Cinéaste génial, John Carpenter est aussi un homme-orchestre : réalisateur, producteur, scénariste, monteur. Mais il est également responsable des partitions musicales de la plupart de ses films. Un intérêt enraciné bien avant ses débuts au cinéma : « Mon amour de la musique remonte à ma prime jeunesse, et j’ai même à un moment joué dans un petit groupe de rock ». Son père, professeur de musique et violoniste, n’est certainement pas étranger à cet intérêt particulier. Pourtant, Carpenter compose presque exclusivement au synthétiseur, employant des techniques et des rythmes minimalistes qui donnent à ses musiques une sonorité unique. Une simplicité et un instinct musical qui rendent ses compositions parfaitement complémentaires de sa mise en scène, sans jamais qu’il ne se sente, tout du moins dans la première partie de sa carrière, gêné par son absence de formation musicale classique : « J’interprète mes scores. Je suis incapable d’écrire la musique. Tout est improvisé ». D’où une méthode de travail plutôt inhabituelle chez les compositeurs de cinéma : « Je prépare la musique une fois le montage terminé. Je ne pars pas ensuite en re-montage. C’est un processus séparé, et je ne pense jamais à la musique jusqu’à la fin du montage. J’utilise une musique temporaire provenant d’autres films qui puisse me donner une idée, ou m’indiquer ce qui ne fonctionne pas ». Très rares sont les cinéastes qui cumulent de façon aussi systématique réalisation et composition sur la majorité de leurs œuvres (outre Carpenter, seul Chaplin vient à l’esprit) : « L’univers du réalisateur implique un peu de tout : visuels, sons, direction d’acteurs, narration, choix de la musique… Mais le compositeur a des problèmes plus acoustiques : thème, mélodie, il doit fournir l’émotion musicale pour le film. Il se concentre sur un seul difficile problème : quel son sera associé au film. Ca peut être très simple, comme Jaws (Les Dents de la Mer) de John Williams, ou le Psycho (Psychose) de Bernard Herrmann ». Des références on ne peut plus classiques, même si Carpenter tient tout de même à marquer sa différence, décrivant son style musical comme étant en quelque sorte « l’anti John Williams ».
DARK STAR (1974)
DARK STAR
Compositeur : John Carpenter
Durée : 51:01 | 2 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande
Dès sa première réalisation pour le grand écran, Carpenter se retrouve chargé de l’illustration musicale, essentiellement pour des raisons budgétaires, comme il le reconnait lui-même : «En tant que musicien, je suis le plus économique et le plus rapide que je connaisse». Le résultat, quelques accords synthétiques sans grand relief, fleure bon l’amateurisme qui caractérise aussi ce premier long-métrage, pour le meilleur comme pour le pire. Mais ce premier pas musical annonce déjà à deux ou trois occasions le son qui le rendra célèbre quelques années plus tard, et s’avère suffisamment efficace pour adhérer à l’ambiance décalée du film. Le CD édité en 1992 par Varèse Sarabande reprend sans effort les deux faces du LP qui l’a précédé en deux longues pistes qui comportent beaucoup plus de dialogues et d’effets sonores que de musique à proprement parler.
