THE UNTOUCHABLES (1987)
Réalisateur : Brian DePalma
Compositeur : Ennio Morricone
Séquence décryptée : Al Capone (0:19:39 – 0:21:12)
Éditeur : La-La Land Records
Difficile d’imaginer une meilleure traduction musicale de l’expression « rouler des mécaniques » que le thème imaginé par Ennio Morricone pour nous présenter le Al Capone goulûment dépeint par Robert de Niro et Brian De Palma en 1987. « This is the West, Sir. When the legend becomes fact, print the legend. » Le célèbre aphorisme semble avoir été écrit pour le film de De Palma. D’abord parce que, jetant par-dessus bord toute crédibilité historique, le cinéaste traite ses personnages et son histoire comme s’il adaptait un comic-strip des années 30, tout étant à l’écran démesuré et caricatural. Mais aussi parce que The Untouchables est un western déguisé en polar dans lequel Kevin Costner (qui campera à l’opposé de son Eliot Ness cette autre légende américaine, Wyatt Earp, avec une volonté de nuances impensable ici), incarne un agent fédéral transformé en Marshal qui fait la loi. Face à lui, la crapule par excellence, Al Capone, dont l’époque fait un contrebandier, mais qui aurait dirigé cent ans plus tôt un gang de voleurs de bétail. L’évidence s’impose à la baguette : qui imaginer d’autre qu’Ennio Morricone, celui qui a inventé le son du western hyperbolique ?
Si De Niro est lâché, la bride sur le cou, pour des numéros de cabotinage insensés, Morricone n’est pas en reste et comprend très vite que l’approche hyper ludique de Brian De Palma ne connaît qu’une règle : ne jamais se demander jusqu’où aller trop loin. Les héros héritent donc d’un thème épiphanique montant dont le crescendo aboutit à une explosion de trompettes donnant l’impression qu’ils viennent d’ouvrir les portes du royaume de Dieu à leurs concitoyens. Et Capone se voit illustré, lui, par l’un des thèmes les plus tape-à-l’œil qui se puisse imaginer. Annonçant à l’écran le personnage avant même qu’on ne l’ait vu, le thème diffère légèrement de sa version discographique, puisque le film attaque directement par la partie soutenue par la batterie, contrastant avec l’image d’hôtel classieux qu’un élégant plan à la steadycam nous fait visiter. Accrochée aux basques d’un garçon d’étage portant un plateau chargé pour huit, la caméra grimpe les escaliers, tandis que la musique nous dit toute la vérité sur ce lieu : le calme qui règne ici n’est qu’apparent, et l’agitation faussement douce. Sous la mélodie, la batterie cogne dur, et sous les manteaux des clients de l’hôtel se dissimulent les révolvers et les très mauvaises manières des bad boys de Capone.
On devine à la longueur du parcours et à la localisation de la chambre servie, aux plus hauts étages de l’hôtel, que le destinataire du petit-déjeuner est un ponte. En fait, littéralement, tout tourne autour de lui, il est le maître de la ville : le journal livré en ouverture du plan, dont le claquement sur le tapis appelle la batterie, est destiné au résident de la luxueuse suite dévoilée au bout de la séquence, et parle même de lui ! Il s’agit de Capone en personne. La duplicité du personnage est illustrée par la partition : dès lors qu’on pénètre dans la chambre – à la suite du personnel, ici même le spectateur obéit au truand – le thème se joue sur un mode plus chic – violons velours – et ralentit le tempo. Tout l’immeuble bat violemment au rythme de la pulsation criminelle, jouisseuse (un couple s’embrasse dans un coin du cadre) et vitale de Capone, qui lui se cache derrière une urbanité de surface. Cette batterie, à laquelle Morricone a si souvent recours, et que Capone met sous le tapis, ressurgira à l’image dans une des séquences les plus énormes et fameuses du film, la leçon de baseball délivrée par le maître secret de Chicago sur la tête d’un de ses bras droits au dévouement flanchant.
Sur disque, le thème de Capone est introduit par un piano qui nous en raconte encore plus sur le personnage. C’est l’instrument un peu fatigué et grinçant des saloons mal famés de Cinecittà plutôt que l’élégant demi-queue des sonates que le truand doit écouter, comme l’opéra, la larme à l’œil. Bien entendu, Capone, c’est le maquereau du bar à filles, un médiocre gangster dont la folle ascension n’est due qu’à l’audace. Morricone, comme De Palma et De Niro, n’hésite pas, lui aussi, à se laisser aller à l’occasion, au plaisir de se la jouer franchement. Flirtant avec la parodie, ouvertement vulgaire, racoleur mais irrésistible, le thème d’Al Capone ressemble à mille autres composés par Morricone : il est parfait.