Les Choses de la Vie : Philippe Sarde en concert

L'Orchestre National de France rend hommage au compositeur

Évènements • Publié le 08/04/2024 par

Avec deux-cent cinquante films à son actif, Philippe Sarde, fils métissé du cinéma et de la musique, a trouvé ce 4 avril 2024 au studio 104 de la Maison de la Radio l’occasion de retenir une langue jadis bien pendue pour laisser place au chant, à la mélodie, à l’émotion. En sa présence discrète ont été joués près de trente extraits issus de son répertoire français, rassemblés et réorchestrés sous forme de suites thématiques par Dimitri Soudoplatoff (arrangeur notamment pour Alexandre Tharaud, ami du compositeur et pianiste solo de la soirée) et Didier Benetti, ancien percussionniste de l’Orchestre National de France, à l’œuvre ce soir-là sous la direction enjouée de Mei-Ann Chen.

 

Variant styles et couleurs, la musique de Sarde s’appuie souvent sur des solistes au sein de combinaisons instrumentales recherchées. Est-il possible, en concert, de faire oublier les équilibres acoustiques et l’apport majeur des solistes originaux ? Non, dans l’absolu, mais l’idée n’est pas là ; la musique trouve toujours un chemin, réinventée, reformulée non pour remplacer une émotion mais pour la prolonger. Notons toutefois que le mixage de la captation, disponible sur le site de Radio France, retranscrit plus fidèlement ces équilibres que l’écoute live, au détriment par contre de la dynamique spectaculaire de certains morceaux. En plus des nécessaires arrangements, jouant à l’occasion les « couteaux suisses », une phalange jazz est donc venue en renfort de l’ONF : Stéphane Chausse (saxophone, flûtes, EWI), le discret Khalil Chahine (guitares), Christophe Cravero (claviers), Pierre Boussaguet (contrebasse), Daniel Ciampolini (batterie), et Lionel Suarez (accordéon, bandonéon) – ce sextet s’ajoutant à Alexandre Tharaud, présent pour une suite pianistique, et à la soprano Fatma Saïd.

 

Le très français Portrait de Claude Sautet donne le ton avec Vincent, François, Paul et les Autres (avec accordéon), Un Mauvais Fils (bravo à la première trompette de l’ONF), l’enlevé Garçon ! puis enfin Nelly et Monsieur Arnaud, mélange de nostalgie et de pétillant. Fondu enchaîné sur une Suite pour piano (Les Choses de la Vie, Hôtel des Amériques, Beau-Père), qui donne à Tharaud l’occasion de mettre en valeur le côté classique de Sarde, mais toujours teinté de jazz, en particulier via un solo sur le dernier morceau. Suit un intermède chanté, avec une version splendide de L’Arabe (tiré du film La Valise). En dépit d’une présence sonore trop faible sur scène pour ce type de chant (pas ou peu amplifiée, peut-être à cause des exigences de la captation qui elle est parfaite), la force expressive de Fatma Saïd franchit néanmoins la bourrasque orientalisante de l’orchestre (les bois !), dont l’éclat nous fait presque oublier l’original livré par Serge Reggiani. Un moment spectaculaire et émouvant à la fois.

 

Cut sur deux hommages à deux icônes incontournables du cinéma français. La Suite Alain Delon, d’abord : La Veuve Couderc, Deux Hommes dans la Ville (toujours un succès émotionnel, mélodie imparable et intervention remarquée de l’hautboïste), Les Seins de Glace, Mort d’un Pourri et son saxo noir comme la nuit, autrefois assuré par Stan Getz. Puis, la Suite Romy Schneider, César et Rosalie, Mado, Le Train et Une Histoire Simple : là encore, beaucoup de nostalgie (hors la marche inexorable du Train) ; saxo, bandonéon… Une conclusion de première partie toute en nuances, alors que ma voisine glisse à son mari « après il y aura les gros trucs ». Je n’aurais su mieux dire, bien qu’étant sous le charme depuis longtemps.

 

L’entracte qui suit me fait témoin d’un instant musical en suspension. Solitaire sur la scène, la première violoncelliste de l’ONF (sûrement Aurélienne Brauner), se met à répéter son solo de Fort Saganne. Nonobstant le brouhaha alentour, je me prends à la (nous) imaginer au milieu du désert, avant que les spectateurs et d’autres musiciens viennent troubler cette quiétude… Brève déception, car la Suite cinéma romanesque débute précisément par ce titre sublime, fleuron de l’œuvre sardienne digne du répertoire des plus grands violoncellistes (Yo-yo, si tu nous lis…) Les cordes sont quelque peu mises en sourdine dans cet arrangement (pour ne pas masquer la soliste), atténuant l’élan romantique au profit de la solitude. Un des moments phares du concert, suivi par Music Box (brillamment coloré par les vocalises de Fatma Saïd), l’envoûtant Harem (rythmé par le handpan, l’EWI remplaçant le ney), le virevoltant Barocco, et pour finir le thème de Tess, un classique à mes yeux, pour le coup fortifié par les cuivres. Je l’attendais et je n’ai pas été déçu, si ce n’est par la durée.

 

Dernière suite proposée, celle des Grands cinéastes. Titre fourre-tout qui rassemble Le Sucre (sorte de swing bouffon), Coup de Torchon et ses langueurs argentines, Le Juge Fayard dit « le Shériff » (thème L’Usine magistralement rendu ici, avec une sorte de tristesse radieuse), le tonique Flic ou Voyou (encore une belle intervention du trompettiste solo de l’ONF) qui même swing et pastiche classique, le jazz latino de La Grande Bouffe, puis encore deux morceaux indispensables : Le Choix des Armes (tous les regards sont posés sur Pierre Boussaguet), et, fatalement, La Guerre du Feu – plus exactement son Thème d’Amour. En dépit de percussion un peu trop présentes depuis ma place par rapport au climat de mystère recherché au début (mais bien dosées sur la captation), la pièce est portée avec brio (l’EWI émulant la flûte de pan) jusqu’à son apothéose, déclenchant l’approbation sans réserve du public avant que, pour finir sur une ultime touche d’émotion, Fatma Saïd revienne interpréter La Chanson d’Hélène (Les Choses de la Vie), qui jadis fit passer Sarde de l’ombre à la lumière. Ovation méritée pour le compositeur (accompagné par son épouse et sa fille), par le public, l’orchestre et son chef Mei-Ann Chen.

 

Une magnifique soirée en résumé – d’autant plus que les concerts Sarde sont rarissimes – mon plaisir tout de même voilé d’un léger regret, assez général, lié à l’adaptation des musiques de film pour le concert. Est-ce par modestie mal placée des compositeurs, un refus d’obstacle, ou simplement réalisme ? Des œuvres comme Fort Saganne, Tess, ou a fortiori La Guerre du Feu, mériteraient des suites plus nourries, comme Jarre ou Williams surent nous en donner pour leurs titres les plus célèbres. Mais c’est ainsi, comme les plaisirs, les regrets font partie des choses de la vie.

 

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David Lezeau