Harry Potter And The Goblet Of Fire (Patrick Doyle)

Harry ne renonce jamais

Disques • Publié le 13/07/2011 par

Harry Potter And The Goblet Of FireHARRY POTTER AND THE GOBLET OF FIRE (2005)
HARRY POTTER ET LA COUPE DE FEU
Compositeur :
Patrick Doyle
Durée : 75:57 | 24 pistes
Éditeur : Warner Sunset / Warner Bros.

 

4.5 out of 5 stars

Très occupé en 2005 par la composition de quatre scores majeurs qui seront autant de chefs-d’œuvre, John Williams jette définitivement l’éponge et abandonne l’aventure Harry Potter juste avant le quatrième volet. C’est donc enfin le moment pour Patrick Doyle d’entrer en scène ! En effet, celui-ci aurait pu travailler légitimement sur The Prisoner Of Azkaban puisqu’il avait composé les scores de deux précédents films d’Alfonso Cuarón, A Little Princess (La Petite Princesse) et Great Expectations (De Grandes Espérances), sans compter qu’il s’était déjà vu damer le pion une autre fois par Williams en 1998 sur Stepmom (Ma Meilleure Ennemie), film réalisé par… Chris Colombus, metteur en scène des deux premiers Harry Potter ! La boucle est donc bouclée : sachant que Mike Newell avait lui aussi collaboré avec Doyle à deux reprises, sur Into The West (Le Cheval venu de la Mer) et Donnie Brasco, il n’y avait désormais plus aucune excuse de ne pas engager le compositeur attitré de Kenneth Branagh, dont le grand talent tant épique que lyrique, qui avait atteint des sommets dans l’atomisant Frankenstein, est connu depuis longtemps. En outre, Doyle bénéficie d’un programme extrêmement alléchant pour Harry Potter And The Goblet Of Fire : un tournoi contenant des épreuves spectaculaires dont un combat contre un dragon, la présentation de participants issus de contrées exotiques, le début des amours adolescentes, le premier décès important de la saga, la découverte des Death Eaters et surtout la résurrection de Voldemort… Impossible d’échouer avec autant d’atouts dans son jeu !

 

Dans le troisième opus, on sait que Williams avait déjà renouvelé son approche en profondeur ; mais pour le quatrième, c’est la première fois qu’un nouveau compositeur intervient et celui-ci doit à son tour tout modifier afin de s’approprier l’univers du jeune sorcier. Doyle a donc eu carte blanche pour créer une musique entièrement nouvelle et surtout conforme à sa propre personnalité. Il évacue donc presque immédiatement le thème d’Hedwig qui, signe radical de changement, n’intervient pas en même temps que l’apparition du logo de la Warner mais seulement une minute plus tard. Précédé d’une introduction magistrale sous la forme d’une marche très cadencée et véhémente illustrant dès les premières secondes l’avancée inexorable du Mal, ce thème est en outre présenté sous une forme nouvelle, beaucoup plus grave et plus dramatique, délaissant les sonorités cristallines du célesta au profit d’un ensemble orchestral massif et vigoureux dominé par les cordes, les cuivres et des percussions martiales. D’emblée, le ton est donné et l’action démarre sur les chapeaux de roues : vous pensiez que The Prisoner Of Azkaban était sombre ? Attendez d’entendre The Goblet Of Fire : signe qui ne trompe pas, le premier thème à apparaître à l’écran n’est plus celui d’Hedwig mais celui de Voldemort ! Les premières scènes ne sont pas situées dans une paisible banlieue anglaise mais dans le sinistre manoir des Riddles, ancien nom du Dark Lord !

 

La coupe de feu en pleine action

 

Le principal motif associé à Voldemort, constitué d’une note longue ascendante suivie d’une autre brève et abrupte, apparaît en effet dans The Story Continues pour susciter immédiatement un véritable sentiment d’urgence et se retrouve ensuite dans plusieurs autres morceaux. Dans la séquence d’ouverture, Frank Dies, le compositeur tisse une atmosphère ténébreuse, tendue et inquiétante, qui s’achève sur un crescendo et une explosion de cuivres proche de la dissonance lorsque le vieux jardinier se fait tuer ; ceux qui ne connaissent que le Doyle lumineux et champêtre de Sense And Sensibility (Raison et Sentiments) doivent se rappeler que le compositeur a également signé des partitions pour des films fantastiques tels Needful Things (Le Bazaar de l’Épouvante) et qu’il se montre tout à fait à l’aise dans le registre horrifique. Fort de ce potentiel, il déchaîne très vite les enfers avec The Dark Mark, première grande démonstration de la puissance du London Symphony Orchestra, qui à certains moments paraît encore plus gigantesque que dans les scores de John Williams ! Violons nerveux et virtuoses, percussions claquantes, cuivres surpuissants entonnant sur un mode apocalyptique le second motif associé à Voldemort (interprété auparavant par un hautbois plaintif dans The Story Continues), puis reprise du premier par tout l’orchestre avec une énergie décuplée : l’attaque des Death Eaters, si elle peut décevoir par sa brièveté à l’écran, n’en bénéficie pas moins d’un accompagnement musical de premier ordre. De loin en loin le thème du Dark Lord réapparaîtra subrepticement : dans Sirius Fire lorsque le parrain d’Harry avertit ce dernier des dangers qui le guettent, dans Harry Sees Dragons (exactement pour les mêmes raisons) et enfin, de façon très logique, dans Voldemort.

