Comment êtes-vous arrivé sur Les Lyonnais ?
C’est Olivier qui m’a appelé. Nous nous étions vraiment amusés sur la première saison de Braquo. Il m’a fait venir lors de la pré-production et il m’a donné le scénario. C’était en juin 2010.
Vous avez donc commencé à travailler avant le tournage ?
Oui. Le montage de ce film a duré assez longtemps, ce qui fait que j’ai travaillé sur le film pendant presque neuf mois. J’ai commencé à envoyer des idées en amont. Ce n’était pas un travail à plein temps, mais nous avons déterminé certaines couleurs puis avons beaucoup travaillé pendant le montage. Par exemple, le morceau qui s’appelle Arrachage, une scène de filature, dure sept minutes, mais à l’origine, il faisait neuf minutes : comme il était composé à l’image et que le montage a évolué, je l’ai modifié de nombreuses fois. Mais le motif lancinant que l’on entend au début, avec le piano et les percussions, c’est quelque chose que j’ai imaginé à la lecture du scénario. Il était écrit d’une telle manière que j’avais vraiment les images dans la tête et que je savais quelle musique je ferai. Le thème Les Lyonnais est un morceau que j’ai écrit en amont et lorsque nous l’avons essayé sur différentes scènes du film, nous nous sommes dit que c’était ce qu’il fallait.
Le tracklisting est-il chronologique ?
Pas tout à fait : Les Lyonnais est parmi les derniers morceaux entendus dans le film.
Le thème y est interprété de manière puissante, mais on retrouve la mélodie distillée en filigrane au long du score, comme une ambiance dans laquelle baignent les personnages…
Oui, c’est un thème sans en être un. Il est assez basique parce qu’il fait référence à des personnages qui ont des valeurs simples. Ils n’ont pas de grands sentiments et sont très directs.
Vous êtes allé à Londres pour l’enregistrement ?
Oui, nous avons enregistré à Abbey Road avec le London Philharmonia, orchestre avec lequel j’avais fait deux films auparavant : La Première Etoile puis Ma Première Fois. J’ai travaillé avec la même équipe, c’est à dire Steve Price comme ingénieur du son et Allan Wilson comme chef d’orchestre. J’étais ravi d’aller là-bas parce qu’il n’y a pas besoin de prendre l’avion ! Mais ce n’était pas simple car il fallait convaincre les producteurs qu’il y a une valeur ajoutée à enregistrer à Londres, ce qui n’est pas forcément une évidence pour tout le monde. Mes expériences précédentes ont donc servi d’arguments. Dans le sens où Olivier Marchal et la production voulaient que l’orchestre sonne «gros», je leur ai dit qu’il fallait chercher à Londres. C’était payant car j’ai vu Olivier très ému pendant l’enregistrement.
C’est un grand sensible ?
Oui, vraiment !
Quand on regarde sa filmographie, on s’aperçoit qu’il a vraiment une vision concernant la musique de film…
Oui mais c’est terrible : il a l’impression de ne rien connaître à la musique et il laisse donc faire. Il fait preuve de beaucoup de modestie et du coup, il laisse le champ libre et cela me donne envie de me dépasser. Pendant l’enregistrement, quand je lui demandais s’il était content ou s’il voulait changer des choses, il me répondait qu’il n’y connaissait rien. Et puis au fil du temps, il s’est pris au jeu et a commencé à proposer des changements. En fait, il sait très bien ce qu’il veut !
Parlez-nous du Prologue, qui a une sensibilité un peu tzigane…
C’est un morceau que j’ai écrit le jour même de l’enregistrement ! Pour la petite histoire, la production voulait utiliser une musique existante, également avec un solo de violon, mais n’en a pas eu l’autorisation. On m’a donc appelé deux jours avant mon départ pour Londres pour me demander d’écrire quelque chose en remplacement. J’ai donc écrit ce morceau dans l’esprit de ce qui était prévu et grâce à la copiste qui était présente, nous avons pu mettre cela sur les partitions et le premier violon du Philharmonic l’a joué superbement. A propos de l’aspect tzigane, c’est une vibration qui est parfois sous-entendue dans le score, notamment dans le violoncelle de Comme un Voyou que tu as été. Mais ce n’est pas quelque chose que j’ai fait consciemment, je suis comme Olivier qui, à la première du film, a dit «J’espère que le film vous plaira parce que je n’ai pas fait exprès !».
