STAR WARS: THE FORCE AWAKENS (2015)
STAR WARS: LE RÉVEIL DE LA FORCE
Compositeur : John Williams
Durée : 77:08 | 23 pistes
Éditeur : Walt Disney Records
Star Wars: The Force Awakens casse la baraque dans le monde entier. A défaut d’avoir convaincu tous les critiques cinématographiques, le public s’est emparé du film, faisant un triomphe au retour du casting original, de l’humour savamment dosé et des enjeux épiques, bref à tout ce qui avait quasiment disparu dans la prélogie (les épisodes I à III) engoncée dans des enjeux pesants et anti-dramatiques. Trente-huit ans après l’épisode séminal, John Williams est de retour aux commandes de la musique. Il y a longtemps, très longtemps, dans une lointaine galaxie… la guerre fait rage entre les pour et les contre du score du nouvel opus de la saga Star Wars. Attention : si vous n’avez pas vu le film, cet article contient de nombreux spoilers (passages susceptibles de dévoiler une partie des ressorts dramatiques du film).
Deux manières de voir le score de Williams pour The Force Awakens s’affrontent : les déçus qui s’attendaient peut-être davantage à un pot-pourri des compositions passées rehaussé de thèmes flamboyants, et les ravis qui savourent de la part du maestro une œuvre mature, inscrite dans la continuité stylistique de la trilogie originale (1), bénéficiant d’une écriture plus sophistiquée et moins empruntée au répertoire classique. A en lire certains, on en reviendrait même à regretter que Williams soit de retour. Iraient-ils dire, ceux-là, quelque chose comme : « Ce que ça aurait été bien si l’on avait laissé un monteur musique travailler avec tout le matériau enregistré pour la saga par Williams entre 1977 et 2005 » ? On a d’ailleurs un aperçu de cette façon de faire dans le film, lors du combat entre Kylo Ren et Finn, lorsque le premier tente d’arracher du sol par la Force le sabre-laser de Luke, alors que finalement, c’est vers Rey qu’il se dirige : on entend alors le seul morceau préexistant et réutilisé de tout le film, Burning Homestead, tiré de A New Hope (La Guerre des Étoiles, comme on disait alors). La musique est certes familière, et l’effet impressionnant, mais cet habile artifice trahit aussitôt l’évolution du mixage de la musique. Le morceau est mis très en avant puis, lors du changement de plan, la nouvelle composition de Williams reprend… mais mixée très en deçà.
Extrêmement valorisée dans la trilogie classique mais aussi dans la prélogie grâce aux soins du vétéran Ken Wannberg (2), la place de la musique dans le mixage de The Force Awakens se révèle beaucoup plus fragile, alternant de belles avancées, comme lors de la superbe scène finale, mais aussi des retraits affligeants, par exemple lors de la poursuite entre le Millenium Falcon et les chasseurs TIE sur Jaaku. Alors que Williams a livré un morceau d’action formidable, c’est à peine si on l’entend parfois. Pourtant le compositeur a véritablement fait l’effort de combiner l’ancien et le nouveau, l’esthétique musicale de la trilogie d’origine avec son écriture actuelle. A la première écoute, outre les quelques occurrences de thèmes déjà connus et l’esthétique globale propre à la saga, ce sont les univers musicaux des premiers Harry Potter et même des deux derniers Indiana Jones qui s’invitent à la fête.