ASSAULT ON PRECINCT 13 (1976)
ASSAUT
Compositeur : John Carpenter
Durée : 24:36 | 16 pistes
Éditeurs : La Bande Son / Death Waltz Recording Company / BSX Records
Dès son second long-métrage, le potentiel de Carpenter s’affirme, à la fois comme réalisateur et compositeur. Pour accompagner ce remake urbain du Rio Bravo d’Howard Hawks, il compose un thème aussi simple qu’efficace sur lequel il n’effectue que quelques variations infimes de tempo, allant cependant jusqu’à le confronter avec une certaine perversité à une berceuse enfantine : «J’ai eu deux jours pour écrire et enregistrer la musique. Je n’ai donc pas composé à l’image. J’ai simplement composé et interprété trois ou quatre morceaux, que j’ai ensuite monté sur le film, dont une version du thème principal que j’ai utilisée plusieurs fois». Lancinant et répétitif jusqu’à outrance, ce parti-pris monothématique renforce encore la puissance des images et illustre avec force la horde sans visage qui monte en silence à l’assaut du commissariat. Carpenter avoue d’ailleurs que «le thème principal n’est fondamentalement qu’une simplification du thème de Scorpio dans Dirty Harry (L’Inspecteur Harry), qui lui même est une sorte de dérivé de The Immigrant Song de Led Zeppelin». Un second thème qui rappelle également certains passages plus atmosphériques du score de Schifrin fait aussi son apparition à deux reprises au cours du film, quelques simples notes de piano évoquant solitude et désespoir. Assaut On Precinct 13 est tout simplement le mètre-étalon de l’efficacité minimaliste qui sera désormais la marque de fabrique du compositeur. Longtemps délaissé par les éditeurs, le score trouvera finalement le chemin des bacs en 2003 grâce à l’intérêt soulevé par les multiples remix du thème principal sur la scène électronique. Le DVD Zone 1 du film propose par ailleurs l’intégralité du score (à peine 30 minutes) sous forme de piste musicale isolée.
HALLOWEEN (1978)
HALLOWEEN – LA NUIT DES MASQUES
Compositeur : John Carpenter
Durée : 33:48 | 11 pistes | 51:51 | 28 pistes
Éditeurs : Varèse Sarabande / Mondo
Alors qu’il vient d’achever le premier montage d’Halloween, Carpenter projette le film, encore vierge de toute musique, à un cadre de la 20th Century Fox, et constate qu’il ne produit absolument pas l’impact recherché. C’est alors qu’il décide de «sauver le film par la musique». Il s’installe en studio et compose, sur des synthétiseurs encore primitifs, l’ensemble du score en l’espace de deux semaines, à l’oreille, sans référence ni synchronisation avec l’image, simplement en puisant dans ses influences, principalement «Bernard Herrmann et Ennio Morricone. La capacité d’Herrmann à créer un score imposant et puissant avec un orchestre limité, utilisant le son d’un instrument particulier, est impressionnante. Sa partition pour Psycho, le film qui a inspiré Halloween, n’utilisait que des cordes». C’est ainsi qu’il procède pour enregistrer le thème principal, celui-là même qui va devenir instantanément reconnaissable et définitivement associé à Michael Myers, en s’inspirant d’un exercice aux bongos que son père lui avait appris. Un thème plus contemplatif et mystérieux, associé au personnage interprété par Jamie Lee Curtis, et un motif rythmique soulignant l’aspect inexorable de la menace que représente le tueur, complètent la thématique de la partition. Dès sa sortie, le film connait un succès phénoménal, que Carpenter lui-même attribue avant tout à la musique : «Lorsqu’on fait des films, il y a un moment ou l’on découvre le résultat final. Pour moi, c’est toujours quand je vois une projection du film avec la musique . Soudain, une nouvelle voix s’ajoute au montage. Le film acquiert ainsi son style final, et c’est sur celui-ci que le total émotionnel doit être jugé». Le CD édité en 1998 pour le vingtième anniversaire du film ajoute quelques pistes inédites mineures et, encore une fois, nombre de passages de dialogues inutiles. La première édition reste donc toujours celle qui offre la représentation la plus équilibrée du score d’Halloween, premier film d’une franchise virtuellement intarissable puisqu’elle se poursuit encore aujourd’hui.
