Gremlins (Jerry Goldsmith)

L'assassinat du Père Noël

Décryptages Express • Publié le 25/12/2016 par

GREMLINS (1984)Gremlins
Réalisateur : Joe Dante
Compositeur : Jerry Goldsmith
Séquence décryptée : Too Many Gremlins (1:09:45 – 1:11:45)
Éditeur : Film Score Monthly

 

Alors c’est comme ça qu’on célèbre Noël ? Tous des sales gosses ! Les gremlins, y a qu’à voir leurs têtes, et pour Joe Dante, on savait déjà. Mais Jerry Goldsmith… On l’a connu ironique, voire grinçant, mais là, c’est carnaval ! Et il en est fier en plus : on le voit faire le guignol dans le film, une amitié qu’il n’aura faite qu’à Dante, auquel il restera fidèle jusqu’à sa mort. On ne sait quel courant est passé entre les deux hommes, mais c’est du 12.000 volts ! Facétieux avec le réalisateur de Gremlins comme avec aucun autre, Goldsmith multipliera dans ses scores pour Dante les clins d’œil, les détournements, les pastiches, allant même parfois jusqu’à l’auto-parodie, dans un jeu de massacre foutraque, joyeux, et bien entendu toujours précis au millimètre.

 

En témoigne cette scène, sans doute la plus iconoclaste d’un film qui est un manifeste du genre, et au long duquel Dante piétine avec un humour rageur tous les symboles de l’Amérique reaganienne. Jusqu’au bon Santa Claus, promu par la Coca-Cola Company saint patron en rouge et blanc de tous les enfants, et surtout de tous ceux qui veulent leur vendre quelque chose. Ajoutant l’insulte à l’outrage, Dante ose montrer les policiers abandonner froidement à une grappe de petits démons le pauvre hère déguisé en Père-Noël qui vient leur demander secours, troquant sans une hésitation leur confort contre la vie de leurs administrés. Ils seront punis par ceux qui sont censés être les monstres du film…

 

Né au cinéma par les B-movies des fifties, Dante a fait de leurs motifs son langage mais pas son credo, bien au contraire. Gremlins, qui reprend la plupart des clichés du film d’invasion monstrueuse, en pervertit l’une après l’autre toutes les valeurs. Aucun secours des institutions donc, et aucune solidarité entre les habitants de Kingston Falls face à l’invasion des gremlins. Éclos dans le grenier de Billy après que Gizmo, le gentil mogwai, ait été mouillé accidentellement, les gremlins, menés par le rusé Stripe, se multiplient en se jetant dans la piscine municipale. Émergeant des eaux turquoise dans un bouillonnement annonciateur des débordements à venir, ils se répandent dans les rues désertes. Pour les monstres, la voie est libre, et Goldsmith est sur leurs talons.

 

Les petits chanteurs de la Saint-Jerry

 

L’attaque par une bordée de cuivres qui pourrait souligner la menace grandissante des monstres se révèle à l’image un commentaire goguenard avertissant les notables de Kingston Falls que personne n’est à l’abri, approuvant l’exécution de l’affreuse madame Deagle, hybride local de Scrooge et de la Wicked Witch, et nous invitant, le temps d’une danse, à emboîter le pas des petits monstres. Et quelle farandole ! Peut-être le thème le plus connu de sa carrière, et l’un des plus emblématiques du cinéma Amblin des années 80, le Gremlin Rag ricane pour la première fois à pleines dents dans cette séquence.

 

D’abord comme bégayé par des bestioles se chauffant la voix, il est interrompu par un violon méphistophélique rappelant la nature diabolique des créatures. Puis, martelé sur un synthé qui prend définitivement le contrôle de la composition, le thème des gremlins devient une danse diabolique qui tourne en rond, et il suffit à Goldsmith de lui donner une petite accélération quand elle repasse, un peu plus d’épaisseur orchestrale ou des effets sonores basés sur des voix déformées pour qu’on se sente pris dans un spirale infernale, et que l’exultation laisse pointer la peur et la folie. Un ragtime façon graffiti, un pied dans la modernité iconoclaste du film avec le Yamaha qui klaxonne, un pied dans la tradition du cartoon des années 30, quand Goldsmith choisit un « genre de vieux rag ».

 

Une audace qui paraît d’ailleurs un brin excessive à un Dante pourtant peu avare en la matière, et qui devrait comprendre mieux que personne la malice de la référence. On verra dans les réticences du cinéaste frondeur la meilleure preuve que Goldsmith a saisi d’emblée la nature des petits monstres : des sales gosses capables du pire, n’ayant de goût que pour le chaos et la destruction, et impossible à ne pas aimer, tant on envie leur liberté, leur absence d’arrière-pensée, leur joie primitive. Autant de pulsions semblant avoir trouvé un écho chez le compositeur, qui en tire une de ses musiques les plus inoubliables. Si Jerry Goldsmith n’était pas le Dieu de la musique de film, on pourrait croire qu’il en est le Diable ! Joyeux Noël, Mrs. Deagle !

 

Pierre Braillon
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