allant jusqu’à remonter la dernière bobine du film pour mieux se conformer à la musique enregistrée par Williams. Cette histoire d’amour universelle touche droit au cœur le public et offre à Williams son quatrième Oscar.
Alors qu’il vient à peine de terminer E.T., qu’il commence déjà à travailler sur la partition du troisième volet de Star Wars et doit de surcroit organiser une série de concerts avec le Boston Pops, Williams accepte pourtant de composer le score de Monsignor, un thriller avec Christopher Reeve, dont il est très proche depuis Superman et qui hante souvent ses sessions d’enregistrement juste pour le plaisir de voir le compositeur diriger l’orchestre. Mais des contretemps dans l’agenda très chargé du musicien vont réduire d’autant plus la fenêtre consacrée à l’écriture de ce score, l’incitant à adapter des extraits d’une de ses pièces de concert, Esplanade Overture, pour illustrer certaines séquences du film.
Return Of The Jedi (Le Retour du Jedi) envahit les écrans en 1983, et la musique de Williams retentit de nouveau dans les salles obscures. Le compositeur met ainsi ce qu’il croit être un point final à cette aventure spatiale qu’il a traité comme un opéra en trois actes, ne se doutant pas encore qu’une nouvelle trilogie Star Wars verra le jour des années plus tard.
1984 accueille la suite des aventures archéologiques d’Indiana Jones And The Temple Of Doom (Indiana Jones et le Temple Maudit), l’occasion pour Spielberg et Williams de donner libre cours à leur fantaisie respective, passant avec aisance d’un hommage à la comédie musicale à la musique ethnique (le film se déroule en Inde) ou tribale, sans oublier de développer la thématique du film précédent. Après cette partition endiablée, Williams se repose alors un instant dans l’univers rural de The River (La Rivière), qui marquera sa dernière collaboration avec l’un de ses réalisateurs préférés, Mark Rydell. Il compose également cette année-là Olympic Fanfare And Theme pour l’ouverture des Jeux Olympiques de Los Angeles, et se retrouvera plus tard associé aux cérémonies olympiques de Séoul en 1988 (Olympic Spirit), Atlanta en 1996 (Summon The Heroes) et Salt Lake City en 2002 (Call Of The Champions).
En 1985, il fait son retour à la télévision après 17 ans d’absence, suivant Spielberg sur Amazing Stories (Histoires Fantastiques), une série à gros budget s’inscrivant en marge de celles réalisées à l’époque par une approche très cinématographique qui réunit, outre des réalisateurs prestigieux, un impressionnant casting de compositeurs, de Jerry Goldsmith à James Horner en passant par Danny Elfman et Georges Delerue. Williams mettra ainsi en musique les deux épisodes réalisés par Spielberg, The Ghost Train (Le Train Fantôme) et The Mission (La Mascotte) et composera également le thème du générique de la série.
Les concerts et enregistrements avec le Boston Pops lui prenant beaucoup de temps, il ne signe en 1986 que le film d’aventures enfantines SpaceCamp avant de s’associer de nouveau à Steven Spielberg pour Empire Of The Sun (Empire du Soleil) en 1987. Sa partition, très inspirée par ses influences classiques, apporte une dimension émotionnelle implacable et sert une fois de plus admirablement le propos du film. Séduit par l’idée de travailler presque en même temps sur un projet radicalement différent, il compose aussi la musique de The Witches Of Eastwick (Les Sorcières d’Eastwick) de George Miller, prenant beaucoup de plaisir à illustrer cette comédie satirique, un genre dans lequel il a rarement eu l’occasion de s’exprimer jusqu’alors. En 1988, loin de ses partitions célébrées par le grand public, Williams compose The Accidental Tourist (Voyageur Malgré Lui) pour Lawrence Kasdan, un score construit autour du piano et d’un petit orchestre, qui constitue un choix idéal pour illustrer ce drame psychologique tout en nuances.
L’année 1989 est particulièrement chargée avec pas moins de quatre films à son actif. Suivant le rythme soutenu de Steven Spielberg, il compose le troisième volet des aventures de l’homme au chapeau, Indiana Jones And The Last Crusade (Indiana Jones et la Dernière Croisade), pour lequel il façonne un score plus harmonique que thématique, concentrant ses efforts sur la relation compliquée unissant le héros à son père. Il signe également la musique d’Always, une œuvre beaucoup plus intimiste illustrant l’idée d’un amour plus fort que la mort. Williams rencontre aussi cette année-là le réalisateur Oliver Stone, qui lui propose de traduire sa vision politique en musique pour Born On The Fourth Of July (Né un Quatre Juillet). Comme souvent chez Stone, il s’agit de mettre en opposition le mensonge incarné par l’Amérique lisse et conservatrice des années Reagan et les conséquences du conflit au Vietnam. Pour accompagner cette vision, Williams opte pour l’usage d’un thème très patriotique, bousculé par une composition par ailleurs dissonante. Convaincu par le travail du compositeur, Stone fera de nouveau appel à lui à deux reprises au cours des années 90. Enfin, Stanley & Iris témoigne, s’il en était besoin, de la capacité de Williams à mettre en musique les films intimistes avec le même talent que celui dont il fait preuve sur les blockbusters, créant pour ce drame de Martin Ritt des thèmes délicats et poignants.
Il compose en 1990 deux partitions très différentes qui lui permettent de montrer une fois de plus toute l’étendue de sa palette de composition et sa capacité à apporter un vrai supplément d’âme à chaque support filmique. Ainsi, il crée un thème hypnotique et angoissant pour le thriller Presumed Innocent (Présumé Innocent) et se lance ensuite avec délectation dans la comédie avec Home Alone (Maman, j’ai raté l’Avion), de Chris Columbus. Loin d’imaginer le succès phénoménal que rencontrera le film, Williams livre ici un score riche et inventif, ayant enfin l’opportunité de créer une musique de Noël, un rêve qu’il caressait depuis longtemps.