THE FOG (1980)
FOG
Compositeur : John Carpenter
Durée : 33:58 | 8 pistes | 100:00 | 34 pistes
Éditeurs : Varèse Sarabande / Silva Screen Records / Death Waltz Recording Company
Deux ans plus tard, Carpenter confirme avec The Fog son talent à bâtir des atmosphères troubles et angoissantes. De façon assez similaire à ce qui s’était produit pour Halloween, la vision du premier montage laisse à désirer : «C’était un désastre. Tout simplement, le film ne fonctionnait pas. J’ai terminé le montage et commencé à travailler sur le score, espérant pouvoir sauver le film. En vain. Le film que j’avais fait était bancal, maladroit et atroce, la musique lourde et trop évidente. C’est le point le plus bas de ma carrière dont je me souvienne». Il ne se laisse pourtant pas abattre, retravaille le scénario, le montage, retourne certaines séquences et réécrit entièrement la partition, dont il est cette fois plus satisfait : «Ce qui manquait à la première version du film et du score, une certaine légèreté de ton, une peur plus sous-jacente, était cette fois atteint». Et il est certain, à la vision du film, que les sonorités imaginées par Carpenter portent sa touche inimitable et apportent au film toute la tension requise. La musique enveloppe le film dans un sombre malaise, distillant la même impression d’isolement que l’on peut ressentir au cœur d’un brouillard épais. La tension monte alors que les mêmes accords hypnotiques se répètent. Les expérimentations sur des rythmiques se rapprochant toujours plus d’une pulsation cardiaque inhumaine, une imitation distordue d’un orgue de cathédrale, et ce thème principal guidé par un piano distant, mortifère et pourtant presque romantique, apportent au film et à sa conclusion une réelle dimension mystique. Si le disque d’origine s’avère représentatif du score dans son ensemble, la réédition par Silva Screen propose quelques pièces inédites bienvenues, ainsi qu’une interview radio vintage de Jamie Lee Curtis.
ESCAPE FROM NEW YORK (1981)
NEW-YORK 1997
Compositeur : John Carpenter
Durée : 37:19 | 13 pistes | 57:11 | 28 pistes
Éditeurs : Varèse Sarabande / Silva Screen Records / Death Waltz Recording Company
Toujours 100 % synthétique, le thème principal d’Escape From New York est basé sur une simple ligne de basse et une rythmique lancinante auxquelles le compositeur ajoute par couches successives une quantité impressionnante de séquences électroniques, démontrant à cette occasion un sens du contrepoint et de la musique répétitive que ses partitions précédentes ne laissaient guère deviner. Le résultat final évoque plus un thème western dans la veine d’Ennio Morricone que la musique futuriste très en vogue à l’époque pour un certain cinéma de science-fiction. Le reste du score présente un large éventail de sons et de styles, comme le thème disco du Duke de New York (peut-être une forme d’hommage à Isaac Hayes, qui prête son charisme au personnage), tout en conservant une parfaite cohésion sonore malgré cet ensemble en apparence hétéroclite. Thématiquement plus riche que ses scores précédents, la partition conserve cependant le style Carpenter qui reste parfaitement identifiable par son côté oppressant et ses mélodies facilement mémorisables. Fait inhabituel, le compositeur se paie aussi le luxe d’un arrangement électronique de La Cathédrale Engloutie de Debussy, qui illustre à merveille la scène où le planeur de Snake Plissken glisse silencieusement vers un World Trade Center en ruine. Escape From New York marque aussi la première collaboration avec Alan Howarth (sound designer sur Star Trek: The Motion Picture et Poltergeist), qui sera désormais crédité en tant que compositeur associé sur presque tous les partitions composées par Carpenter jusqu’à They Live en 1988. Si les trente-sept minutes de l’album original permettent une écoute parfaitement fluide de l’essentiel du score, l’expanded edition de Silva Screen apporte tout de même quelques inédits importants, en particulier la piste illustrant une séquence mythique coupée au montage (et désormais visible en DVD) qui montrait, au tout début du film, la capture de Snake Plissken. Cette nouvelle édition est également agrémentée de dialogues cependant moins intrusifs qu’à l’habitude.
