Der Jedi-Meister ist Zurück! Dernier des anciens grands maîtres de la galaxie musique de film encore en activité, générateur d’innombrables vocations de compositeurs et de musiciens tout aussi bien que de fans de bandes originales, l’auteur musical de séries cinématographiques aussi célèbres que Star Wars, Indiana Jones, Harry Potter ou encore Jaws et Home Alone, est de retour sur la minuscule planète des concerts filmés dédiés à la musique de film. Une planète, que dis-je, à peine une petite lune. Après un concert autrichien annulé en 2018, finalement réinventé à Vienne en janvier 2020 – juste avant la pandémie, coup de chance – et dûment capté pour la postérité par une Deutsche Grammophon désireuse de repopulariser son étiquette dorée, ce fut au tour du Berliner Philharmoniker d’accueillir pour la première fois le Maestro, le temps de trois soirées d’octobre 2021 (les 14, 15 et 16) couronnées d’un grand succès public et critique. DG nous restitue aujourd’hui la dernière date de cet événement, sous plusieurs formes : double LP noir ou gold, LP deux titres gold, double CD, et enfin le pack 2CD/2Blu-Ray dont il est principalement question ici. Les amateurs équipés en conséquence y trouveront, à côté de la version vidéo HD, la piste Dolby Atmos isolée sur Blu-Ray Pure Audio.
Petite parenthèse : le passage de relais de Vienne à Berlin pour ces concerts édités par Deutsche Grammophon – et les comparaisons qui en découlent – est intéressant en lui-même, car au tournant des années 70/80, ces deux orchestres se trouvèrent au cœur d’un match musico-vidéo-médiatique au plus haut niveau : celui de Leonard Bernstein et Herbert Von Karajan. À ma gauche, un juif new-yorkais adulé passé maître dans l’art de l’éducation musicale télévisée, souvent invité à Vienne où il fit redécouvrir Gustav Mahler, mais pas à Berlin, fief de son concurrent. À ma droite, donc, le dirigent ultime, tête à vie de la formation berlinoise menée d’une main de fer, dont le nom était pour le grand public synonyme de chef d’orchestre. Tous deux furent précurseurs dans le domaine des concerts filmés, et un temps mis en concurrence directe – ainsi que « leurs » orchestres respectifs – via les captations de la firme Unitel liée à… Deutsche Grammophon. Toujours en quête de contrôle, Karajan créa finalement sa propre société de production, Télémondial, pour immortaliser son image vieillissante. Si on ajoute qu’il a proprement lancé la carrière d’Anne-Sophie Mutter, laquelle, fan avouée de Williams, n’est pas pour rien dans les attentions tardives du compositeur envers cette « galaxie lointaine, très lointaine » qu’est la vieille Europe (germanique en l’occurrence), on se rappelle à quel point notre monde est petit.
Mais revenons au concert de John Williams. Sur la captation, il y a peu à dire sinon que le son et l’image sont au niveau attendu du label, bien que certaines interventions de Williams aient apparemment été écourtées et que le public – masqué – soit minoré à l’image, quand Vienne nous avait gratifié de plans de réactions et des visuels plus chaleureux du Musikverein. Heureusement, le public de Berlin sait crier sa joie : on les comprend, les places des concerts s’étant vendues en une vingtaine de minutes, malgré le risque d’une nouvelle annulation. Côté programme, la présence d’Anne-Sophie Mutter avait décentré la tracklist viennoise de 2020 au bénéfice des arrangements pour violon réalisés à son attention, ce qui en accentuait le caractère exceptionnel, mais n’était pas au goût de tous. Ici, on retrouve donc des pièces initialement prévues en 2018, telle l’Olympic Fanfare en ouverture, l’ensemble limitant les redites avec Vienne afin de rendre les deux concerts complémentaires. Seuls Close Encounters Of The Third Kind, Jurassic Park et une partie d’E.T. doublonnent, ainsi que Marion’s Theme, la marche des Raiders Of The Lost Ark et sa contrepartie impériale : juste assez pour comparer les deux performances. Sur ce plan aussi, les différences justifient leur cohabitation sur nos étagères. Là où les viennois relisaient John Williams avec leur caractère propre, un son puissant mais racé et favorisant la nuance, coupables aussi de quelques approximations et d’un manque d’allant ici ou là, les berliner font gronder leur machine de guerre. Malgré l’absence de certains cadors titulaires de l’orchestre, à commencer par les bois (ne vous attendez pas à entendre Emmanuel Pahud jouer le Princess Leia’s Theme), l’orchestre s’acquitte de sa tâche avec brio (qui, lui, est bel et bien présent).