 

Parmi les autres challenges imposés par le quatrième film, on compte la caractérisation des deux équipes concurrentes d’Hogwarts pour le Tournoi des Trois Sorciers, qui permet à Doyle de s’octroyer un peu de fraîcheur et de fantaisie entre deux morceaux à l’ambiance mortifère. Dans The Quidditch World Cup, après une gigue irlandaise fort entraînante servant à présenter l’un des deux adversaires, l’équipe de Durmstrang fait une entrée fracassante au son d’abondantes percussions, de cuivres pompeux et de voix masculines scandées, parfaite illustration de l’énergie très virile dégagée par Krum, véritable mascotte de ce groupe composé uniquement de garçons. Lorsque l’équipe rejoint Hogwarts, le navire de Karkaroff émergeant de l’eau est porté par des cuivres solennels très wagnériens, comme pour évoquer les origines nordiques et mythiques de Durmstrang. A l’opposé, pour accompagner l’arrivée des jeunes filles de Beauxbâtons (Foreign Visitors Arrive), Patrick Doyle use de sa fibre élégiaque avec une élégance et un raffinement des plus exquis : le vol du carrosse tiré par des chevaux ailés trouve son équivalent dans de suaves envolées de cordes, de clochettes et de flûtes enchanteresses, et l’on se sent revenir à l’époque des délicieuses compositions shakespeariennes telles Much Ado About Nothing (Beaucoup de Bruit pour Rien) et Love’s Labour Lost (Peines d’Amour Perdues), dans lesquelles Doyle va puiser largement.

 

Fiesta à Hogwarts

 

Le thème majeur de la partition, nouveau portrait du héros en jeune homme, se situe précisément dans cette veine : apparu au début de Foreign Visitors Arrive après une brève reprise du thème d’Hedwig, il est pleinement développé dans le splendide Harry In Winter, lorsqu’Harry décide de demander à Cho d’être sa cavalière de bal. D’un romantisme exacerbé et non dénué de mélancolie, ce thème marque une évolution décisive dans la saga : il n’est plus question ici d’un enfant éprouvant des sentiments pour ses parents mais d’un jeune homme qui s’éveille à l’amour et qui se consume pour une jeune femme… qui ne sera pas la bonne, mais c’est tant pis, seule compte la musique que cet amour saura inspirer au compositeur ! Interprété principalement par des cordes et par un glockenspiel envoûtant, Harry In Winter témoigne une fois encore du grand talent de Doyle pour les mélodies inspirées et profondément touchantes. Le compositeur va encore plus loin dans les derniers morceaux, l’intrigue se prêtant à la fin au mélodrame : en effet, l’adagio désespéré de Death Of Cedric n’aurait pas dépareillé dans Hamlet ou dans Carlito’s Way (L’Impasse). Le score s’achèvera ensuite dans une atmosphère noble et résignée portée là encore par d’amples mouvements de violons gracieux et passionnés, faisant de Another Year Ends et de Hogwarts’ Hymn (qui reprend le thème associé à la Coupe de Feu) certains des morceaux les plus lyriques que le compositeur ait jamais écrits.

 

Auparavant, le bal de Noël aura permis à Doyle de s’offrir lui aussi ces quelques moments de «well-mannered frivolity» dont parle avec humour la cérémonieuse McGonagall. Il conçoit dans Neville’s Waltz et Potter Waltz des pastiches de valses plus vraies que nature, illustrant son goût de toujours pour les formes et les compositeurs classiques. A mi-chemin entre Johann Strauss, Dmitri Chostakovitch et… Patrick Doyle, ces morceaux savoureux et pleins de verve présentent un intérêt moindre car ils entraînent une baisse notable de rythme et de tension dans la progression dramatique, mais ils n’en demeurent pas moins de sympathiques exercices de style. Même commentaire à propos de la fanfare contenue dans Hogwarts’ March, qui reprend sur un ton léger et débonnaire les thèmes des valses puis celui de Harry In Winter : rappelant beaucoup Much Ado About Nothing, elle se révèle certes agréable mais complètement décalée par rapport à la gravité de la situation. On préférera alors la fantaisie d’un titre comme Underwater Secrets : illustrant une vraie scène de comédie où Moaning Myrtle essaie de séduire Harry pendant que celui-ci prend son bain, il constitue avec Rita Skeeter l’un des rares moments de mickey mousing du score et multiplie les bonnes idées, enchaînant les instrumentations typiquement merveilleuses (harpe et violons cristallins, glockenspiel) et les pastiches de musiques espagnoles sulfureuses à la Carmen. Les voix entêtantes des sirènes viennent ensuite conclure ce morceau en un chant révélateur de ce qui attend Harry pour l’épreuve suivante.

