Predators (John Debney)

Z'ont pas des gueules de porte-bonheur

Disques • Publié le 17/09/2010 par

PredatorsPREDATORS (2010)
PREDATORS
Compositeur :
John Debney
Durée : 68:37 | 24 pistes
Éditeur : La-La Land Records

 

3.5 out of 5 stars

Après l’échec artistique des deux Alien vs. Predator, en revenir à la seule créature du chef-d’œuvre matriciel de John McTiernan constituait pour les fans de la franchise un réel soulagement ; en outre, on allait avoir affaire cette fois-ci non pas à un seul Predator mais à plusieurs, sans compter les autres créatures alléchantes que ce nouvel opus devait nous dévoiler. Mais contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, Predators ne marque pas le retour d’Alan Silvestri, qui avait pourtant signé avec Predator et Predator 2 de vrais morceaux d’anthologie : le producteur Robert Rodriguez a en effet choisi de faire appel à John Debney, avec qui il a travaillé sur Sin City et les deux premiers Spy Kids. Il faut rappeler que Debney a déjà succédé à Silvestri sur une autre saga populaire pour un résultat fort honorable (The Scorpion King [Le Roi Scorpion]), qu’il a déjà eu l’occasion de s’illustrer dans un film de monstre estampillé Stan Winston (The Relic [Relic]) et qu’il est à l’aise depuis longtemps tant dans le genre épique que dans le genre horrifique. Tout était donc (presque) pour le mieux dans le meilleur des mondes…

 

Le problème, c’est que les producteurs et le réalisateur, apparemment tous d’accord, ont demandé à Debney de coller de très près au score composé par Alan Silvestri pour le premier film, chose qu’on n’avait même pas osé demander à des compositeurs pourtant moins aguerris ou moins cotés tels Harald Kloser et Brian Tyler ! Il ne s’agit pas ici de simplement réemployer un ou plusieurs thèmes célèbres pour flatter le public puis d’exploiter brillamment son propre canevas dans le reste du score (ce qu’ont très bien fait Joel McNeely, Don Davis ou encore Patrick Doyle en succédant à John Williams sur les Star Wars, les Jurassic Park et les Harry Potter), mais bel et bien de décalquer la partition de départ sans y ajouter de matériau personnel notable, si bien qu’il ne faudrait pas dire « musique composée par John Debney » mais « variations autour des thèmes d’Alan Silvestri »… Le nouveau compositeur, qui vénère la musique de son prédécesseur et s’estime déjà assez chanceux d’avoir pu accéder aux partitions originales prêtées par la Fox, semble ravi ; cependant, on pourra regretter que l’hommage voulu par Rodriguez, qui a amené le film de Nimrod Antal à singer celui de John McTiernan sans aucune inspiration, finisse par lorgner vers le plagiat autorisé. Si l’on en croit les discussions sur la toile, c’est ce que bon nombre de fans réclamaient, mais à quoi bon ? Il aurait été tellement plus intéressant de demander à l’auteur du dantesque End Of Days (La Fin des Temps) de créer quelque chose d’entièrement nouveau, en lui faisant confiance pour y ajouter la « Silvestri’s touch » déjà présente dans quantité de ses autres scores…

 

Predators ? Hum...

 

Maintenant, une fois passées la colère et la déception devant cette occasion manquée, il convient d’analyser en détail le travail que Debney a effectué car force est de reconnaître que le bonhomme, habile technicien rompu aux exercices de style les plus divers, y a mis tout son cœur. D’abord, comme à son habitude, il ne lésine pas sur les moyens : orchestre gigantesque de plus de cent musiciens, équipe d’orchestrateurs chevronnés placée sous la direction de l’inévitable Brad Dechter, arsenal synthétique très sophistiqué dû à l’expertise de John Van Tongeren, album contenant presque soixante-dix minutes de musique, bref, le spectateur / auditeur amateur de gigantisme en aura pour son argent. Ensuite, il est indéniable qu’il s’acquitte de sa tâche à la perfection, à savoir composer un pastiche si maîtrisé que par moments l’on croirait presque entendre un score signé par Silvestri lui-même. Bien sûr, les spécialistes sauront toujours faire la différence et considéreront que les partitions de Predator et Predator 2 sont mieux écrites, moins bruyantes et font état d’un meilleur sens du rythme et de la tension… Tout cela sera juste, mais l’on peut aussi reconnaitre que Debney a respecté, plus encore que la lettre (à savoir les thèmes), l’esprit des musiques de Silvestri, si bien que l’on songe non seulement aux Predator mais aussi à quantité d’autres compositions et surtout aux deux premiers Back To The Future (Retour vers le Futur) datant de la même période.