La prise de son jouant aussi son rôle, par rapport à Vienne, la musique sonne de manière plus virile quoi que soigneusement équilibrée, avec des basses puissantes, une très grande cohésion et des cuivres jamais pris en défaut, en particulier les trompettes (les musiciens ont pour l’occasion utilisé des instruments américains, au son plus brillants que leurs modèles allemands) et les cors (plus sonores qu’à Vienne où on joue sur un modèle local). Mention spéciale aux timbales, fulgurantes : le titulaire, Wieland Welzel, joue volontiers « over » et frappe avec une précision inaltérable, là où son collègue viennois « cassait » occasionnellement le bras du chef, c’est-à-dire qu’il frappait un peu avant la mesure. Notons au passage la différence de sonorité entre les deux jeux de timbales, claquantes à Berlin, plus douces et chaudes à Vienne, leur timbalier opérant sur des Hochrainer à peau de chèvre dont on peut changer l’accord à la volée à l’aide d’une « clé » latérale (cf. le musicien à l’œuvre dans Jurassic Park). En résumé, on entend à Berlin un orchestre volontaire, au son plus « international », façonné par ses chefs successifs pour tutoyer la perfection quel que soit le style abordé, d’une ductilité sans doute plus adaptée aux compositions de Williams, qu’on pourra plutôt comparer aux performances de Gustavo Dudamel à Los Angeles ou du compositeur lui-même à Boston. Ses deux célèbres marches (Raiders March et The Imperial March) sont livrées ici sur un tempo plus rapide, bienvenu pour la première, mais pas forcément pour la seconde qui avait trouvé chez les viennois un je-ne-sais-quoi d’inédit, tout comme leur superbe Jurassic Park. La performance du Berliner ne leur est pas inférieure pour autant, loin de là, car plus fidèle à la tradition.
Le reste du programme se révèle tout aussi brillant : la suite Harry Potter et son virevoltant Nimbus 2000 dédié aux vents – quel autre compositeur de B.O. vivant pourrait écrire ça ? –, une Superman March qu’on rêverait encore plus véloce mais très en place et musclée, des Han’s Theme et Scherzo For Motorcycle And Orchestra également bondissants, ou la trop rare suite de Far And Away… Quel plaisir de la retrouver, avec sa danse irlandaise enjouée, son Donnybrook aux violoncelles et basses puissantes et son Finale accompli d’un geste large ! Ne zappez pas, à la fin de Throne Room & Finale, les regards rivés l’un à l’autre du chef et du timbalier. Autre grand moment, intimiste celui-ci, l’Elegy For Cello And Orchestra magnifiquement défendue par Bruno Delepelaire, premier violoncelliste des Berliner : un excellent choix programmatique sans lequel il aurait manqué une touche du John Williams moderne, plus rêveur, à ce concert. Rappelons que cette pièce, née d’un fragment mélodique de Seven Years In Tibet, fut originellement écrite (avec accompagnement au piano) à la mémoire des jeunes enfants décédés d’une violoniste amie de Williams, puis revisitée avec Yo-Yo Ma pour un album commun. Voilà pour le moment d’émotion, suspendu à l’archet de l’interprète. Coté faiblesses, toutes relatives, le chef conserve sa tendance à presser le pas lors de moment qui n’en demandaient pas tant, comme le thème principal de Jurassic Park ou le début du Yoda’s Theme, qui manquent un peu de respiration et, dans le second exemple, de la sagesse qu’il est supposé inspirer – heureusement, la suite du morceau est parfaite.
Cette performance berlinoise n’a donc pas la singularité de son prédécesseur, mais pour beaucoup ce sera tant mieux ; elle se révèle presque idéale, l’incarnation de ce qu’on attend généralement d’un concert de Williams, et comblera les moins sensibles aux exercices de virtuosité violonistique comme les amateurs de brio orchestral. Il suffit de voir les visages heureux d’un John Williams presque nonagénaire (89 ans à la date du concert) et des musiciens jouant une musique populaire mais exigeante, face à un public tout aussi ravi, en standing ovation quasi-permanente, pour se dire qu’il devait être bon d’y être… Heureusement, pour consoler les misérables qui n’ont pas eu cette opportunité, la Deutsche Grammophon vient d’honorer d’un deuxième témoignage filmé celui qui restera l’éternel Maître Jedi de la bande originale de film. Allez, un troisième ?
Programme
Olympic Fanfare And Theme
Excerpts – Close Encounters Of The Third Kind
Suite – Far And Away
Hedwig’s Theme / Nimbus 2000 / Harry’s Wondrous World – Harry Potter & The Philosopher’s Stone
Theme – Jurassic Park
Superman March
Scherzo For Motorcycle And Orchestra – Indiana Jones And The Last Crusade
Marion’s Theme / Raiders March – Raiders Of The Lost Ark
Elegy For Cello And Orchestra
The Adventures Of Han – Solo: A Star Wars Story
Yoda’s Theme – Star Wars: The Empire Strikes Back
The Throne Room & Finale / Princess Leia’s Theme – Star Wars: A New Hope
Flying Theme – E.T. The Extra-Terrestrial
The Imperial March – Star Wars: The Empire Strikes Back