HALLOWEEN II (1981)
HALLOWEEN II
Compositeur : John Carpenter
Durée : 30:54 | 12 pistes | 69:50 | 18 pistes
Éditeurs : Varèse Sarabande / AHI Records
Si Halloween II n’est pour Carpenter qu’une parenthèse en tant que producteur/scénariste, le réalisateur ayant décliné l’offre qui lui était faite de mettre en scène cette première séquelle, il ne peut cependant pas résister à l’opportunité de mettre en musique le film en adaptant les thèmes conçus pour l’original, sans trop de conviction : «Alors que j’écrivais le scénario, j’ai réalisé qu’il n’y avait pas vraiment d’histoire (…) ce n’était qu’un clone du premier film, toutes les suites ont été des clones, à part le troisième». Peu de différences notables donc dans cette partition qui, comme le film, se nourrit beaucoup trop de l’original pour se démarquer véritablement de son aîné. De ce fait, un album pas vraiment essentiel.
THE THING (1982)
THE THING
Compositeur : Ennio Morricone
Durée : 49:24 | 10 pistes | 60:08 | 16 pistes
Éditeurs : Varèse Sarabande / MCA Records / BSX Records
Écrasé par la post-production de The Thing, le plus gros budget qui lui ait été confié jusqu’à présent, Carpenter renonce pour la première fois à illustrer lui-même son film et profite d’une latitude financière à laquelle il est peu habitué pour le confier à Ennio Morricone, saisissant ainsi l’occasion de collaborer avec un musicien qu’il admire et qu’il cite fréquemment comme source d’inspiration. A l’arrivée, la partition de Morricone est l’une des musiques les plus glaciales et inhumaines jamais composées pour le cinéma. Carpenter est fort satisfait du résultat : «Dans certains cas, je lui ai demandé de mettre moins de notes, de faire plus simple et plus effrayant. Il a aussi composé des pièces orchestrales, mais utilisé à d’autres moments une simple idée électronique, et je trouve ça parfait. Il a fait un travail extraordinaire sur le film». Il n’en est pas de même pour le maestro italien : «Il me fût très difficile de comprendre quel type de score il voulait. J’ai donc composé sous forme de démos synthétiques un éventail de pièces très différentes en espérant qu’il trouverait quelque chose lui convenant. Et il a choisi le morceau qui ressemblait le plus a ses propres compositions». Mais hormis la patte bien présente du réalisateur, on discerne cependant dans The Thing l’influence des travaux les plus avant-gardistes du compositeur italien. Carpenter ne conservera dans le montage final qu’une partie du travail de Morricone, réutilisant à plusieurs reprises les quelques passages qu’il a sélectionnés. Le disque contient d’ailleurs quantités de musiques inutilisées dans le film, au grand dam de Morricone : «J’ai écrit une heure de musique et je n’en reviens pas de voir à quel point elle a été ignorée. C’est pourquoi, lorsqu’on m’a demandé de préparer l’album, j’ai rassemblé tout ce qui avait été enregistré pour le film».
HALLOWEEN III: SEASON OF THE WITCH
HALLOWEEN III: LE SANG DU SORCIER
Compositeurs : John Carpenter / Alan Howarth
Durée : 36:18 | 12 pistes | 68:27 | 25 pistes
Éditeurs : Varèse Sarabande / AHI Records / Death Waltz Recording Company
Carpenter produit l’année suivante Halloween III, qui tente comme le fait le scénario de rompre avec les deux premiers (pas de Michael Myers, ni d’utilisation du fameux thème d’Halloween), et développe pour l’occasion de nouvelles idées musicales. La composition qui en résulte, bien que mineure, constitue en quelque sorte une charnière dans l’évolution du compositeur, faisant encore une fois appels aux techniques éprouvées sur les précédents films (et incluant même quelques clins d’œil au travail de Morricone sur The Thing) tout en annonçant le virage qui s’amorcera dans ses partitions suivantes. Pourtant amplement suffisant pour bénéficier d’une vue d’ensemble de la musique d’Halloween III, le disque édité par Varèse Sarabande ressortira pourtant en 2007 sous la houlette d’AHI Records (le label d’Alan Howarth) dans une édition qui en double la durée sans en augmenter l’intérêt d’un iota. John Carpenter confiera alors à son comparse Alan Howarth la continuité musicale de la franchise pour les trois films suivants, avant que John Ottman ne prenne le relais sur Halloween H20 : 20 Years Later, septième opus du nom, offrant aux fans du tueur au masque une exceptionnelle relecture orchestrale du thème écrit vingt ans plus tôt.