 

Dès Free Fall, très dynamique et percutant, presque tout Silvestri est résumé : introduction à la fois mystérieuse et tendue, cordes crissantes et dramatiques, dégringolade de percussions très mates, envolées frénétiques et virevoltantes où les cuivres rejoignent les cordes et les percussions pour un résultat 100% martial et tonitruant, marque de fabrique de l’auteur du récent The A-Team (L’Agence Tous Risques). Apparaissent ensuite les fameuses volutes de violons accompagnées de cuivres évoquant l’immensité de l’espace et ouvrant le générique du Predator d’origine, puis le fameux motif percussif hypnotique qui marquait le départ des aventures dans la jungle et qu’on a retrouvé utilisé en clin d’œil par Brian Tyler dans AVPR – score auquel Debney fait également référence via des bombardements symphoniques rappelant The Planets et Aliens. Enfin, dans la dernière minute arrivent les premières propositions personnelles de Debney, à savoir l’emploi de sonorités électroniques très sombres, glauques et menaçantes, censées évoquer le caractère hostile de la planète où ont échoué les personnages.

 

Predators ? Non...

 

Par la suite, ce ne sont pas les reprises littérales des motifs de Silvestri, aussi sympathiques ou virtuoses soient-elles (dans Not Of This Earth, We Run We Die, Smoke, Theme From Predator, la liste est loin d’être exhaustive…), qui présentent le plus d’intérêt car l’effet de surprise est déjà trop éventé. Et ce ne sont pas non plus les nouvelles instrumentations proposées dans les très pompiers Predator Attack, They See Our Traps ou encore Edwin And Isabelle Captured qui feront l’unanimité. En effet, le compositeur, sans doute mal remis d’Iron Man 2, fait de nouveau appel à la guitare électrique et à des rythmes synthétiques bien lourds qui peuvent donner à la partition un côté fun agréable mais qui peuvent aussi laisser penser que Debney a cédé à un effet de mode facile faisant verser le film dans un second degré (involontaire ?) de mauvais goût. Non, la vérité, comme disent certains, est ailleurs… Plus massif et plus ténébreux, intégrant davantage de sonorités contemporaines et expérimentales, le score de Predators souligne le fait que pour la première fois, l’action ne se déroule plus sur Terre mais sur une planète lointaine et inconnue, où le danger est encore plus présent et où l’on a davantage perdu ses repères, bien que les décors de jungle semblent identiques. À ce titre, This Is Hell, avec ses crépitements électriques, ses percussions samplées, ses grondements aux limites de la dissonance, ses appels glaçants émis par des monstres invisibles, est particulièrement éloquent.

 

Au fil d’écoutes attentives et répétées, les auditeurs patients et motivés découvriront certainement des trésors dans tous ces passages, toujours sur un mode sauvage à la fois dérangeant et fascinant, depuis les gargouillements bestiaux entendus au début de Over Here jusqu’aux sonorités définitivement extraterrestres et très agressives de Stans’ Last Stand et Take Me To The Ship. Mais le must reste sûrement le fameux Hound Attack, véritable bombe musicale marquée par des effets sonores très surprenants qui constituent un hommage direct à Planet Of The Apes (La Planète des Singes) de Goldsmith, score pour lequel Debney éprouve une admiration sans bornes – signe de son bon goût, finalement ! Dans un registre encore plus tribal et exclusivement percussif, on pense aussi plusieurs fois à Planet Of The Apes de Danny Elfman au début de Single Shooter puis au détour de Cages / Trip-Wire et de Hanzo’s Last Stand.

 

Dans l’ensemble, en contraste avec les séquences de noir mystère et d’inquiétude fondées sur la musique électronique, les nombreuses scènes d’action font preuve d’une rage terrifiante et d’un déchaînement salvateur les amenant à dépasser Predator pour se rapprocher plutôt de Predator 2, ce qui ne peut que parler en leur faveur. Si l’on ajoute à ces morceaux de bravoure trépidants quelques envolées plus solennelles associées au destin tragique des personnages et seules à contenir un peu de lyrisme dans Leg Trap, She’s Paralyzed et Let’s Get Off This Planet, on obtient un score particulièrement consistant, certes sous influence et loin de renouveler le genre mais proposant une expérience captivante, même pour ceux qui ne sont pas fans de la saga. Alors oui, comme on le répète partout, John Debney est un faiseur, mais ce qu’il fait, il le fait bien et tout le monde ne peut pas en dire autant !

 

Predators !!!

Gregory Bouak
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