Le SAC est très efficace avec ses cordes qui maintiennent le suspense…
Il s’agit d’une scène où il n’y avait pas de musique à la base. J’avais composé un morceau un peu fou, dans l’esprit des 70’s, qui intervenait plus tard. Et puis on s’est rendu compte que les personnages qui font cette série de cambriolages ne sont pas du tout fous, ils sont très organisés et savent très bien ce qu’ils font : l’idée nouvelle était donc de jouer quelque chose de millimétré. Et puis j’en suis venu à modifier le morceau de sorte qu’il commence de plus en plus tôt, ce qui fait qu’il démarre dès le début de la scène et crée un climat d’attente. Il faut savoir qu’Edmond Vidal était relativement jeune quand il a commencé à faire ces casses. Il semblait n’avoir peur de rien mais il n’en menait quand même pas large. Il fallait rendre en musique cette anticipation du moment, cette attente stressante et tendue jusqu’au moment où cela explose.
Finalement, c’est grâce aux différents montages que les morceaux sont devenus évolutifs et ont acquis un aspect narratif ?
Oui, nous avons beaucoup tâtonné, mais nous avons eu le temps de chercher des choses différentes et de découvrir de nouvelles manières d’aborder telle ou telle scène. La musique s’est construite au fil du temps et c’était plutôt agréable finalement.
On entend une reprise subtile du thème principal dans Mariage. Mais il n’y a pas une folle ambiance !
Le mariage de Vidal a lieu en prison. D’ailleurs, je trouve que cette scène est très belle. La future femme de Vidal est également en prison et elle arrive dans la petite chapelle menottée et entourée de flics armés. Ils se disent trois mots et le son direct est coupé : à partir de ce moment là, on n’entend que la musique pendant la très courte cérémonie et le son direct revient tout à coup au claquement de la grille par laquelle la femme ressort. Ce retour à la réalité est très émouvant.
L’atmosphère est également pesante dans Le Procès. Il y a un effet qui fait penser au Goldsmith d’Alien…
Je n’ai jamais fait le lien avec Alien… L’idée que j’avais pour la scène de procès était de faire sentir la chape de plomb qui pèse sur le tribunal, mais c’était difficile car il y a beaucoup de dialogues. Je ne voulais pas faire de sentimentalisme, ni tomber dans la noirceur, plutôt rendre une espèce de tension sourde. Je voulais imiter le son d’un glas, mais sans cloche, pour égrener le temps avec solennité. C’est donc un effet avec des cordes, de la clarinette basse, du contrebasson, de la percussion, un tamtam (qui est en fait un gong) et beaucoup de bois : cet ensemble joue une espèce de cluster, c’est à dire un groupe de notes très serré dans le registre grave. On entend un jeu de textures dont on n’arrive pas à savoir si c’est un son synthétique ou pas ! Ne me demandez pas pourquoi mais la fin du Procès est un de mes moments préférés du score. En fait, c’est parce que je voulais que les cordes imitent une caisse claire militaire, et le résultat est à la hauteur de mes espérances. C’est un morceau important pour moi parce que quand on essaye des choses un peu expérimentales, on est parfois déçu et dans ce cas, je trouve que la musique est réussie en tant que telle et qu’elle fonctionne bien dans le film. Pour moi, l’enjeu était d’utiliser, à certains moments, l’orchestre pour obtenir des textures quasi synthétiques. Dans Avertissement par exemple, il y a tout un jeu basé sur les harmoniques de cordes qui rendent une texture éthérée. C’est très difficile à jouer mais les musiciens étaient très justes. Je voulais également que les notes aigües soient jouées par les contrebasses et les violoncelles, c’est presque une utilisation «inversée» de l’orchestre. Globalement, je voulais pousser celui-ci au maximum de manière à obtenir des sons qui ne sont pas conventionnels, en minimisant l’apport synthétique.
Comment considérez-vous Les Lyonnais dans votre filmographie ?