CHRISTINE (1983)
CHRISTINE
Compositeur : John Carpenter
Durée : 29:30 | 11 pistes | 33:14 | 18 pistes
Éditeurs : Motown Records / Varèse Sarabande
En adaptant pour l’écran le roman de Stephen King, Carpenter décide de conserver l’approche choisie par l’écrivain (chaque chapitre du livre débute par des citations extraites du répertoire rock’n’roll) et sélectionne une quinzaine de chanson de la fin des années 50. Et, bien avant Quentin Tarantino, ce choix bien plus artistique que commercial fonctionne à merveille. De la naissance de la voiture sur le Bad To The Bone de George Thorogood & The Destroyers à sa résurrection sur le magnifique Harlem Nocturne des Viscounts, la sélection musicale donne véritablement, tout au long du film, une voix au véhicule maléfique, bien mieux que ne l’aurait fait une quelconque musique originale. Carpenter compose cependant un score synthétique, mais celui-ci est si atmosphérique qu’il est aisément éclipsé. Seul Christine Attacks, thème à juste titre très mécanique utilisé à plusieurs reprises lors des séquences de meurtres perpétrés par la Plymouth Fury, ressort suffisamment pour être un tant soit peu mémorable. L’album de chanson édité en LP à la sortie du film n’a jamais été réédité en CD. A l’inverse, le score de Carpenter sortira directement en CD chez Varèse Sarabande, plus de six ans après la sortie en salles du film. Les voies des éditions discographiques sont décidément impénétrables…
STARMAN (1984)
STARMAN
Compositeur : Jack Nitzsche
Durée : 33:06 | 14 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande
Film de commande tourné pour la Columbia, Starman impose également à Carpenter un compositeur en la personne de Jack Nitzsche. Même si ce dernier tente de calquer sa musique sur le style de Carpenter, il s’avère aussi mal à l’aise que le réalisateur lui-même dans cet univers qui ne leur correspond pas. D’une façon générale, ses compositions sont donc fonctionnelles, même s’il s’en dégage cependant un très beau thème lyrique soulignant le caractère tragique de cette romance contre-nature, et l’on ne peut que regretter que cette direction n’ait pas davantage été explorée par le truchement d’une musique symphonique. La plus belle version de ce thème ne se trouve d’ailleurs pas sur l’album de score, mais dans une adaptation symphonique qui en a été faite quelques années plus tard et qu’on peut entendre sur la compilation Space And Beyond II : Alien Invasion éditée par Silva Screen.
BIG TROUBLE IN LITTLE CHINA (1986)
LES AVENTURES DE JACK BURTON
Compositeur : John Carpenter
Durée : 45:38 | 9 pistes | 71:35 | 14 pistes | 96:14 | 22 pistes
Éditeurs : Enigma / SuperTracks / La La Land
Pour ce qui est peut-être le plus bel hommage jamais rendu par le cinéma occidental au film de genre asiatique, Carpenter ouvre son horizon à des instruments et des sonorités jusqu’ici absents de son univers musical. Si le score de Big Trouble In Little China est toujours essentiellement fondé sur la musique synthétique chère au compositeur, il utilise également de nombreux samples de percussions, cloches, gongs, xylophones, kotos, woodblocks, ainsi qu’une basse et une guitare électrique. Disposant de plus de trois mois pour achever la partition, Carpenter et son comparse Alan Howarth fourniront au final plus de quatre-vingt minutes de musique pour le film. De passages véritablement inquiétants s‘appuyant sur des mélodies pseudo-orientales en séquences d’action menés par des rythmiques propulsives, le score réinvente avec bonheur la musique asiatique avec une innocence qui lui permet d’éviter les clichés hollywoodiens si souvent inhérents à ce type de composition. La partition de Big Trouble In Little China est aussi, à ce point de la carrière du compositeur, celle qui se rapproche le plus, dans son écriture, d’un score symphonique traditionnel. L’avancée technologique en matière de synthétiseurs et le temps inhabituel dont il dispose permettent ainsi à Carpenter de composer sa partition la plus aboutie, sans pour autant perdre en chemin son style inimitable. L’homme s’est aussi fendu d’une chanson interprétée par The Coupe De Villes alias Carpenter lui-même (la voix de basse, c’est lui !) et ses amis Nick Castle (co-scénariste d’Escape From New York, il interprétait aussi le Michael Myers masqué d’Halloween) et Tommy Lee Wallace (le réalisateur d’Halloween III). Le clip promo hilarant diffusé à l’époque sur MTV vaut d’ailleurs le coup d’œil. Pas moins de trois éditions différentes existent en CD, chacune plus complète que la précédente, et il faut avouer que cet excellent score le mérite bien.
