The Right Stuff / North And South (Bill Conti)

Deux pour le prix d’un : le Conti bon

Disques • Publié le 22/06/2020 par

The Right Stuff / North And SouthTHE RIGHT STUFF / NORTH AND SOUTH (1983 / 1985)
L’ÉTOFFE DES HÉROS / NORD ET SUD
Compositeur :
Bill Conti
Durée : 37:22 | 12 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

5 out of 5 stars

 

Partis à l’assaut des bacs en 1986, la référence VCD 47250 et son équivalent LP appartiennent à une catégorie de redux particulière : un réenregistrement vendu en tant que « bande originale », seule version disponible à sa sortie en lieu et place de la version enregistrée pour le film, pour différentes raisons (financières, et/ou pour arranger la musique sous une forme adaptée au disque). Le phénomène est ancien, fréquent durant l’âge d’or d’Hollywood, mais dans le cas plus récent qui nous occupe, il prend une saveur singulière car à l’initiative d’un compositeur lâché par sa production. Plus qu’un album officiel, nous avons là une sorte de redux palliatif, par défaut, en quelques sortes anticipé puisque les véritables bandes originales finiront par sortir !

 

Briefing préalable : chronique à hauteur d’homme – et de femme – de la confrontation au mur du son, puis de la conquête spatiale, regard ironique sur la guerre froide, aventure historique à la fois romantique et documentée, viscérale (représentation des sensations du vol) et intimiste, le film de Philip Kaufman The Right Stuff s’élance cockpit au vent fin 1983, paré de ses nombreuses qualités et misant sur la réputation du livre éponyme de Tom Wolfe. L’atterrissage est sévère : malgré l’obtention d’Oscars pour le montage, le son et la musique (face à Star Wars: Return Of the Jedi et à Under Fire, ce qui fait grincer quelques dents), sa quête du mur du son et son point de vue non manichéen sur la société américaine séduisent la critique mais ne provoquent pas le « bang » public attendu. Le film est long, et peut-être ne bombe-t-il pas suffisamment le torse en cette ère reaganienne ? Quoi qu’il en soit, action, réaction : l’album de la bande originale mis au point par Bill Conti ne quittera jamais le tarmac, malgré l’Oscar. L’année suivante, captant haut et clair les mayday des malheureux amateurs cloués au sol, il finance un nouvel enregistrement d’extraits choisis et le propose au label Varèse Sarabande qui règne alors, stratosphérique, sur la planète B.O. Malin, il choisit d’enregistrer avec le London Symphony Orchestra, gage de qualité mais aussi de tarifs avantageux face au coût des musiciens des sessions originales (lesquels devraient être repayés intégralement en cas de réutilisation de leur travail).

 

Plus surprenant, peut-être pour assurer ses arrières et au risque de gâcher cette occasion de faire renaître The Right Stuff, Conti tronque son opus aéronautique en consacrant la seconde moitié de l’album à une mini-série à succès, North And South, additionnant ainsi les fans de Patrick Swayze à ceux du X-1 et de John Glenn. Sans doute, hors le bonus promotionnel, aime-t-il au moins autant ce dernier travail, conscient du peu de chances de le voir édité. Il s’agit aussi pour lui, on peut l’imaginer, de diffuser un disque démo variant les genres, qui dépasse les citations musicales écrasantes du film de Kaufman. Résultat ? Deux tournants de l’Amérique placés face à face sur une simple galette, et deux Conti Grand Cru offerts à notre palais. Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisque Varèse sortira en 2008 les enregistrements originaux de la série, puis en 2009 le projet d’album initial du compositeur pour The Right Stuff – uniquement les presque quarante minutes de sa copie personnelle, hélas, les masters s’étant perdus depuis la sortie du film. Il aurait fallu ne pas attendre, le temps n’épargne pas les héros. Compte-tenu de sa qualité musicale mais aussi technique (mise en boîte numérique par Eric Tomlinson à Abbey Road), le « double redux anticipé » de Conti est longtemps resté – et demeure pour beaucoup – une fusée de premier choix qui à sa sortie a dû mettre en orbite bien des hifistes affamés de stéréo spectaculaire.

 

The Right Stuff

 

En face A – ou pour débuter, si on écoute le CD – parade donc The Right Stuff : Symphonic Suite, cinq extraits totalisant dix-huit minutes sous la baguette du compositeur, qui s’écoutent sans couper les gaz. Pour mémoire, rappelons les circonstances de la création de ce vaisseau composite. Kaufman, fuyant comme la peste le patriotisme multi-étoilé, déteste l’idée d’une partition « à la John Williams » et commande à John Barry (le compositeur de son choix) un score intimiste. Logique, dans son optique. Cette option se solde par un échec, sans qu’il soit clairement établis si oui ou non Barry, lequel quitte l’aventure écœuré, a enregistré une bande démo. Admettant à regret qu’une partition plus dynamique et imposante est indispensable au film (c’est du moins la version officielle), le réalisateur présente au maestro remplaçant (Bill Conti, donc, imposé par les producteurs Robert Chartoff et Irwin Winkler) une copie montée sur de la musique temporaire, comprenant entre autres un peu de Mancini, l’hymne de l’US Air Force Wild Blue Yonder, des emprunts à Tchaïkovski (Concerto pour Violon) et Gustav Holst (Les Planètes) qui devront être respectés au plus près. Le temps et la confiance manquent. Conti s’exécute au risque d’être taxé de plagiat, pris entre les souhaits de la production et les désirs du réalisateur. Finalisé en quatre semaines, le résultat est un patchwork de citations classiques, de sound design synthétique et de pompe symphonique pur Conti, le tout emballé malgré les contraintes avec plus qu’un simple savoir-faire.

