OUTLAND (1981)
OUTLAND
Compositeur : Jerry Goldsmith
Durée : 115:47 | 44 pistes
Éditeur : Film Score Monthly
Si Outland arbore la plupart des oripeaux du cinéma de science-fiction, avec ses superbes décors high-tech, ses machines bardées d’acier et l’exotisme coloré de son jargon technologique, il n’en reste pas moins qu’il relève davantage du western, ne serait-ce que par l’imposante présence d’un Sean Connery portant l’insigne d’un intraitable marshall du futur. Eu égard au somptueux passif de Jerry Goldsmith dans ce genre ô combien emblématique de l’industrie hollywoodienne, beaucoup de ses fans, à l’époque, avaient légitimement pu penser que cette seconde partition pour le réalisateur Peter Hyams, trois ans après l’excellent Capricorn One, prendrait les allures d’un Rio Conchos spatial. Il n’en a rien été. S’écartant résolument de toute flambée d’héroïsme, le compositeur marche sur les traces de l’une de ses précédentes (et mémorables) incursions dans les étoiles, à savoir Alien, dont Outland retrouve l’ambiance délétère et la prodigieuse science du suspense.
Nombre des pièces inédites, exhumées par la superbe réédition de FSM, font d’ailleurs la part belle à ces plages purement atmosphériques. Ainsi, alors que l’album d’origine s’ouvrait sur le tonitruant The Mine, où se dévoilent dans toute leur splendeur les cordes majestueuses et les cuivres musclés du thème charnière, l’intégrale ici présente est inaugurée par un Main Title au minimalisme inquiétant, traversé de lointains échos. Ce sont là les prémices d’une architecture musicale aussi spectaculaire qu’inhumaine que Goldsmith s’emploiera à ériger tout au long d’Outland, tirant des synthétiseurs dont il use avec un bel à-propos des sonorités métalliques et anxiogènes (The Bags est, à ce titre, tout à fait surprenant), faisant vibrer The Hunters du timbre glacé d’un carillon sinistre, multipliant les dissonances agressives et les brutales ruptures de ton. Le hautbois lyrique de The Message, unique parenthèse mélodieuse (si l’on excepte sa brève et triomphale reprise dans Final Message) d’une œuvre vouée aux ténèbres, n’en brille que d’un éclat plus fragile et émouvant.
Qu’on ne s’y méprenne pas, cependant. Malgré la sophistication de son écriture, Outland ne cherche jamais vraiment à rivaliser avec les audaces atonales et avant-gardistes d’Alien, pour la bonne raison que le film trépidant de Peter Hyams n’a pas grand-chose en commun avec les troublants relents lovecraftiens du huit clos horrifique de Ridley Scott. D’impressionnants soubresauts d’action s’invitent donc régulièrement, qui sont autant de témoignages de l’ébouriffant sens du rythme de Goldsmith. Mais si le crescendo sauvage de Spiders, l’implacable martèlement de The Airlock et Early Arrival, ainsi que les redoutables accélérations qui galvanisent The Hunted suffiraient à eux seuls à rassasier les amateurs les plus voraces de coups de boutoir symphoniques, c’est sans conteste l’extraordinaire Hot Water qui emporte tous les suffrages. Car, non content d’être un véritable morceau d’anthologie dont le tempo effarant soumet à rude épreuve les musiciens pourtant chevronnés du National Philharmonic Orchestra, ce passage s’impose rétrospectivement comme la pierre angulaire des kyrielles de musiques d’action qui, au cours des années 80 et 90, ont valu au compositeur de connaître une popularité jamais démentie. La version complète de Hot Water, plus longue d’une grosse minute par rapport à celle présentée dans l’album originel, ne fait d’ailleurs qu’étayer son caractère presque fondateur, puisque la déferlante orchestrale de Goldsmith s’enrichit dans sa dernière ligne de lourdes percussions qui semblent préfigurer la fureur martiale de First Blood (Rambo) et ses suites.
Le défi lancé par Peter Hyams à Morton Stevens était donc pour le moins corsé. En effet, le réalisateur, guère satisfait par le suspense et la tension sur lesquels repose essentiellement la piste censée accompagner le règlement de compte final (Released), s’était résolu à appeler Stevens à la rescousse pour suppléer au pied levé un Goldsmith déjà accaparé par un nouveau projet. Le résultat est assez curieux : en professionnel aguerri (il n’est pas inutile de rappeler que l’homme est un vétéran de la petite lucarne, créateur, entre autres, du célèbre générique de Hawaii Five-O [Hawaï Police d’Etat]), Stevens s’évertue à faire siens les thèmes et les couleurs orchestrales d’Outland, à l’exception notable de ces synthés froids avec lesquels il devait se sentir peu à l’aise. Mais il flotte sur The Battle un parfum très seventies, en particulier dans l’intervention d’un tambour survolté et dans la sécheresse sans détour des instrumentations, qui s’avère aussi délicieux que parfaitement anachronique parmi les abondantes richesses symphoniques déployées par Goldsmith.
En l’état, Morton Stevens nous gratifie d’un excellent morceau d’action, ce qui ne se refuse pas dans le cadre d’une écoute isolée. Qu’il soit en revanche permis à l’auteur de ces lignes de se montrer moins charitable envers Michael Boddicker, responsable de deux longs échantillons de source music pouvant difficilement se targuer d’une semblable qualité. Ces expérimentations électroniques mâtinées de vocalises criardes illustrent certes à merveille l’ambiance décadente et vaporeuse d’un club bondé, temple de la vulgarité où des danseurs nus se contorsionnent lascivement sous de crépitants rais de lumière… Et c’est pour cette raison précise que Source 192 et Source 193 ont toutes les chances de se révéler bien vite pénibles aux oreilles non averties.
Mais il serait malvenu d’insister encore un peu plus sur de pareilles vétilles, pas alors que le travail comme souvent irréprochable de Lukas Kendall ne peut que (re)donner à ce formidable Outland la place importante qui lui revient de droit dans l’œuvre colossale de Jerry Goldsmith. Une place que l’exceptionnelle productivité du Maître, à l’époque de sa gestation, lui avait paradoxalement refusée : coincée telle une simple marchandise entre les immenses classiques l’ayant précédée (Alien, Star Trek: The Motion Picture) et les machines de guerre s’apprêtant à lui succéder (Masada, Poltergeist, First Blood), cette partition de premier ordre avait fini par être un peu oubliée, voire jugée avec une certaine condescendance par d’aucuns comme un cru robuste mais finalement assez ordinaire. L’heure est venue de tordre le cou à ces semi vérités une fois pour toutes !