Harry Potter And The Philosopher’s Stone (John Williams)

La baguette magique de John Williams

Disques • Publié le 24/10/2008 par

En l’espace de sept tomes et de cinq adaptations cinématographiques (sur les huit programmées), Harry Potter a envahi l’imaginaire de millions d’enfants dans le monde… et celui de leur famille ! Les aventures du jeune apprenti sorcier ont fait la fortune de Joanne Kathleen Rowling, avec plusieurs centaines de millions d’exemplaires vendus autour du globe. Traduit en 47 langues, il a remporté partout le même succès grâce à ses personnages hauts en couleurs, une structure infaillible fondée sur des jalons apparemment anodins mais qui aboutissent finalement en de multiples dénouements, et un sens de l’humour typiquement anglais. Harry Potter obéit en même temps à des règles précises et accroche dès les premières lignes. Une fois le récit entamé, on ne lâche plus le livre, on se passionne pour ses personnages, on veut savoir ce qui leur arrivera. Cela peut paraître simple, mais il faut un talent considérable pour obtenir de tels résultats. Et c’est tout naturellement que le septième art s’est emparé de la poule aux œufs d’or. Pourtant, l’adaptation du premier volume, Harry Potter And The Philosopher’s Stone (Harry Potter à l’Ecole des Sorciers), n’a pas été sans poser problème…

 

Initialement pressenti comme réalisateur, Steven Spielberg souhaitait fortement américaniser Harry Potter, ce qui ne fut pas du goût de J. K. Rowling. Spielberg voit bien alors Haley Joel Osment (The Sixth Sense [Sixième Sens], A.I.) dans le rôle-titre et souhaite transposer l’intrigue dans un lycée américain. Tollé de la part de J. K. Rowling qui a négocié avec la Warner un droit de regard sur toutes les étapes de la production. Elle refuse, à juste titre, la transposition, et maintient sa décision de ne faire appel qu’à un sujet de sa Très Gracieuse Majesté pour tenir le rôle de Harry. Vexé, Spielberg ne se gène plus dès lors pour dénigrer le script du premier film, qu’il trouve insipide… Alors que les noms de Tim Burton, M. Night Shyamalan et Terry Gillian circulaient, c’est finalement Christopher Columbus, auteur, dans les années 1980, des scénarii des Goonies, de Gremlins et de Young Sherlock Holmes (Le Secret de la Pyramide) qui est retenu. Devenu réalisateur de succès commerciaux comme les deux premiers Home Alone (Maman, j’ai (encore) raté l’avion) et Mrs. Doubtfire, il a contre toute attente été sélectionné par l’écrivain. La nouvelle, annoncée en septembre 2000, laisse pantois. Comment le réalisateur de Bicentennial Man (L’Homme Bicentenaire) va t-il se débrouiller pour réussir son coup ? Sur Internet, les fans des romans crient au scandale. Et pourtant c’est leur gourou, J.K. Rowling, qui en a décidé ainsi. Columbus la convainc qu’il sera aussi fidèle que possible au roman et lui assure que l’ambiance britannique sera respectée. J. K. Rowling cède donc aux chants de la Warner (et de ses millions de dollars) car, selon elle, le studio avait remarquablement traité les adaptations cinématographiques de The Secret Garden (Le Jardin Secret) et A Little Princess (La Petite Princesse). Et c’est donc tout naturellement que John Williams se retrouva associé au film, lui qui avait signé les partitions de trois précédents films de Columbus : les deux Home Alone et Stepmom (Ma Meilleure Ennemie).

 

Un qualificatif jaillit pour caractériser la partition de Harry Potter And The Philosopher’s Stone : magique. Après sa musique d’une froide beauté pour A.I., le compositeur renouait avec un sens de la thématique tel qu’il nous en livrait dans les années 70 et 80. Il suffit de glisser le CD dans la platine et de se laisser porter par les notes du célesta pour se retrouver immédiatement projeté dans l’univers des livres de J.K. Rowling. John Williams ne s’est jamais caché de ne jamais lire les livres qu’il était susceptible de mettre en musique, que ce soit Schindler’s List (La Liste de Schindler), Sleepers ou Angela’s Ashes (Les Cendres d’Angela). Pensant ainsi porter un regard neuf sur la bobine qu’il visionnait, Williams, qui prétendait ne pas vouloir fabriquer son propre film, a failli à sa propre règle avec Harry Potter : il s’est laissé prendre en lisant les premiers volumes parus. Ses petits-enfants les ont lus et les ont adorés, de même que ses enfants… Comment résister à la tentation ? A sa décharge, le compositeur ne sait pas, alors qu’il termine la lecture du premier volet, qu’il aura à écrire la partition pour l’adaptation cinématographique. Ce sont donc trois générations de Williams qui ont lu les aventures de Harry, Ron et Hermione. Toucher toutes les tranches d’âge, une chimère hollywoodienne. Un argument supplémentaire pour écrire la partition ? Peut-être… A moins que le nom de John Williams ne se soit imposé au moment où Steven Spielberg s’intéressait au projet ?