 

Dans la Symphonic Suite présentée ici, exit les sons synthétiques traduisant l’angoisse des test pilots face aux monstres volants qu’ils doivent dompter, ou les affres du « voile noir ». Le compositeur de Rocky inclut par contre son arrangement du Mars de Holst (tandis que le film a finalement conservé le temp track) pour mieux se l’approprier et l’interrompre, revanche d’un air joyeux sur la puissance guerrière de l’acier, par une de ces petites pièces fuguées qu’il apprécie tant. Mais ce sont les deux thèmes principaux qui marquent le plus : celui de Chuck Yeager, posé, patriotique, sûr de lui (le début de Breaking The Sound Barrier), et un autre thème triomphal, fanfaronnant parfois en plein pseudo-Holst (Almost Ready), lesquels se complètent idéalement. Yeager’s Triumph, où d’un assemblage héroïque de ces deux thèmes et d’une marche militaire dérivée de Wild Blue Yonder débouche soudain – nous arrachant au sol – une extrapolation du Concerto pour Violon au lyrisme prenant, n’en reste pas moins LE morceau inoubliable de la partition et du film qu’il vient clore en fanfare. La version redux, fidèle (à quelques mesures près) mais légèrement plus fine et rapide dans sa partie finale que l’originale, justifie à elle seule l’écoute de cette suite symphonique qui paraît cependant bien trop courte… Si la version originale corrige partiellement le tir, comment ne pas se surprendre à espérer un autre redux offrant cette fois une orbite complète ?

 

The Right Stuff

 

La face B nous fait encore reculer dans le temps, la pétarade des réacteurs cédant la place à celle des fusils Springfield. La mini-série North And South, sorte d’Autant en Emporte Le Vent télévisuel adapté d’un roman de John Jakes, capture les tourments de la Guerre de Sécession à travers le destin de deux familles (propriétaires sudistes esclavagistes d’un côté, riches industriels métallurgistes de l’autre). À parfum classique, flacon luxueux. Sans atteindre le lustre cinégénique du film de Selznick, la production de David L. Wolper (Racines, Les Oiseaux se Cachent pour Mourir) cumule les munitions : décors, figuration, duo de charme (le beau Patrick Swayze et la belle Lesley-Anne Down). Et puisque la lucarne est petite, une musique d’ampleur cinématographique permet de l’élargir. Bill Conti, frais récipiendaire de son Oscar pour The Right Stuff, est donc engagé pour émuler Max Steiner, avec seulement trois semaines devant lui pour mettre en musique douze heures de spectacle. Une tâche plus ardue que la prise de Gettysburg. Mais l’italo-américain ne s’en laisse pas conter : il part en guerre bille en tête, fort d’un sang nourri depuis l’enfance à l’opéra, à la beauté du mélodrame et au lyrisme franc du collier – ce qui a fait son succès – et obtiendra donc un Emmy Award en récompense de cet héroïsme.

 

Des plus de quatre heures de musique composées pour la série (éditées chez Varèse Sarabande en sept CD), la Symphonic Suite réenregistrée avec le LSO retient sept extraits totalisant là encore moins de vingt minutes, tout juste le temps d’une escarmouche. Cependant, comme Steiner, ce n’est pas le champ de bataille qu’il met en musique, mais la romance, le drame, les sentiments humains. Comme pour le film de Kaufman, cet échantillon coule bien trop vite, mais ce qu’un fan de la série recherche en priorité – le thème principal – y est bien mis en valeur (du Main Title à sa reprise conclusive, Final Meeting), quoi qu’omettant la version « marche » virile et patriotique – la seule occurrence de ce style – des End Credits de la série. Un choix voulu en contre-point de The Right Stuff ? Dans l’intervalle, nous avons par contre droit à une reprise de Dixie pour faire chanter l’époque, à une nouvelle fugue « à la Conti » doublée d’une montée de tension dramatique (A Close Call), et à plusieurs expositions du thème romantique principal soutenues tant par le lyrisme des cordes que par des bois secrets et troublants. Parfait.

 

Qu’ajouter en guise de débriefing, outre que cette musique parlant au corps et au cœur est un concentré de musique de film, à la fois populaire par son amour de la mélodie et ancrée dans un savoir-faire classique ? Simplement que ce double Conti, s’il n’a pas (ou plus) l’autorité éditoriale de certains redux indispensables, distille un plaisir d’écoute intact, un charme né de la rencontre d’un manque (une B.O. oscarisée en perdition), de l’investissement de son compositeur (Bill Conti) et d’une parfaite maîtrise de sa réalisation.

 

North And South

David Lezeau
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