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Après une formation musicale débutée au piano à l’âge de 6 ans, la découverte des synthétiseurs et de la musique électronique, et un passage aux claviers de plusieurs groupes de rock durant son adolescence, après un détour par l’Italie pour suivre les cours de Luigi Nono et un retour aux USA pour profiter de l’enseignement de Jacob Druckman à la Yale School of Music, Marco Beltrami fut admis à la prestigieuse University of South California et bénéficia ainsi des cours de composition dispensés par Jerry Goldsmith. Il nous parle ici de son apprentissage sous l’aile du maestro.
Pourquoi aviez-vous choisi Jerry Goldsmith pour être votre professeur ?
Je m’étais inscrit à l’USC pour le cours de composition pour l’image, et il était cette année-là conférencier invité. Je me suis dit que puisque c’était là le métier que j’avais choisi, je ferais bien de voir ce qu’un véritable maître avait à en dire.
Que représentait Jerry Goldsmith pour vous avant de suivre son enseignement ?
La quintessence de la musique de film américaine.
Quels étaient les thèmes de son enseignement ?
Nous prenions des séquences des films sur lesquels il travaillait à ce moment-là : Forever Young, Matinee (Panic sur Florida Beach), et nous composions pour celles-ci en même temps que lui. Il en faisait alors la critique, et faisait même venir des réalisateurs pour faire de même.
Quel genre de professeur était-il ?
Très direct, pas de blabla. S’il aimait quelque chose, il vous le faisait savoir. Et s’il n’aimait pas, vous le saviez également.
Quels éléments de son enseignement vous ont impressionné le plus ?
Qu’il ne s’agisse pas simplement de répondre aux besoins d’une scène en particulier. Il écrivait (et nous faisait écrire) des mélodies complètes, incluant un thème A et un thème B, même s’il n’y avait aucune possibilité de l’utiliser dans le film. Il s’agissait de faire découvrir l’essence du film dans la musique, comme un puzzle, et tout le reste n’était que technique.
Quels sont pour vous les mots-clés de son enseignement ?
Mélodie et économie. Ne pas en faire trop pour une scène, juste obtenir de l’orchestre l’effet désiré, pour capturer l’essence du film à travers un contenu mélodique.
Quel était son point de vue sur ce qu’est une collaboration fructueuse avec un réalisateur ?
Se mettre à sa place, dans sa tête, et voir le film de son point de vue. Et comprendre que le réalisateur à bien plus en jeu que le compositeur.
Et sur l’utilisation des synthétiseurs, et d’une façon plus générale, sur l’orchestration pour un film ?
L’orchestration n’était pour lui qu’un simple moyen d’enjoliver les couleurs des idées musicales. Par contre, les choix de timbre faisaient partie intégrante de la communication musicale, indissociables de la mélodie et de l’harmonie. Et les synthétiseurs étaient une extension de la palette non-orchestrale.
Et sur la place de la musique dans le film ?
Jamais neutre, jamais une musique d’ascenseur ! Jouer aux côtés de l’histoire sans forcer l’attention.
Diriez-vous que ses positions sur ce sujet sont traditionnelles, ou toujours progressistes ?
Le fait qu’il soit toujours considéré comme un grand maitre dicte l’évidence : ses positions sur ce sujet sont intemporelles.
Que diriez-vous de la vision de Goldsmith de l’état actuel de la musique de film ?
Je me souviens qu’après la première de certains de ses films, il déprimait parce que la musique était mixée bien trop en retrait. Tous ces efforts, ce soin du détail, pour élever le film vers des sommets, et un réalisateur qui n’avait pas la clairvoyance de le reconnaitre. Maintenant que cela m’est également arrivé, je comprends ce sentiment de frustration.
Que diriez-vous de la place occupée par Jerry Goldsmith dans l’histoire de la musique de film ?
Sans Jerry, la musique de film serait probablement différente de ce qu’elle est aujourd’hui. Je pense que, plus que n’importe quel autre compositeur, il a comblé le fossé entre le style à l’ancienne d’Hollywood et le compositeur de film moderne.
Enfin, voulez-vous ajouter quelque chose sur lui, son enseignement… Des anecdotes ?
Il travaillait sur Matinee, et il confia à ses élèves une ou deux scènes sur lesquelles nous devions travailler parallèlement à lui. J’ai donc écrit un tango pour le personnage de John Goodman, et j’étais très nerveux à ce propos, parce que cela semblait un peu tiré par les cheveux. Mais je lui ai joué au piano. «Bon sang», a-t-il dit, «j’aurais dû écrire un tango !». Et je me souviens m’être senti transporté ! C’était le plus beau compliment que je puisse recevoir, et je lui suis très reconnaissant de sa sincérité. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé qu’il n’y a pas de règles dans ce métier : plus on est créatif, plus le travail peut être gratifiant. J’ai aussi toujours trouvé incroyable que, aussi occupé et demandé soit-il, il était toujours très préoccupé par son projet suivant. Peut-être que cette absence de suffisance, la pensée que «ce pourrait être mon dernier job», l’ont maintenu à la pointe toutes ces années. Jerry ne se reposait jamais sur ses lauriers. J’en ai été profondément marqué.
Entretien réalisé en septembre 2003 par Florent Groult.
Transcription : Florent Groult.
Traduction : Olivier Desbrosses.
Photographies : © www.marcobeltrami.com