C’est trop tôt pour le dire. Je fonctionne par l’envie et je compose avec mes tripes. Je ne me pose pas la question de savoir si ce que je fais est bien. Enfin si, mais je ne cherche pas à rentrer dans la mode. J’ai des doutes sur la direction que prend la musique de films aujourd’hui. C’est difficile de faire valoir un thème de nos jours. Souvent, les producteurs veulent un thème fort puis ils trouvent qu’il prend trop de place. Et je ne nie pas le côté «zimmerien» de certains passages des Lyonnais car le film a été temp tracké avec des morceaux de Hans Zimmer.
C’est évident surtout sur le morceau Les Lyonnais.
Je sais pourquoi vous me dites cela. C’est ce côté un peu «Inception» de la chose… Il se trouve que ce thème en particulier, que j’ai donc écrit en amont et avant la sortie d’Inception, on le retrouve dans Comme un Voyou que tu as été qui, lui, n’a pas de rapport avec la musique de Zimmer parce que c’est la version initiale. Et pour le passage sur lequel on utilisait Les Lyonnais, le temp track venait d’Inception et on m’a demandé de travailler le morceau afin de s’approcher des mêmes sonorités. Bon, le compositeur est parfois bloqué par la mode : si un film marche bien, il va retrouver sa musique en temp track sur les films sur lesquels il travaille. Mais c’est quelque chose que je revendique, je fais des choses qui lorgnent parfois du côté de Remote Control pour le plaisir, parce que j’aime aussi la grosse artillerie avec des gros synthés qui font «boum boum». C’est dans l’air du temps, voilà.
En parallèle, vous utilisez ailleurs toute la palette orchestrale, notamment dans les morceaux d’action traditionnels…
En schématisant, je dirais que la production voulait que certains passages ressemblent à du Zimmer. Si j’avais voulu vraiment le faire, je serais allé à Air Studio, j’aurais enregistré toutes les pistes séparées et j’aurais tout doublé avec des samples. Mais je ne pouvais pas lutter : dans le domaine, RC fait cela beaucoup mieux que moi. Et puis ce qui m’intéressait, c’était d’avoir le son de tous les musiciens qui jouent ensemble ! Le résultat est incomparable parce qu’il y a une énergie dans le jeu que l’on ne retrouve pas quand on enregistre les sections séparées. Et puis il y a une patte personnelle, y compris lorsqu’il y a des défauts. Ce sont de vrais musiciens, j’utiliserais des machines si je cherchais la perfection ! Et puis ce genre d’enregistrement est une sorte de juge de paix : je me rend compte des défauts et cela me permet de ne pas refaire les mêmes erreurs.
Avez-vous conçu le tracklisting des éditions de Braquo et Les Lyonnais ?
Pour Braquo, Canal+ m’a demandé de sélectionner des morceaux qui me plaisaient. Je leur ai donc envoyé une liste d’une quarantaine de morceaux et ils en ont retenu vingt-sept au final. J’ai conçu le tracklisting des Lyonnais mais je me suis limité à la musique qui a été retenue pour le film.
Quels sont vos projets ?
Je travaille actuellement sur RIS Police Scientifique. C’est un petit peu mon fond de commerce ! Mais c’est loin d’être désagréable : la nouvelle saison est plutôt sympathique, la série évolue et la production est de plus en plus ouverte en termes de direction musicale. Il y a peu, j’ai composé un morceau d’action de plus de six minutes : c’est surtout du «badaboum», mais je m’amuse ! Je travaille également sur deux courts-métrages, dont un très drôle avec une scène de poursuite. Je commence bientôt le prochain film de Marie-Castille Mention-Schaar, avec qui j’ai déjà fait Ma Première Fois, et qui sortira en janvier prochain. J’ai fait il y a quelques temps une bande sonore expérimentale pour Marie Perruchet, une danseuse dont le spectacle aura lieu au Bus Palladium le 13 décembre. Et ma compagne ayant créé une compagnie de danse contemporaine, nous avons un projet avec Gigi Caciuleanu qui voudrait faire une chorégraphie sur de la musique de film. Dans les projets hypothétiques, j’aimerais faire un concert. Quand je vois le blog de Bear McCreary où il annonce plein de concerts, je suis honteusement jaloux ! Il est archi doué, parvient à imposer un orchestre à la TV et à faire des concerts un peu partout… Je trouve ça super bien !
Entretien réalisé en novembre 2011 par Sébastien Faelens
Transcription : Sébastien Faelens
Photographies : DR
Remerciements à Erwann Kermorvant pour son talent et sa disponibilité