BULWORTH (1998)
BULWORTH
Compositeur : Ennio Morricone
Durée : 42:30 | 2 pistes
Éditeur : RCA Records
Bulworth est un film américain réalisé et interprété par Warren Beatty, célèbre Clyde dans Bonnie & Clyde. On y retrouve aussi Halle Berry, Don Cheadle et Paul Sorvino. Bulworth est respectivement le troisième et dernier film de la collaboration entre Warren Beatty et Ennio Morricone, après Bugsy et Love Affair (Rendez-Vous avec le Destin). Un homme politique déprimé et ayant perdu foi en sa doctrine décide d’en finir et engage un assassin pour l’exécuter. En attendant sa mort inéluctable et libéré de ses responsabilités, il commence à faire n’importe quoi et dit ses quatre vérités à tout le monde. Alors qu’il reprend petit à petit goût à la vie, il aperçoit un homme suspect qui le suit. Ne voulant plus mourir, il s’enfuit avec une jeune femme rencontrée en boite tout en essayant de recontacter le tueur pour annuler le contrat.
Pour ce film, le maestro italien a utilisé une technique singulière, bien que ce ne soit pas la première fois. La B.O. n’est composée que de deux suites, l’une de 18 minutes et l’autre de 25 minutes, présentant chacune une ambiance différente. Elles sont fractionnées en petits morceaux dans le film. Morricone n’est pas seul dans la bande sonore du film : il partage l’affiche avec de nombreux rappeurs qui ont composé des titres pour le film, comme Dr. Dre, RZA ou encore les Black Eyed Peas. Par une certaine maestria dans le montage musical, les deux albums se complètent admirablement. Les chansons prennent principalement le devant de la scène et les morceaux de score s’intercalent entre elles. Des transitions musicales sont parfois réalisées entre les deux, ce qui fait que le spectateur ne remarque presque jamais que le film a changé de registre.
La première suite présente la romance, qui va tout aussi bien accompagner le personnage de Bulworth que celui de Nina (Halle Berry), tandis que la deuxième nous introduit aux différents motifs de tension. C’est celle-ci que l’on va entendre le plus souvent dans le film. Elle se manifeste à chaque fois que le prétendu assassin réapparaît, relançant notre sénateur dans sa fuite. C’est cette suite qui est le plus souvent mixée entre deux chansons. Elle commence sur le thème d’amour, principalement mené par les cordes, alors qu’une note est tenue derrière. Le rythme est lent et posé, les cordes montent doucement, jusqu’à l’apothéose, pour redescendre juste ensuite. Rappelant un peu le Deborah’s Theme de Once Upon A Time In America (Il Était une Fois en Amérique), ce thème se bonifie dans ses différents développements, avec l’ajout d’une flûte et d’un piano, ajoutant ainsi une couche émotionnelle, et des cordes qui viennent soutenir la mélodie, pour plus de lyrisme. La mélodie montant puis descendant brusquement n’est pas sans rappeler la trajectoire effectuée par le personnage principal.
Le thème est de nouveau convoqué plusieurs fois ensuite, mais toujours entrecoupé d’une autre mélodie. Cette dernière enlève la note tenue. Elle se base principalement sur une voix féminine, caractéristique habituelle chez Morricone, qui se fait plus ou moins inquiétante et qui reprend en partie la mélodie déjà entendue. Elle est appuyée derrière par les cordes qui se font plus menaçantes et tressaillantes. Se répétant plusieurs fois, cette deuxième séquence introduit un mélange de romantisme et de tension qui s’apparente au personnage de Nina. Servant d’abord de love interest pour Bulworth, le spectateur découvre plus tard qu’elle a été engagée pour tuer le sénateur. Durant les scènes où Bulworth fuit l’assassin, il fuit justement avec un autre assassin, qu’il croit inoffensif. Ainsi Nina s’incarne dans cette deuxième séquence en tant que partie prenante de la romance mais aussi de la tension. Elle se fait ainsi sa propre voie, se détache de Bulworth et de son amour pour affirmer son individualité à travers cette séquence.