 

Dragon !

 

Le clou du spectacle étant évidemment le Tournoi des Trois Sorciers, les pistes consacrées aux épreuves ont fait l’objet d’un soin particulier et comptent parmi les plus mémorables de l’album. Déjà, le caractère noble, mystérieux et fascinant de ces épreuves était suggéré dans le très beau The Goblet Of Fire, et il ne fera que s’accentuer par la suite. Si l’on ne devait retenir qu’une séquence du film et qu’un seul morceau de la bande originale, il s’agirait sans aucune hésitation du combat contre le Magyar à pointes : long morceau de bravoure de plus de six minutes, il entraîne le héros dans une poursuite haletante noyée sous une tornade symphonique du plus bel effet. Grisé par un déluge de cuivres héroïques et de percussions martiales, le spectateur tremble de peur lorsqu’Harry manque de mourir sous les attaques du dragon puis verse des larmes de joie et de reconnaissance quand il voit le sorcier ressurgir au son d’une reprise triomphale du thème de Harry In Winter. Avec ses envolées euphorisantes et débordantes d’une énergie hautement communicative, Golden Egg est sans doute le morceau le plus épique et le plus flamboyant de toute la saga musicale des Harry Potter.

 

On s’oriente ensuite progressivement vers une noirceur accrue avec The Black Lake et The Maze. Le premier de ces deux titres constitue à nouveau un étourdissant tour de force dans lequel l’orchestre se déploie avec une ampleur et une puissance incroyables : illustrant les sombres mystères contenus au fond du lac et les nombreux dangers s’interposant entre les héros et l’objet de leur quête, The Black Lake propose un étonnant mélange de sonorités synthétiques grinçantes et de chœurs samplés associé aux effrayantes sirènes et aux créatures mi-hommes mi-pieuvres avant d’alterner les brusques accès de rage à la Frankenstein et les motifs héroïques fondés notamment sur la reprise du thème de Beauxbâtons, pour s’achever tel Golden Egg sur un magnifique triomphe. Dans The Maze, la joie n’est plus de rigueur : cordes crissantes et étirées jusqu’à la rupture, cuivres sévères, ambiance sourde et malsaine, mélodies angoissées et tourbillons de violence, tout annonce la fin tragique qui attend les deux derniers concurrents. Arrive alors le long et terrible Voldemort, presque une œuvre à part entière, qui correspond à la scène la plus attendue et la plus importante du film : le retour du Dark Lord.

 

Cette fois-ci la dissonance est totalement assumée et les hurlements des cuivres se font déchirants, agressant l’auditeur durant toute la première partie du morceau. Par la suite les mouvements des cordes se feront de plus en plus lyriques et vibrants afin de rendre compte de l’importance décisive de l’instant, qui voit renaître les espoirs de Voldemort et les souffrances d’Harry puis réapparaître les fantômes de toutes les victimes du Mage Noir et surtout ceux de James et Lily Potter. Juste avant l’affrontement, on notera l’esprit d’à propos du compositeur qui cite judicieusement, après des sonneries de cuivres dramatiques, les coups de timbales résonnant comme les coups du destin entendus dans Le Crépuscule des Dieux de Wagner et repris dans The Lord Of The Rings d’Howard Shore lors des apparitions de Sauron. Avec le retour du thème d’Harry à la fin du morceau, le compositeur souligne l’impossibilité pour le Mal de l’emporter et la victoire finale du héros, mais si fragile, si pleine de douloureuse tragédie… C’est sur cette impression que restera l’auditeur, bouleversé par la grandeur tragique de la scène. Après John Williams et sans démériter, Patrick Doyle a donc su adapter à merveille sa sensibilité romantique et son style passionné à la magie de Harry Potter, dotant le film de Mike Newell d’une partition enflammée qui illuminera longtemps les cœurs par une emphase orchestrale qu’aucun des deux compositeurs suivants ne sera en mesure d’égaler.

 

Harry Potter And The Goblet Of Fire

Gregory Bouak
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