Le plus gros reproche exprimé vis-à-vis du score, c’est que les nouveaux thèmes auraient un impact plus faible que ceux de la trilogie originale. C’est vrai : le style de Williams a évolué au cours des années 90 et s’est éloignée de la facilité immédiate de ses tubes pour s’orienter vers une œuvre plus personnelle et mature. Ceci posé, Williams, conscient de revenir ici en terrain archi-connu, a justement essayé de retrouver l’orchestration de la trilogie originelle, comme en témoigne le score en général et plus particulièrement des morceaux comme The Resistance March ou son Scherzo For X-Wings. Embrasser les nouveaux thèmes demande plus de réflexion qu’auparavant, car il a beaucoup intellectualisé sa musique depuis une quinzaine d’année. Toutefois, les décompositions et citations des thèmes anciens qu’il propose ici et ses nouvelles compositions ne sont pas moins intéressantes que ses thèmes « bigger than life » des années 70 et 80. Alors, que vous soyez déjà conquis, ou juste tentés de l’être, rien ne vaut des réécoutes successives pour se familiariser avec ce nouveau score. Libre à chacun ensuite de jauger de la qualité d’une œuvre sur son accès immédiat…
Le fait que l’action se déroule trois décennies après les événements narrés dans Return Of The Jedi (Le Retour du Jedi) permet à Williams ce que la prélogie lui interdisait : citer les thèmes de Luke, de Leia et le thème commun à Han et Leia. Le film s’ouvre (sans la fanfare de la Fox, hélas) sur le célébrissime générique, dans une version légèrement rafraîchie, plus lumineuse. Le thème de Luke revient fréquemment, malgré l’unique et tardive apparition du personnage dans le film. On le retrouve en ouverture de Han And Leia et tout au long du Scherzo For X-Wings. Le thème de la Princesse Leia et celui du couple qu’elle forme avec Han Solo apparaissent distinctivement dans Han And Leia et Farewell And The Trip. Torn Apart, qui accompagne la scène la plus poignante du film, utilise même d’une façon inattendue ce dernier thème au moment de la chute de Solo. La fanfare rebelle est également de retour dans plusieurs passages, dont le générique de fin. Le thème de la Force est, lui, évidemment présent tout au long du score et sur l’album dans Maz’s Counsel, Han And Leia, Torn Apart, The Ways Of The Force, Scherzo For X-Wings, Farewell And The Trip et The Jedi Steps And Finale.
Contrairement à ce qu’il est possible de lire ou t’entendre, Williams n’a pas composé qu’un seul nouveau thème. En dehors de celui de Rey, qui bénéficie d’une version concertante sur l’album (Rey’s Theme), il a écrit cinq autres nouveaux thèmes, pour Kylo Ren et le Premier Ordre, Finn, Poe Dameron et enfin pour la Résistance. On peut également évoquer le motif dévolu au leader suprême Snoke (qui est déjà sujet à une théorie, voir ci-après). Le personnage de Rey se voit attribuer le thème le plus saillant de tout l’album, qui est aussi largement développé à l’écran. Son introduction dans The Scavenger se fait autour de la flûte, comme un écho à la flûte traversière du thème de Leia, mais traitée sous l’aune des sonorités orchestrales d’une autre saga mise en musique par Williams, celle d’Harry Potter. Est-ce pour exprimer le fait que Rey catalyse les qualités morales de la Princesse d’Alderaan et le mystère autour des pouvoirs du jeune sorcier de Hogwarts ? Ce thème aux multiples facettes, mystérieux et noble, traverse la partition, connaît des variations flamboyantes dans Maz’s Counsel et la seconde partie de The Abduction et s’achève brillamment, avec en écho le thème de Luke, dans The Jedi Steps. Kylo Ren, ersatz de Darth Vader, bénéficie d’un thème introduit dès The Attack Of The Jakku Village : juste après le générique de début, on découvre cette pièce militaire associée au Premier Ordre et accompagnée d’une espèce de fanfare pour Ren. Ce thème peut être considéré à la fois comme une sorte de rejeton et d’embryon de The Imperial March, comme si Williams voulait nous signifier d’où vient et où va le personnage et par extension, le Premier Ordre : bâti sur les restes de l’Empire, mais avec encore du chemin à parcourir pour retrouver la splendeur impériale d’autrefois. Comme celui de Rey, le thème de Kylo Ren intervient à de nombreuses reprises : Kylo Ren Arrives At The Battle, The Abduction, On The Inside, Torn Apart et The Ways Of The Force.
Symptomatique de l’écriture post-2000 de Williams, le thème de Finn, introduit au cours de Follow Me (à 1:12), s’apparente davantage à un motif d’action énergique. Plus proche des musiques de la prélogie ou de scores plus récents comme Minority Report, il traduit le sens de l’action en cours et les courses-poursuites qui jalonnent l’itinéraire du personnage. Malléable, le thème est construit sur des ostinati de cordes ponctués d’élans orchestraux qui laissent la part belle aux cuivres, et utilisé au sein de scènes d’action, comme The Falcon et The Rathtars! mais aussi dans Kylo Ren Arrives At The Battle où il est entremêlé à celui de Ren. S’il n’apparaît que rarement dans le film, le pilote Poe Dameron bénéficie d’un thème héroïque aérien qui n’est pas sans faire écho à celui de Superman, thème dont on devine qu’il pourrait être appelé à se développer. Il n’intervient qu’à trois reprises dans l’album, mais figure dans le générique de fin. Outre le Finale (à 5:23), on le retrouve donc dans I Can Fly Anything (à 1:35) et Farewell And The Trip (à 0:35).