 

Et l’œuvre est respectée, et à la lettre ! A la vision du film, on a quasiment l’impression que chaque page du roman a été adaptée. Au point qu’il est très facile, sans être exhaustif, de citer les passages absents ou modifiés : seuls quelques personnages secondaires, mais savoureux, en font les frais… Cela fait-il de Harry Potter une réussite ? Rien ne semble avoir été laissé au hasard. Pourtant, Christopher Columbus fait capoter le film. Principalement parce qu’il s’attache tellement à être fidèle au récit qu’il en néglige ses personnages. Le livre condense tellement d’intrigues et de sous-intrigues que pour tout faire tenir dans le long-métrage, même si celui-ci dure près de deux heures trente, tout doit aller vite. Trop vite pour éprouver la moindre sensation magique.

 

C’est la musique de John Williams qui apporte toute la magie au film. Il est clair que le compositeur s’est laissé porter par son « propre film » pour écrire la partition. Au point que le spectateur peut sentir le décalage entre une magnifique partition et des images parfois à la limite de la tolérance, notamment dans les scènes concernant la famille de Harry, les Dursley. On y retrouve alors de sombres similitudes avec Home Alone… Improbable que des images d’une rare banalité aient tant inspiré le compositeur. Définitivement, la partition s’apprécie bien plus hors film. Mieux, elle invite à la (re)lecture du livre, et crée le lien à l’enfance qui manque au film en évoquant irrésistiblement la magie de l’univers de Harry Potter.

 

A la vision du film, le spectateur retient surtout de la partition le thème d’Hedwig, la chouette blanche de Harry. Présenté en intégralité au cours de la dernière piste de l’album, ce thème était déjà présent dans les bandes-annonces du film. D’ailleurs, après avoir entendu la musique des films-annonces, nombreux sont ceux qui espéraient que la partition de Harry Potter And The Philosopher’s Stone serait dans le même style que Hook, l’une des pièces maîtresses de John Williams où les thèmes de l’enfance et de la magie étaient si bien dépeints. De différentes façons, la partition de Harry Potter renoue en effet avec celle qui accompagnait un Peter Pan égaré, loin, très loin de Neverland. Ne serait-ce que dans le Prologue, qui n’est pas sans rappeler Hook mais aussi l’ouverture mystérieuse de Home Alone. Les premières notes de la partition sont interprétées au célesta, ce piano fait de lames d’aciers et de cuivre en guise de cordes, instrument cher au compositeur russe Tchaïkovski qui l’utilisa notamment dans l’un de ses plus célèbres ballets, Casse-Noisette, dont La Danse de la fée Dragée a particulièrement influencé John Williams pour sa partition.

 

Les similitudes proviennent principalement des orchestrations, plus proches du son que John Williams livrait dans les années 80 que ses dernières compositions à date. La musique sonne très cuivrée, mélodique et rythmée, accompagnant admirablement les images mentales des aventures du petit magicien. D’autres références se font évidentes : les deux Home Alone, mais aussi que The Witches Of Eastwick (Les Sorcières d’Eastwick) et Star Wars : The Phantom Menace (La Menace Fantôme). La magie est retranscrite par l’adjonction des bois, du célesta, de percussions évoquant la période de Noël et d’un choeur féminin sans parole, proche des voix accompagnant l’arrivée du Millenium Falcon sur Bespin au cours du morceau Cloud City dans The Empire Strikes Back (L’Empire Contre-Attaque).

 

Côté thématique, la partition regorge de thèmes. Simples ou grandiloquents, ils envahissent rapidement l’esprit de l’auditeur. En tête du cortège, il y a bien évidement l’enchanteur Hedwig’s Theme, décliné sous de très nombreuses variations tout au long du film. D’une grande beauté, il accompagne toutes les scènes de vols, qu’il s’agisse de hiboux ou de balais volants, comme si John Williams avait souhaité créer un autre Flying que celui d’E.T. On note également le remarquable thème de Harry, développé dans ce qui sert de première partie au générique de fin, Harry’s Wondrous World, et au sein duquel on distingue deux parties : il s’amorce avec les cordes, auxquelles s’ajoutent les cuivres et percussions. L’ensemble est alors dominé par les cuivres évoluant autour d’un motif à quatre notes. Ce thème revient à plusieurs reprises, notamment dans The Arrival Of Baby Harry, Platform Nine-And-Three-Quarters and The Journey To Hogwarts, sans oublier la superbe conclusion de Leaving Hogwarts.