PRINCE OF DARKNESS (1987)
PRINCE DES TÉNÈBRES
Compositeur : John Carpenter
Durée : 43:37 | 8 pistes | 133:55 | 28 pistes
Éditeurs : Varèse Sarabande / AHI Records / Death Waltz Recording Company
Le spectaculaire échec commercial des aventures cinématographiques de Jack Burton pousse Carpenter à s’éloigner pour un temps des grands studios pour se concentrer sur des productions indépendantes lui offrant une plus grande liberté créative. Aussi minimaliste que le budget du film, le score de Prince Of Darkness applique une fois de plus la recette éprouvée : l’efficacité avant tout. Une musique sombre, toute en vibrations, soutenue par des chœurs synthétiques tout droit sortis de l’enfer, participe à soutenir avec force la progression inexorable du film vers son climax. Evoquant une messe noire, l’usage de chœurs maléfiques distordus tout au long de la partition apporte au métrage une dimension religieuse et donne à l’ensemble un aspect gothique inédit chez le compositeur, même si celui-ci admet que ce n’était pas consciemment le but recherché : «Je n’ai pas cherché à créer un score à sonorités gothiques : je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire !» La réédition en double CD sortie en 2008 par le label AHI Records propose le score complet tel qu’on peut l’entendre dans le film, augmenté d’une reprise du montage de quarante minutes conçu à l’origine pour l’album édité en 1987, devenu introuvable depuis des années et très recherché par les fans du réalisateur.
THEY LIVE (1988)
INVASION LOS ANGELES
Compositeur : John Carpenter
Durée : 31:12 | 10 pistes | 72:30 | 29 pistes
Éditeurs : Enigma Records / AHI Records / Death Waltz Recording Company
Carpenter confirme de nouveau l’année suivante qu’un budget rachitique n’entrave en rien sa créativité avec l’inventif They Live, à la fois western urbain, fable de science-fiction et pamphlet virulent contre la société de consommation américaine et l’avènement des yuppies. Le film s’ouvre sur un blues aussi décontracté que le personnage de John Nada, représenté par un harmonica évoquant les grandes heures du western spaghetti. Et si Carpenter n’oublie pourtant pas les ambiances oppressantes et les textures électroniques qui le caractérisent, cet aspect blues-rock sous-tend d’ailleurs l’ensemble de la partition, que ce soit par la complainte récurrente de l’harmonica ou le groove rythmique qui accompagne la démarche chaloupée de son héros. La réédition du score parue en 2008 ajoute près de quarante minutes de score au trente minutes déjà disponibles en CD, et quelques pistes de dialogues dont le célèbre «I have come here to chew bubblegum and kick ass… and I’m all out of bubblegum!»