La Résistance bénéfice d’un nouveau thème présenté sur l’album dans une version concertante, March Of The Resistance. Loin d’être emphatique, cette marche rappelle davantage l’univers d’Indiana Jones que celui de Star Wars (elle évoque la musique du tank allemand dans The Last Crusade). On la retrouve également sur l’album dans Han And Leia et dans le générique de fin. Le leader suprême du Premier Ordre, Snoke, se voit associer un motif maléfique, servi par un chœur masculin guttural qui n’est pas sans évoquer The Emperor entendu dans Return Of The Jedi mais aussi Palpatine’s Teachings de Revenge Of The Sith (La Revanche des Sith), où Darth Sidious raconte à Anakin la légende de Dark Plagueis, son maitre du côté Obscur, qui savait déjouer la mort. D’aucun en déduisent que Snoke serait Dark Plagueis, Williams ayant donné un indice en liant musicalement les deux scènes. A voir dans l’épisode suivant…
L’album est aussi ponctué de nombreux morceaux d’action, comme The Attack On The Jakku Village, I Can Fly Anything, Follow Me, The Falcon ou The Rathtars !, et un Scherzo For X-Wings qui joue avec le thème de Luke de façon décomplexée : le résultat se révèle formidable. L’aspect romantique de l’univers n’est pas en reste, avec l’élégiaque The Starkiller qui accompagne la destruction du système Hosnien. Et bien sûr, il y a les occurrences du thème de Han et Leia, y compris dans Torn Apart. Avec The Force Awakens, Williams a vraiment donné le meilleur de lui-même et on retrouve une énergie que l’on pouvait penser ne plus entendre après ses deux derniers scores, les crépusculaires Lincoln et The Book Thief.
Fort de ses 77 minutes, l’album se révèle très bien construit et aucun moment crucial de la partition ne fait défaut. John Williams nous gratifie même d’un Finale aux transitions entre les thèmes réellement travaillées (la prélogie présentait en guise de End Titles des bouts à bouts décevants). S’enchaînant juste derrière le formidable The Jedi Steps, cet ultime morceau constitue une excellente conclusion à l’album. Le Hollywood Symphony Orchestra a relevé haut la main le défi de passer après le célèbre LSO. Le mixage de l’album est peut-être discutable, avec des basses prononcées et un léger excès de réverbération, mais rien d’inhabituel de nos jours. Bien sûr, avec trois heures enregistrées au total (3), les puristes voudraient déjà avoir accès à l’intégralité des sessions. La rumeur veut qu’un double CD soit déjà en préparation, mais rien d’officiel n’est annoncé. John Williams, malgré ses 83 ans, semble revigoré (4) par l’expérience de ce retour à la saga Star Wars. Le succès planétaire aidant, il pourrait bien être tenté de rempiler pour les épisodes VIII et IX – a priori avec la bénédiction de Kathleen Kennedy et J.J. Abrams, qui produiront les films (c’est Alexandre Desplat qui se chargera du spinoff Rogue One, qui sortira en décembre 2016). S’il en va ainsi, Williams bouclerait la boucle au printemps 2019, à plus de 86 ans. Et, puisqu’il continue à nous faire tant rêver, puisse la Force être avec lui !
(1) Pour les références issues du répertoire classique et une analyse des thèmes, se reporter à l’article d’Olivier Desbrosses : Star Wars ou la renaissance du symphonisme.
(2) Le making-of vidéo de Star Wars: Revenge Of The Sith dans lequel on voit le monteur / superviseur musique Ken Wannberg intervenir pour combattre l’omnipotence des effets sonores afin que Battle Of The Heroes résonne fièrement dans le film. Wannberg a œuvré pour la dernière fois avec Munich en 2005.
(3) Entretien accordé à BMI, publié le 22 décembre 2015.
(4) Entretien accordé au L.A. Times, publié le 18 décembre 2015.