I Am Legend (James Newton Howard)

Tant qu'il y aura des hommes

Disques • Publié le 07/02/2012 par

I Am LegendI AM LEGEND (2007)
JE SUIS UNE LÉGENDE
Compositeur :
James Newton Howard
Durée : 44:35 | 14 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

5 out of 5 stars

Très occupé en 2007, James Newton Howard avait signé pas moins de six scores, la plupart s’avérant agréables mais peu marquants, du joli The Water Horse : Legend Of The Deep (Le Dragon des Mers) au médiocre et très surestimé Michael Clayton. Malgré un Blood Diamond plutôt ambitieux, il n’avait pas livré de partition vraiment intéressante depuis Lady In The Water (La Jeune Fille de l’Eau) l’année précédente. Le voir travailler sur I Am Legend (Je suis une Légende), l’une des adaptations de SF les plus attendues de ces dernières années, était donc une bonne nouvelle. Hélas, le film est un ratage complet mais, conformément à un paradoxe bien connu des béophiles, sa musique fait partie des travaux de JNH qui dépassent largement l’agréable pour se rapprocher de l’excellence ! Pourtant, les fans du compositeur ont bien failli ne jamais pouvoir en chanter les louanges puisque le score de I Am Legend ne devait initialement pas être édité ! Après avoir protesté durant quelques semaines, ils ont heureusement obtenu gain de cause grâce à Robert Townson, patron du label Varèse Sarabande, qui a décidé d’exhumer l’une des meilleures partitions de 2007 et certainement la meilleure de Howard depuis King Kong.

 

Pourquoi parler de l’album avant même d’avoir parlé de la musique dans le film ? Tout simplement parce que celui-ci n’en contient quasiment pas, et c’est sans doute là le choix le plus audacieux qu’a pu effectuer le metteur en scène Francis Lawrence. Alors que tout blockbuster digne de ce nom serait plein à craquer de musique pompière, terrifiante et/ou déchirante, I Am Legend prend le parti du silence et du recueillement, ce qui est tout à son honneur, et choisit de créer une atmosphère d’autant plus étrange et déstabilisante qu’elle ne fait appel qu’aux sons entendus par le personnage central du film. Réduite à quelques interventions très brèves et peu mémorables (hormis la scène contemplative où le héros prononce son message quotidien face à un pont détruit, belle complainte pour piano et cordes), la musique brille par son absence. Il se peut fort, cependant, que le compositeur ait écrit plus d’une heure de musique étant donné que l’album en contient trois quarts d’heure, et il se peut également que l’éviction pure et simple de la musique dans le film ait fait reculer les producteurs au moment de lancer l’édition du score.

 

Les passionnés seront donc amenés à profiter de la musique exclusivement en dehors des images, goûtant le travail de JNH, au pire comme un score rejeté, au mieux comme une œuvre de concert, ce qui est relativement insolite pour un compositeur désormais habitué à occuper le devant de la scène cinématographique. L’album débute par le thème associé au personnage de Robert Neville, une mélodie au piano qui compte parmi les plus inspirées du compositeur et qui renvoie immédiatement à ses travaux pour les films de M. Night Shyamalan. Ce thème, souvent introduit par une trompette mélancolique et solennelle, imprègne habilement la partition tout entière sur un mode tantôt intimiste tantôt beaucoup plus emphatique. Après cela, la musique décolle pour atteindre des sphères célestes et maintient l’auditeur dans un état permanent de douleur et d’enchantement qui le laisse totalement subjugué. Lors des attaques des monstres sanguinaires, le compositeur se déchaîne en débridant les percussions tribales, les cuivres dissonants et les effets synthétiques en tout genre, exercice un peu m’as-tu-vu mais efficace qui avait déjà fait ses preuves dans Dinosaur (Dinosaure) et surtout dans Dreamcatcher. Des morceaux comme Darkseeker Dogs et The Jagged Edge s’avèrent donc d’une efficacité redoutable malgré leur manque d’originalité (mais peut-on encore faire original dans ce domaine ?). Cependant, le meilleur arrive avec les longues pistes élégiaques qui émaillent l’album à intervalles réguliers et qui lui confèrent une puissance stupéfiante, dépassant de loin l’impact des images pour constituer une œuvre autonome dont la force d’évocation se suffit à elle-même.

 

Seul au monde... ou presque

 

L’Apocalypse selon St Francis Lawrence – maudit soit-il – inspire à Howard une partition quasi-religieuse à la noblesse et au lyrisme exacerbés, vaste synthèse de références classiques (Bach et ses Passions, Wagner et Der Ring der Nibelungen), filmiques (Howard Shore et The Lord Of The Rings [Le Seigneur des Anneaux], John Debney et The Passion Of The Christ [La Passion du Christ]) et personnelles (on pense aux liturgies finales de Flatliners [L’Expérience Interdite], d’Intersection et de King Kong mais aussi aux morceaux les plus mystiques d’Unbreakable [Incassable]). Tout cela s’inscrit évidemment dans le sens d’une lecture christique de l’œuvre d’origine, un peu outrancière dans le film mais très probante dans la musique. Outre la reprise du thème principal par tout l’orchestre, avec des mouvements de cordes d’une beauté à se pâmer, on est séduit par des volutes de clochettes et de flûtes enchanteresses ainsi que par de grandioses envolées chorales constituant un réel aboutissement dans la carrière du musicien, dont la crédibilité en tant qu’auteur classique et symphonique s’affirme à nouveau et plus fort que jamais. La souffrance hyperbolique du héros lors de son adieu à sa famille (Evacuation), à son chien (Sam’s Gone) et enfin à l’humanité tout entière (I’m Sorry) donne lieu à des compositions d’une gravité et d’une élégance rares, tellement sincères et chargées en émotions qu’elles en arrachent des larmes. Alors qu’on pouvait déplorer dans les précédents scores de Howard l’absence de chœurs, ces derniers sont ici omniprésents et aussi bien utilisés que dans Snow Falling On Cedars (La Neige tombait sur les Cèdres), rappelant également l’excellent Devil’s Advocate (L’Associé du Diable), trop souvent oublié : on se croirait presque, après Franz Liszt, dans une adaptation symphonique de La Divine Comédie de Dante…

 

Alternant avec souplesse et à propos les tutti orchestraux et les mises en avant d’instruments solistes (le piano, le violoncelle, la trompette, le cor anglais, la voix du soprano), le score ne se présente pas non plus comme une permanente débauche de sentiments destinée à épuiser le spectateur. Howard prouve qu’il sait encore donner dans la sobriété comme il l’a montré tout au long de sa carrière : le mystérieux et magique Deer Hunting, proche de Signs (Signes), le tendre et radieux Can They Do That, le dépouillé et mystique I’m Listening, tous vont droit au cœur et atteignent leur but en finesse, sans fracas aucun. Avec cette nouvelle composition, l’auteur nous a donc rassurés quant à son talent et à sa richesse d’inspiration, après plusieurs travaux passablement décevants. Une fois dépassé le double paradoxe de cette musique – inspirée du même livre mais aussi réussie que le film est raté, aussi dense et bouleversante sur l’album qu’invisible et inaudible à l’écran -, on se plonge avec délice dans ses poignantes déplorations, on goûte avec ivresse ses élans passionnés et dramatiques, on tremble devant sa violence et son intensité, on demeure terrassé par sa grâce presque divine. I Am Legend mérite sans conteste de rejoindre les plus beaux chefs-d’œuvre de James Newton Howard.

 

Devine qui vient dîner...

Gregory Bouak
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