MEMOIRS OF AN INVISIBLE MAN (1992)
LES AVENTURES D’UN HOMME INVISIBLE
Compositeur : Shirley Walker
Durée : 29:50 | 10 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande
Pour son grand retour vers les studios, Carpenter revisite l’histoire de l’homme invisible avec un film de commande aux effets spéciaux révolutionnaires. D’abord proposé à Jack Nitzsche, Memoirs Of An Invisible Man est finalement confié à Shirley Walker : «John n’avait pas le temps d’écrire lui-même le score, et il savait aussi que le film avait besoin d’un score plus orchestral, plus dramatique». Aussi éloignée du style Carpenter que le ton du film lui-même, cette partition 100% orchestrale est une grande réussite et offre de très beaux développements thématiques, tant dans la romance qui est au cœur du film que dans les moments d’action survoltés et les passages plus dramatiques. Carpenter est d’ailleurs très satisfait du résultat : «La musique de Shirley Walker est tout ce qu’un grand score devrait être : ambitieux, de toute beauté et émouvant. Shirley compose sa musique avec passion, et injecte alors cette passion dans l’expérience visuelle qu’est le film». Le CD édité par Varèse Sarabande est malheureusement très court (moins de trente minutes) et l’on ne peut qu’espérer qu’une réédition de l’intégralité de cette belle partition soit envisagée.
BODY BAGS (1993)
BODY BAGS
Compositeurs : John Carpenter & Jim Lang
Durée : 55:33 | 19 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande
L’année suivante, Carpenter réalise pour Showtime le prologue et deux des trois segments du téléfilm Body Bags (le troisième est assuré par Tobe Hooper) et s’assure pour la mise en musique de la collaboration de Jim Lang, musicien issu de la scène rock (il a joué entre autres avec Todd Rundgren). Guidé par une guitare électrique très présente, le générique flirte ainsi beaucoup plus avec le rock que toutes les compositions précédentes de Carpenter. Probablement peu inspiré par le format du petit écran, ce prince du Cinémascope ne confectionne pour le reste du métrage qu’une partition purement fonctionnelle qui se contente de plagier différents éléments de ses précédentes compositions, et livre l’un de ses scores les moins inspirés.
IN THE MOUTH OF MADNESS (1994)
L’ANTRE DE LA FOLIE
Compositeurs : John Carpenter & Jim Lang
Durée : 59:34 | 23 pistes
Éditeur : DRG Records
L’inspiration n’est pas non plus au rendez-vous pour son film suivant. Est-ce parce qu’il collabore de nouveau avec Jim Lang ? Toujours est-il que la qualité de la musique de In The Mouth Of Madness est inversement proportionnelle au chef-d’œuvre que constitue le film et se rapproche dangereusement du sound design, entre samples déjà très datés pour l’époque et dissonances trop faciles pour ne pas ennuyer. N’en ressort qu’un thème principal construit sur un riff très hard-rock que Carpenter utilise cependant avec une efficacité diabolique lors d’un final traumatisant.
VILLAGE OF THE DAMNED (1995)
LE VILLAGE DES DAMNÉS
Compositeurs : John Carpenter & Dave Davies
Durée : 33:05 | 13 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande
Changement de collaborateur, et changement radical de style pour ce remake du classique de Wolf Rilla : épaulé par son ami Dave Davies, guitariste co-fondateur des Kinks, et usant moins qu’à l’habitude des éléments synthétiques, Carpenter donne pour ce Village Of The Damned la priorité aux instruments live, occasionnellement appuyés par un petit orchestre symphonique et la guitare limpide de Davies. Il accorde de même une importance inhabituelle à la mélodie, et livre ici l’une de ses compositions les plus évocatrices, en particulier dans March Of The Children, thème principal tour à tour sombre, menaçant et pourtant presque héroïque tant son rythme est martial.
