Die Hard 2: Die Harder (Michael Kamen)

Don't let the music die hard!

Disques • Publié le 26/11/2013 par

Die Hard 2: Die HarderDIE HARD 2: DIE HARDER (1990)
58 MINUTES POUR VIVRE
Compositeur :
Michael Kamen
Durée : 122:11 | 36 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

4 out of 5 stars

Ah, les bons vieux Varèse de trente minutes ! On se voit mal feindre une hypocrite nostalgie pour ces albums aux côtes saillantes, mais il suffit de ramener leur souvenir sur la table pour que le béophile d’expérience remonte le temps jusqu’aux années 90, quand la firme de Robert Townson dominait le marché de toute sa hauteur. Les grosses productions hollywoodiennes, pour la plupart, se nichaient dans son giron, et avec elles certains des compositeurs les plus courtisés (et surtout talentueux) du moment. Jerry Goldsmith, Basil Poledouris, Alan Silvestri, Elliot Goldenthal… De passage dans cet organigramme princier, Michael Kamen a goûté lui aussi, pour le meilleur et pour le pire, à la fameuse médecine du label. Ainsi, non content de bafouer à l’écran les promesses d’un titre appelant à la surenchère, Die Hard 2 ne s’est pas davantage distingué par l’abondance éditoriale d’un disque dont on avait tôt fait d’épuiser la petite demi-heure réglementaire. Le verdict, impitoyable, rejeta cette partition dans la horde des suites plus ou moins alimentaires, inféodées à leur modèle au point de rejeter tout soupçon d’audace. Evidemment, l’actioner lambda de Renny Harlin, littéralement concassé entre les deux pièces maîtresses de John McTiernan, n’est pas tout à fait étranger à tant de désinvolture critique. Mais voilà, si le finlandais bourrin ne peut guère s’offusquer des casseroles qu’il traîne, il n’en va pas de même pour Kamen. Nul scepticisme, c’est certain, ne peut survivre à l’écoute ébahie et foncièrement neuve du double album, chargé comme un fusil-mitrailleur, qui s’est matérialisé sans prévenir sous la bannière de Varèse Sarabande.

 

Soit, le compositeur n’a jamais cherché à faire table rase du passé. Et ce n’est pas cette intégrale, où le fameux thème de cinq notes du flic dur à cuire John McClane se révèle omniprésent, qui aurait valeur de contre-argument. Mais il y a un fossé entre la copie carbone ne s’autorisant aucun écart et les citations intelligemment distillées, comme autant de réminiscences subtiles d’un univers qui n’attend que d’être exploré à nouveau. Colonel Stuart et Baggage Flight, qui inaugurent les réjouissances, sont de bons exemples de recyclage copieux, avec juste ce qu’il faut de déviations rythmiques et de couleurs inédites, placées aux endroits les plus judicieux pour qu’il soit malaisé de crier à l’auto-plagiat flemmard. Les cuivres et les percussions métalliques, notamment, font déjà preuve d’une agressivité décuplée, même si ce ne sont là que de simples amuse-bouches devant le pantagruélique festin d’action que réserve Die Hard 2. Pour l’heure, Kamen entend surtout, en quelque sorte, faire les présentations. Premier à s’inviter, le motif du méchant, qui dévoile toute la menaçante dangerosité de sa flûte solo en un petit chapelet de strophes syncopées. Avec une admirable économie de moyens, ce Nude Tai Chi aussi froid qu’une écharde de glace en dit plus long sur la détermination du vil colonel Stuart que le comédien William Sadler, raide comme un piquet et pas beaucoup plus charismatique.

 

John McClane, encore plus dur à cuire...

 

L’autre régalade thématique, si elle arbore les mêmes nuances frigorigènes, témoigne cette fois d’une jolie dose de malice, celle de Kamen en personne. Symphoniste chérissant dévotement les grandes pages du répertoire classique côté pile, trublion hilare et rock’n’roll côté face, feu Michael aurait pu céder à la raison en traçant une ligne médiane entre ces deux axes a priori antinomiques. Au lieu de quoi il les a conviés à tomber dans les bras l’un de l’autre et à faire les quatre cents coups ensemble. On l’avait vu précédemment dans Die Hard, qui faisait main basse sur l’Ode à la Joie pour aérer tout en espièglerie un huit-clos crépitant de tension. Bis repetita avec ce deuxième opus, où les notes atrabilaires qui ouvrent le Finlandia de Sibelius apportent aux bad guys de faction un nouveau leitmotiv. Nonobstant l’inoffensif clin d’œil qu’on devine adressé au Viking de la caméra Renny Harlin et qui ne semblait pas devoir tirer à conséquence, le bien-fondé d’un tel choix est rapidement entériné par l’alchimie heureuse qui s’opère entre le fameux poème symphonique et les bourrasques de neige cinglant le cadre presque monochrome du film.

 

Incarnation venimeuse de la menace terroriste, ce leitmotiv affirme totalement sa présence dans Powering Up, qui révèle toute l’étendue de la terrible machination ourdie par le colonel Stuart. La police sera parmi les premiers à en faire les frais : convaincus de leur force, comme l’attestent les percussions martiales envahissant Marching To The Annex à un pas cadencé, des flics en armes ne se rendent pas compte que la mort, promise par les coups de bélier de Finlandia, les attend au bout du chemin. D’autre victimes, innocentes cette fois-ci, subiront un sort pas moins brutal dans Crashing The Jet, long et implacable crescendo qui marque une fois encore pour Kamen l’occasion de sortir du placard certains des « vieux » pics dramatiques du Die Hard originel. S’il est des tristes sires qui n’y verraient que l’espoir de rabâcher une formule à succès, ceux-là seraient bien avisés de tendre l’oreille, et par la même occasion le coeur, à John Picks Up The Doll, une touchante pièce pour cordes et hautbois, porteuse de bien plus de grâce que la scène où Harlin, en bon marchand qu’il est d’émotion au rabais, vide la carcasse disloquée d’un avion de tous ses cadavres pour y loger fort opportunément une poupée. Et John McClane, les yeux rougis, de s’ériger complice du hold-up lacrymal.

