C’est toujours avec autant de talent et d’enthousiasme qu’Erwann Kermorvant poursuit sa carrière entre télévision et cinéma. Cet automne, le compositeur retrouve l’univers d’Olivier Marchal, et ce quelle que soit la taille de l’écran : après MR73 mis en musique par Bruno Coulais, il retrouve l’ancien flic devenu cinéaste pour Les Lyonnais et reprend du service pour la deuxième saison de Braquo. Entre flic et voyou, Kermorvant choisit les deux camps et raconte comment il parvient à les concilier.
Vous aviez rencontré Olivier Marchal sur 36 Quai des Orfèvres. Comment vous êtes-vous retrouvé sur Braquo ?
Après 36, j’avais tout simplement croisé Olivier chez une amie commune et il m’avait parlé de ce projet qu’il avait avec Canal+. Il m’avait envoyé le scénario : c’était Braquo. Il était arrivé chez Canal+ avec son équipe, il n’y avait donc pas eu d’appel d’offre pour la première saison. Pour la deuxième, la société Capa Drama s’est tournée vers moi pour continuer.
A quel moment êtes-vous intervenu dans la conception de cette nouvelle saison ?
J’étais arrivé très tôt sur la première saison, pendant la lecture du scénario. J’avais donc pu réfléchir sur des couleurs et des textures avant même le tournage. C’était plus compliqué sur la deuxième, même si on avait le matériel issu de l’année précédente : je travaillais donc sur ces bases mais je faisais Les Lyonnais en même temps ! C’était donc en flux tendu, avec environ dix jours par épisode, en travaillant à l’image car la nouvelle saison est plus axée sur l’action. D’ailleurs, le réalisateur Philippe Haïm, avec qui j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler, est quelqu’un de très précis dans ses choix et ses intentions.
Quels étaient vos interlocuteurs et leurs directives ?
Philippe a réalisé les quatre premiers épisodes, puis c’est Eric Valette qui a pris le relais. C’est marrant car ce sont deux personnalités radicalement différentes, mais j’ai pris autant de plaisir avec les deux. En fait, il y avait déjà un cahier des charges établi lors de la première saison. La différence était que l’on s’orientait moins vers les sons électroniques que vers le son d’un gros orchestre, car il y a un aspect militaire chez certains personnages. Par exemple le gang des Invisibles, qui braque 400kg d’or au début, avait besoin d’un son plus massif. D’autant que Philippe préfère ces couleurs. Eric y étant moins attaché, je suis donc revenu sur des choses plus hybrides à partir du cinquième épisode. Mais globalement, il y a un rendu plus orchestral pour la deuxième saison. De plus, les outils ayant beaucoup évolué en une année, j’avais moins de mal à rendre mon faux orchestre crédible.
Justement, le score de Braquo est du «fait maison». Quels sont vos outils de travail ?
J’ai une configuration standard, à peu près la même dont tout le monde se sert, avec des librairies que l’on trouve partout, plus quelques autres qui sont un peu plus personnelles. Elles sont d’ailleurs de très bonne qualité, ce qui permet d’avoir un rendu crédible tout en travaillant uniquement sur machines.
Parlez-nous de la guitare électrique, cette «patte Braquo» que l’on ne retrouve pas tellement pendant les épisodes…
On retrouve la guitare électrique au sein de la série, mais je ne voulais pas l’utiliser de manière évidente : elle est souvent présente, mais je voulais rendre des textures qui ne relèvent pas du jeu de guitare saturée classique. Je cherchais des sons plus distordus, plus étranges. Cela fait aussi partie des couleurs que je recherchais.
La noirceur et la violence semblent encore plus présentes. Est-ce que vous avez amplifié cet aspect de la musique ?
Pas tant que cela parce que le jeu des acteurs se suffisait souvent à lui-même. C’est à dire que nous ne voulions pas surenchérir sur la violence. Nous préférions privilégier l’action et, en parallèle, nous montrer assez fin sur la noirceur des personnages. D’ailleurs, il y a des scènes particulièrement violentes qui n’ont pas de musique. Finalement, nous avons plus misé sur la fragilité de certains personnages, comme celui de Walter : dans le premier épisode par exemple, au moment il met sa famille dans un appartement presque insalubre. J’avoue en avoir bavé avec cette scène parce qu’elle est superbe et il fallait rendre la détresse de ces personnages.
Il y a un côté tragique et désespéré que l’on retrouve notamment dans l’utilisation d’une voix féminine…
Pour cette scène, Philippe voulait que l’on ait l’impression que les sirènes du jeu appellent Walter. Le jeu, c’est vraiment quelque chose de terrible, c’est un engrenage, et il fallait que Walter soit happé par cet appel. J’ai donc choisi une voix samplée que j’ai triturée dans tous les sens pour la rendre fantômatique.
Côté action, on retrouve parfois des influences de John Powell, en tout cas une musique percussive. Comment dose-t-on ce genre de «grosse» musique sur une série française ?
J’assume totalement le côté «powellien». D’abord parce que j’aime beaucoup ce qu’il fait, et puis parce qu’avant de le connaître, j’aimais déjà beaucoup la musique percussive, ayant été batteur. Les ressemblances sont aussi dues au fait que j’utilise des sons qu’il utilise aussi. Evidement, il a des musiciens à sa disposition, mais on trouve dans les banques des sons qui se rapprochent des percussions que l’on entend chez lui. Pour ce qui est du dosage, je ne m’en occupe pas un seul instant ! Je ne préoccupe pas du tout de la manière dont la musique sera mixée, c’est à dire qu’à partir du moment où l’on me dit de me lâcher, je fonce ! Mais la plupart du temps, je livre des stems pour ce genre de morceaux. C’est à dire que les mixeurs disposent des pistes séparées pour les percussions, les sons d’orchestre et la partie programmation. Ils ont donc toute latitude au mixage pour baisser certaines composantes sans toucher au volume de la musique.