ESCAPE FROM L.A. (1996)
LOS ANGELES 2013
Compositeurs : John Carpenter & Shirley Walker
Durée : 33:32 | 16 pistes | 79:14 | 32 pistes
Éditeurs : Milan Records / La La Land Records
Escape From L.A. constitue la seconde collaboration de Shirley Walker avec Carpenter qui, cette fois, ne renonce pas totalement à illustrer son film, comme en témoigne Walker : «John voulait écrire une partie du score, mais il savait aussi que la dernière partie du film nécessitait une approche orchestrale». Il était bien sûr inévitable et indispensable de redéfinir le thème principal d’Escape From New York. La tâche fût confiée à la musicienne : «Mon challenge était de modifier le thème sans le déformer. Nous l’avons re-séquencé, et avons accéléré le tempo». Travaillant en étroite collaboration, Carpenter et Walker composent une partition très versatile qui capture à la fois l’aspect western sous-jacent par un thème qui allie dulcimer et harmonica pour le personnage de Snake Plissken, et le climat futuriste via des éléments louchant parfois vers la musique industrielle. Samples, instruments ethniques et orchestre symphonique fusionnent au rythme du film, comme l’explique Walker : «Nous voulions que l’orchestre ne s’impose qu’à la moitié du film, et construire de façon exponentielle à partir de là». Encore une fois, Carpenter est ravi du travail de sa collaboratrice. «Si Shirley a conservé l’esprit d’Escape From New York, elle l’a aussi élargi, amélioré et rendu complètement unique». Une partition qui ne ressemble à aucune autre et dont l’aspect hétéroclite s’efface derrière une véritable cohérence narrative.
VAMPIRES (1998)
VAMPIRES
Compositeur : John Carpenter
Durée : 45:48 | 16 pistes
Éditeur : Milan Records
Après une digression par le monde du jeu vidéo, où il livre avec Sentinel Returns une musique calquée sur ses premières compositions pour Assault On The Precinct 13 ou The Fog, Carpenter revient plus en forme que jamais avec un nouveau mélange de genres qui associe vampirisme et western. Vampires réunit blues-rock, synthétiseurs et orchestre : «Il y a deux parties dans le score : d’abord les motifs orchestraux habituels que l’on trouve dans ce genre de films ; je pense à ce type de musique comme à de la musique-tapis – je pose un tapis sous les scènes, il ne se met pas dans le passage, vous voyez la scène et la musique ne vous dérange pas. Le second coté, c’est le blues. J’ai monté un groupe, ce sont tous des légendes du rock, et on a commencé à jouer du blues musclé pour le film, c’était vraiment la partie la plus fun». Le groupe monté à cette occasion, the Texas Toad Lickers, permet à Carpenter de collaborer avec quelques-uns des membres originels du Blues Brothers Band. Si, dans ses précédentes tentatives, l’intégration des guitares soutenait simplement le travail synthétique, elles sont ici mises au premier plan : «J’ai pensé à Rio Bravo, où Dimitri Tiomkin a écrit un morceau appelé DeGuello, un thème valeureux, et je voulais quelque chose comme ça, j’ai donc écrit un thème hispanisant pour guitare». Une approche qui s’avère parfaitement adaptée au sujet et fonctionne à merveille sur les paysages désertiques et les personnages tout droit sortis d’un western de Sam Peckinpah.
GHOSTS OF MARS (2011)
GHOSTS OF MARS
Compositeur : John Carpenter
Durée : 42:59 | 12 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande
Après les passages obligés que sont le blues et le rock, Carpenter saute finalement le pas pour Ghosts Of Mars et nous balance en pleine tronche une musique presque exclusivement heavy metal, s’offrant au passage la collaboration de certains des meilleurs représentants du genre : Elliot Easton, Anthrax, Buckethead et le déjanté Steve Vai. Soutenu par des synthés compacts et agressifs (jamais il n’a flirté d’aussi près avec la techno), Carpenter se fait plaisir avec une composition qui constitue dans sa carrière une nouvelle étape aussi importante que logique quand on considère l’ensemble de son œuvre. Mais si la musique de Ghosts Of Mars a tout pour plaire aux chevelus de tout poil et aux amateurs de musiques qui déchirent et qui font du bruit, le résultat risque par contre d’offenser fortement les oreilles sensibles et les cœurs fragiles. Vous voilà prévenus.