Avec l’évolution du personnage dans le film et la suite, une séquence primordiale intervient. La voix féminine jusqu’ici en décalage commence à se calquer sur la mélodie de romance. Le thème se finit et reprend à nouveau, la voix cette fois-ci accompagnant pleinement la mélodie. Cette partie intervient sur une des scènes finales, alors que les deux personnages principaux s’embrassent finalement. La musique retentit comme elle n’avait encore jamais retenti avant. En raccrochant ses deux parties, Morricone explicite la romance, Nina n’incarne plus cette ambivalence, elle n’est plus en décalage par rapport à la vision romantique de Bulworth. Elle s’y accorde et cette fusion des deux mélodies incarne parfaitement cette romance qui prend définitivement forme. Voici l’un des avantages de la mise en retrait de la mélodie à l’image : quand elle prend vraiment le devant, comme dans cette scène, elle devient alors directement plus marquante pour le spectateur. Cette séquence musicale sublime parfaitement cette scène justement par le côté unique qu’elle représente dans le film et ce sentiment d’explosion du cadre qu’elle fait ressentir. Mais la première piste ne s’arrête pas là. La musique revient sur des cordes paranoïaques et la voix féminine semble plus déchaînée que jamais. Elle crie presque et gagne ainsi une puissance unique. Portant un certain côté dramatique, cette séquence traduit la scène suivante, alors que l’assassin rattrape Bulworth. La voix retranscrit ce cri d’impuissance et de désespoir face au danger qui le menace, qui paraît inévitable. L’amour reste appuyé, augmentant la détresse du morceau, car entend presque « my love » dans les cris de la soliste
Pour ce qui est de la seconde suite, elle est composée de six séquences différentes qui se répètent et se recoupent. Morricone a composé une sorte de melting pot de toutes les manières de mettre en musique le suspense au cinéma. Elle débute sur un rythme cadencé sur des percussions et une petite guitare, qui sera reprise par les cordes. En arrière-plan, des cuivres, sur un ton un peu militaire. Les cordes, interviennent occasionnellement, brisant la mélodie, dans des saillies menaçantes. Elles viennent ensuite supporter le rythme. La montée ne semble pas vouloir s’arrêter. Tout cela ressemble à une course sans fin du danger. Le rythme rapide des pas, les menaces qui interviennent soudainement, cachés dans l’ombre. Évoquant légèrement le Main Title de The Untouchables (Les Incorruptibles), cet élément reviendra plusieurs fois durant la suite, parfois avec les cuivres et les percussions gonflant cette idée de tension qui semble monter sans jamais s’interrompre. Le côté martial du morceau nous suggère la fuite du pouvoir du protagoniste, représenté ici par l’assassin, d’un pouvoir qui nous sera révélé à la fin du film, un pouvoir qui ne veut pas être remis en question et qui veut empêcher Bulworth de le faire publiquement. Durant une reprise, un banjo prend le devant, donnant un sentiment plus country. Cela rappelle le travail effectué par le maestro sur le film U-Turn d’Oliver Stone, où spectres et meurtres morbides se rencontraient déjà. Cet instrument appuie ici le côté légèrement ridicule de la fuite. Tout en appuyant la tension, il pose aussi la question au spectateur de la véracité de la menace, de l’utilité de la fuite. Pour ceux qui ont lu Les Tribulations d’un Chinois en Chine de Jules Verne, la panique semble effectivement risible.
La deuxième partie de la suite est sur le même registre, avec des notes plus hautes et un piano et une flûte qui s’ajoutent. On semble monter encore d’un cran dans le suspense, comme si le meurtrier s’était rapproché. Les troisième, cinquième et sixième séquences changent de rythme pour explorer une horreur plus sourde : montées soudaines de cordes, notes appuyées par les percussions, rythmes binaires, parties dissonantes, sonorités agressives, séquences presque désagréables… La mélodie est changeante et prend différents aspects. Dans un rythme rappelant un peu Jaws (Les Dents de la Mer) de Williams et les parties dissonantes de Il Gatto a Nove Code (Le Chat à Neuf Queues) de Morricone, ces séquences délivrent une musique plus viscérale, plus sourde et terrifiante mais aussi plus irréelle.
Sur la troisième et quatrième séquence, c’est une dimension plus fantastique qui est explorée. Le piano et la flûte donnent, dans un ton flottant, une dimension fantomatique, questionnant à nouveau l’auditeur sur la présence réelle du danger. La flûte semble parfois imiter un cri, renforçant le côté mystérieux. La quatrième séquence comprend en plus une partie très jazz, avec un piano et sons électroniques. Cette dimension évoque des partitions de polars urbains comme Dirty Harry (L’Inspecteur Harry) de Lalo Schifrin ou In The Heat Of The Night (Dans la Chaleur de la Nuit) de Quincy Jones, dont Bulworth reprend en partie l’héritage. Finalement, cette suite de tension nous pose réellement une question : où se situe vraiment la menace ? Car bien que le tueur paraisse toujours proche, parfois derrière nous, parfois autour de nous, parfois invisible, il ne nous atteint jamais réellement. Il se fait alors plus mystérieux, fantomatique, fantastique. Il est bien incarné en tant qu’idée, sous différentes formes, mais ne paraît jamais réellement frapper. La tension monte, mais ne mène nulle part. Car en réalité, ce qui inquiète notre protagoniste n’est pas ce qui semble le poursuivre, mais bien ce qui l’accompagne, qui s’incarne alors dans les parties plus inquiétantes de la première suite. Le film ne rend pas totalement service à cette suite, très découpée, qui est au final plus utilisée comme transition entre les chansons et n’obtient pas de vraies scènes marquantes.
C’est un travail donc ambivalent pour Morricone. Ce qui se fait long dans l’album se fait court à l’écran. Ce qui apparaît beaucoup à l’écran est au final ce qu’on retient le moins dans le film. Mais il aura suffi d’une scène à Warren Beatty pour emmener la musique du maestro au firmament et exploiter tout son potentiel romantique. L’album, expérience bien différente, fait dans la longueur et ne cesse d’impressionner par l’intelligence de sa proposition et sa cohérence avec l’histoire du film. Deux approches contraires et pourtant, aucune n’échoue durablement à nous marquer. Peu importe la forme, Morricone ne cessera jamais de briller.