 

La première immersion dans le monde de la magie intervient tandis que Harry et Hagrid empruntent Diagon Alley. Par un motif baroque, dominé par les flûtes et les percussions, Williams nous plonge dans un univers où le temps semble s’être arrêté. L’école des sorciers, Hogwarts, a également droit à une marche reflétant bien l’ambiance de cet Oxford d’un genre particulier, un peu comme si Hogwarts Forever ! était directement issu d’une partition oubliée d’Edward Elgar, compositeur britannique auquel John Scott avait rendu un très bel hommage dans sa partition mémorable pour Greystoke. Harry préférant passer Noël à Hogwarts plutôt que dans son placard à balais chez les Dursley, John Williams peut habilement citer la musique de Noël (période magique par excellence) qu’il a écrite pour Home Alone et sa suite. On peut déjà entendre celle-ci tandis que les élèves arrivent en barque aux pieds de l’école dans The Journey To Hogwarts. Surtout représentée dans Entry The Great Hall and The Banquet, The Norwegian Dragon and A Change of Season ainsi que dans Christmas At Hogwarts, cette thématique s’ouvre sur des vents et des cloches, tandis que les différents esprits qui hantent Hogwarts entament un chant de Noël à voix basses, accompagnés par une nappe synthétique teintée de mystère. Cette dernière est par ailleurs reprise au cours des passages mettant en jeu la cape d’invisibilité de Harry, notamment dans The Invisible Cloak and The Library Scene.

 

Les scènes d’action ne sont pas en reste. Mr. Longbottom Flies accompagne les péripéties du maladroit Neville Longbottom lors du premier cours de balai volant. C’est à cette occasion que sont confrontés pour la première fois Harry et l’antipathique Draco Malfoy. La thématique d’action de ce morceau introduit celle, largement développée, de la pièce centrale de la partition. Bien que visuellement ratée, la séquence du match de Quidditch permet à la partition d’atteindre des sommets. Avec ses huit minutes, The Quidditch Match est le plus long morceau de l’album. Dominé par les cuivres et les percussions, ce passage furieux fait tour à tour écho à The Basket Game de Raiders Of The Lost Ark (Les Aventuriers de l’Arche Perdue) et à Out To Sea de Jaws (Les Dents de la Mer). John Williams nous livre là un véritable morceau de bravoure, tel que l’on n’en avait pas entendu depuis des lustres. La musique d’action, toute en cuivres, cordes et percussions à la Flag Parade de The Phantom Menace, s’interrompt tandis que chœurs et cordes soulignent la mise en danger de Harry sur son balais de compétition, et s’achève sur une reprise du thème de Harry.

 

La séquence finale débute avec Fluffy’s Harp qui, avec le basson et la harpe, illustre la séquence du chien géant à trois têtes. In The Devil’s Snare enchaîne brillamment sur des cuivres grondants après la relative quiétude exprimée par la harpe. L’action revient en force avec The Chess Game où l’écriture pour percussions de Williams fait des merveilles. Presque militaire, la musique évoque la préparation de l’invasion de Naboo dans The Phantom Menace. L’éventail des percussions utilisé est très large : on peut discerner le xylophone, la batterie et les timbales. A l’écoute de l’album, le sacrifice de Ron prend finalement toute son ampleur. Le climax du film est atteint avec The Face of Voldemort : le thème de Voldemort, aux cuivres et aux bois, est ici largement représenté. L’affrontement tourne à l’avantage de Harry qui triomphe de Lord Voldemort, qui se dissipe mais n’est pas détruit. Dans une ultime tentative, son esprit traverse de part en part le corps de Harry qui sombre dans l’inconscient tandis que le célesta retentit de nouveau.

 

Evidemment, Harry Potter n’est pas Hook. John Williams a passé près de dix ans à travailler à l’écriture de ce dernier, alors que Spielberg hésitait à en faire un film traditionnel ou une comédie musicale. D’ailleurs, la superbe chanson When You Are Alone est la seule rescapée de la version « musicale » que nous ne verrons sans doute jamais. Une décennie d’un côté contre quelques mois de l’autre. Le combat est assurément inégal. Mais résumer Harry Potter à des emprunts d’anciennes partitions de John Williams serait autant injuste qu’inexact. Bien sûr, l’on retrouve de ci de là des motifs évoquant les différents Star Wars, Indiana Jones et même The Fury (Furie) pour le thème de Voldemort. Mais réduire cette composition à une collection d’autocitations aveuglerait l’auditeur sur les qualités, nombreuses, de la partition et sur sa portée. Et quand bien même, les talents de John Williams suffisent à eux seuls à faire de Harry Potter une expérience unique et magique.

 

En dépit la durée de l’album (soixante-treize minutes), celui-ci ne restitue pas les deux heures douze minutes de musique composées par Williams. Le succès de la saga au cinéma, d’ores et déjà colossal à travers le monde, permettra t-il l’édition d’une intégrale ? Si c’est le cas, il est peu probable que celle nous arrive prochainement…

 

Fin 2002, Harry Potter And The Chamber Of Secrets (Harry Potter et la Chambre des Secrets) fut projeté en salle. Un autre débat devait bientôt naître : quel rôle joua William Ross, orchestrateur-compositeur chargé de diriger et d’adapter le score original de John Williams, alors indisponible ?

 

 


Photographies : © Warner Bros.

Olivier Soude
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