 

Mais le cinéaste n’est pas homme à s’appesantir sur le désarroi de ses personnages, et très vite, les flingues reprennent la parole. Pour Kamen, c’est le début d’une fantastique course d’endurance dont on trouvera peu d’équivalents dans sa carrière, et qu’il va mener à un train atomique. Chez beaucoup d’autres compositeurs, Meeting Esperanza, foyer de ces dantesques soubresauts telluriques, aurait probablement tenu lieu de clou du spectacle. A supposer seulement, bien sûr, qu’ils eussent pu déployer autant de brio dans le luxe des orchestrations et la prodigalité d’une écriture mêlant clarinette glaciale, piano hypnotique et tambourin fiévreux au cœur d’un même tumulte symphonique. Alan Silvestri, dans un grand soir, aurait réussi. La référence n’a rien d’anodin, car c’est bien l’auteur de Predator qu’on reconnaît soudain dans John Punches Esperanza, à la faveur d’un court dialogue entre les cuivres et les trémolos des cordes. Kamen, néanmoins, trop occupé à en découdre avec son champ lexical «diehardesque» pour lorgner durablement la chasse gardée d’un confrère, retourne derechef s’employer dans l’haletant Fight With The Sentry à faire du neuf avec de l’ancien. Ô combien erronée se révèle la légende, voulant qu’il n’ait jamais été très en verve dans l’exercice particulier de la séquelle !

 

McClane à la recherche d'Holly

 

Et le meilleur est encore à venir. Le voilà justement qui se manifeste à grand fracas dans Shootout And Snowmobile Chase, l’un des plus homériques sommets du film. On voit mal comment bouder son plaisir (intense !) devant une pareille démonstration de savoir-faire, dont le soin presque obsessionnel apporté à l’élaboration des textures ne prend à aucun instant le dessus sur une étourdissante vélocité. Grisé, de toute évidence, par les réactions en chaîne qu’il a lui-même déclenchées, Kamen exige prouesse après prouesse de la part des membres du Los Angeles Motion Picture All Stars Orchestra (ouf !), à l’instar de Jerry Goldsmith qui, la même année, poussait le National Philharmonic Orchestra dans ses derniers retranchements avec le titanesque Total Recall. Les deux partitions ont d’ailleurs ceci de commun qu’elles sont parvenues, malgré le déluge de feu qui a précédé, à faire du grand final une terrassante apothéose. Ici, le diptyque Fight On The Wing / Fight On The Wing Continues semble résolu à tout tenter, durant dix minutes pleines à ras bord, pour nous précipiter à genoux. Et si les multiples ruades d’action, dopées par la férocité des cuivres, ne devaient pas y suffire, il faudrait encore compter sur les étonnants instants en suspension qui les émaillent. Les airs quasi avant-gardistes dont se pare alors la musique, avec ces roulements si savamment modulés qu’ils paraissent n’avoir pas de fin, sont en tout cas dépourvus de la gratuité capricieuse que d’aucuns soupçonneraient à l’écoute seule : d’ordinaire on ne peut plus carrée, la mise en scène de Renny Harlin tutoie soudain une abstraction intrigante (et absolument involontaire, n’en doutons pas) quand l’avion des méchants, paré au décollage, file le long d’une piste devenue interminable dans les ténèbres. On ne serait pas étonné que Kamen se soit frotté les mains en découvrant ce finish quelque peu surréaliste, prétexte pour lui à fomenter d’ultimes éclats de virtuosité musicale.

 

Le temps passant, la propension de James Horner à ne jamais citer les œuvres classiques dans lesquelles il a puisé sans vergogne est entrée dans l’Histoire. Gageons que Sibelius, entre ses mains, aurait connu un traitement similaire. Mais Kamen, qui s’est fait une spécialité de tailler une bavette amicale avec les standards populaires d’horizons variés, n’entend pas rejeter son modèle dans l’ombre. L’excellent Finale, ostensiblement dédié à Finlandia, honore ainsi le vénérable compositeur sans la moindre arrière-pensée avant que le thème de McClane, une dernière fois, ne reprenne la main. Après tout, notre héros ayant une fois de plus soulevé des montagnes pour sauver sa femme, il méritait bien l’homélie tendre, sans chichis larmoyants, qui lui est réservée lors des tant attendues retrouvailles. Une manière, également, de laisser à tout le monde (Bruce Willis couvert de plaies et de bosses, les musiciens à bout de forces, les mélomanes aux tympans sens dessus dessous) le soin de récupérer un peu de souffle après ce voyage bougrement mouvementé. L’annonce d’une réédition de Die Hard 2 n’avait pas exactement transporté d’allégresse le microcosme de la musique de film, dont tous les yeux restaient obstinément braqués sur un Die Hard With A Vengeance inébranlable au faîte de son piédestal… En fin de compte, c’est une grenade dégoupillée qui a atterri dans les rangs des sceptiques médusés ! Mais il ne fallait pas autre chose pour qu’un tel score, mésestimé depuis toujours, conquière enfin les sphères dorées de l’œuvre de Michael Kamen, dont l’accès lui avait été barré par trop de sentences lapidaires. Le triomphe, en somme, de la justice.

 

Woops !!!

Benjamin Josse
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