Michael Winner est de cette race qu’on ne domestique pas de cinéastes particulièrement mastiffs. Sa carrière pourrait être résumée par le seul truchement des quiproquos et controverses qu’elle engendra en nombre, à commencer par la promulgation crapoteuse de l’auto-défense que les âmes aisément effarouchées virent puis pourfendirent dans le célébrissime Death Wish (Un Justicier dans la Ville). Quoique très inégale, l’œuvre du natif de Londres appelle toutefois à d’autres considérations que ces quolibets décochés tels des carreaux d’arbalète. Dont la suivante : musicalement parlant, bon sang, ce type savait s’entourer ! Le fidèle parmi les fidèles Jerry Fielding, Gil Mellé dans The Sentinel (La Sentinelle des Maudits), Herbie Hancock bien évidemment, qui arpenta le sombre bitume new-yorkais aux côtés du vindicatif Charles Bronson… Autant de compositeurs trop heureux d’avoir trouvé en lui un pygmalion réceptif à toutes les expériences, contre-pied subtil ou décharges électro-acoustiques, angoisse atonale larvée ou riffs telluriques de guitare, extraversion qui ne prend pas de gants ou autisme au-dessus duquel gronde l’orage. Mélomane averti, le réalisateur ne tarit jamais d’éloges quant à sa précieuse soldatesque du solfège. Aucun des virtuoses précités ne fut cependant le centre névralgique de ces dithyrambes prodigués sans compter. L’honneur en revint à une légende dûment certifiée du rock’n’roll, Jimmy Page, qui prit la succession d’Hancock pour doubler les coups de flingue vengeurs de Paul Kersey dans le tardif Death Wish II.
L’offre que lui fit Michael Winner tombait à point nommé. Au seuil des eighties, livré à lui-même et, pour tout dire, passablement groggy après les circonstances tragiques qui précipitèrent la fin de Led Zeppelin, le guitariste cherchait à donner un second souffle à sa carrière. Il y parvint brillamment en électrisant les bas-fonds noircis de tags de Los Angeles, nouveau cadre pas moins spongieux que celui de la Grosse Pomme où déambule en quête de marlous à trucider un Bronson plus minéral que jamais. En vérité, il réussit tant et si bien que, trois ans plus tard, lorsque l’acteur et son metteur en scène fétiche remirent le couvert, son ouvrage fut réemployé à l’identique — apposé tel quel sur les images, où les immeubles trapus de la banlieue londonienne qui abrita le tournage s’évertuent, en vain, à ressembler à leurs intimidants homologues de New York. Ce qui ne devait initialement que servir pour les besoins du temp track eut tôt fait de convaincre Winner de son potentiel dramatique, sans couture ni retouche à mettre en train. Menahem Golan et Yoram Globus, les éminences filoutes de la Cannon, pas spécialement réputés pour l’octroi à la demande de budgets princiers, furent à coup sûr comblés d’aise en songeant aux économies dont les gratifierait ce bis repetita musical ; pour sa part, Jimmy Page s’en trouva un brin déconfit, lui qui confia ensuite qu’une vendetta entièrement neuve en zone de guerre n’eût pas été pour lui déplaire. Zone de guerre, les termes n’ont rien d’outrancier, car c’est à une hypertrophie abracadabrante du concept matriciel de vigilante, seul contre la racaille des bas quartiers et contre la folie le rongeant, que s’adonne Death Wish 3. Déjà sensible dans l’opus précédent, ce virage effectué tous pneus hurlants en direction des bandes d’exploitation qui ne s’alourdissent d’aucun scrupule pouvait-il réellement héberger sans la dénaturer la partition plus mature qu’il n’y paraît de Page ?
Un long travelling, la nuit, balaie la devanture d’un magasin et son contenu pétrifié, des bustes de mannequins aux lèvres cireuses, aux yeux vides et morts. À peine Bronson, appuyé contre la vitrine qui le peinturlure de ses reflets bleutés, se différencie-t-il de cette macabre légion… Happé par sa destinée d’ange exterminateur, dans le dédale sans fin des rues qu’il sillonne en de lugubres randonnées, il n’a pas conscience du triumvirat, acoustique, électrique, synthétique, des meutes de guitares conglomérées par « Little Jim ». Les sons qu’elles vomissent, coassants, pleins de dents cassées, ébauchent un stupéfiant panorama mental, face auquel l’on se sent tituber comme au bord d’un gouffre avide. Mais ça, c’était avant, dans Death Wish II ; avant que la brusque tocade de Michael Winner n’insérât au chausse-pied, dans un New York d’opérette, le lamento écorché des fantômes. À l’époque du chapitre 2, d’aucuns, estomaqués par le noir cocktail du fondateur de Led Zep, secouaient déjà tristement la tête, soupirant que cela revenait à donner de la confiture aux cochons. Mais, de toutes les fêlures qu’ouvrait Jimmy Page sur d’infects marécages, il ne reste rien dans ce numéro trois, où les riffs bancroches ne servent plus que de thème de fortune aux gouapes affublées d’un accent cockney. Pas même un relent fatigué de soufre ne monte de la mélodie pour cordes toute menue, affiliée auparavant à la fille martyre de Paul Kersey, et qu’un ricochet facile transmute en chaste Love Theme au bénéfice de la bluette amorcée sans conviction entre le justicier et une jeune avocate. Connaissant Michael Winner, cet animal qui se fichait comme d’une guigne de la bienséance, l’on se demande si, au summum de ses moyens, il n’aurait pas englué ce glissement musical d’un filigrane aussi morbide qu’incestueux…
Ici, dans ce film d’action bêta voyant Bronson, en Punisher plutôt rassis, faire rugir mitrailleuse et bazooka sous les applaudissements féroces des gérontes du coin, le réalisateur n’est plus de bois. À l’exemple de tellement d’autres, il a fini par abdiquer contre les artifices clinquants des années 80, dont Mike Moran se révèle un ambassadeur enthousiaste. Bien qu’il n’ait été convié à la noce que pour un rudiment de musique additionnelle, le claviériste de formation, réputé surtout grâce à son habileté d’arrangeur qui le rendit populaire sur la scène britannique, concocte un préambule disco-funk en manière d’avertissement : non, décidément, cette énième bronsonnerie n’aura pas grand-chose de sérieux. Les cuivres groovy qui se dandinent à perdre haleine ont les accents suaves d’une petite revanche, celle de Golan et Globus. Eux, lors de Death Wish II, voulaient Isaac Hayes, dans l’espoir que le Black Moses leur fabrique un nouveau Shaft chaloupé à l’instar de l’original. À tout prendre, Moran constitue un efficace substitut. Mieux encore, son feeling hérité d’une blaxploitation trépassée de fraîche date ondule en parfaite harmonie avec la guérilla urbaine, ahurissante de Grand-Guignol, sur laquelle s’achève Death Wish 3. Après avoir méticuleusement passé le karcher de la cave au grenier, Paul Kersey s’éloigne avec la fierté du devoir accompli, les yeux tournés vers sa prochaine mission d’éradication de la vermine. Et derrière lui, jonchant ainsi qu’une encombrante chrysalide le champ de bataille, les derniers vestiges du culot d’Herbie Hancock et de Jimmy Page agonisent sans gloire.