Basil Poledouris : l’adieu au roi
Interviews • Publié le 03/07/2008 par et

Vous avez composé tout autant pour de gros films d’action que pour des drames intimistes, mais votre musique semble toujours s’attacher avant tout aux émotions des personnages…

 

Il n’y a rien de particulièrement sophistiqué dans ma musique, ce n’a jamais été le cas, c’est presque de la folk music, d’une certaine façon, à la construction très simple. John Milius et Paul Verhoeven voulaient tous deux qu’un sous-texte soit exprimé par la musique, mais ils souhaitaient aussi et surtout de l’émotion. Paul m’a d’ailleurs dit une fois : «Quand j’utilise Jerry Goldsmith, je le prends avant tout pour l’intellect, et quand je t’utilise, c’est avant tout pour l’émotion». C’est là que tout commence. L’émotion est la première chose à apporter, même si cela est aussi lié au film. La forme dicte l’écriture. Un film comme The Blue Lagoon (Le Lagon Bleu) n’a rien à voir avec Conan The Barbarian. Je pense que si l’on veut être fidèle aux personnages, il faut découvrir qui ils sont, et ce qu’ils sont. Comme je le disais en parlant de Conan, c’était une brute, l’homme le plus fort du monde, une machine à tuer. Ces enfants sur l’île, c’est une autre histoire, une histoire de douceur, d’innocence, la découverte de leur sexualité, de la vie autour d’eux, les horreurs des cannibales…

 

Habituellement, la première chose que je fais est de regarder le film, même s’il s’agit d’un premier montage, non pour le mémoriser mais plutôt pour m’en faire une idée générale. C’est parfois difficile à faire à partir du script, parce que le langage du film est très différent de celui du script, et encore plus de celui du roman. Puis j’arrête le film, je m’assieds au piano, un peu comme les écrivains s’asseoient, ou plutôt s’asseyaient, face à leur machine à écrire. Donc je m’assieds, je mets en route le magnétophone, et j’improvise. Jack Kerouac disait : «La première idée est la meilleure idée». L’idée non travaillée. L’idée non censurée. Il y a dans tout cela une forme de liberté, de vérité aussi. Et à partir de là naissent quelques motifs, peut-être une idée d’orchestration… Je peux, au piano, représenter les bois, et pas seulement le piano. Et représenter ainsi de petites choses, timbales, tuba… et en sortir une idée d’orchestration, un motif, une mélodie, un rythme… Un rythme peut être un motif (il chante le theme de Jaws / Les Dents de la Mer). Vous imaginez jouer ça au piano pour Steven Spielberg ? «Qu’est-ce que c’est que ce truc ?». Il faut beaucoup de confiance de la part du réalisateur pour laisser le compositeur faire ça. Avec un autre réalisateur, ça aurait pu être : «Oh non, c’est atroce !». Et c’est tout. C’est fini…

 

Les personnages doivent venir de l’écriture. C’est la création fondamentale, qu’il s’agisse du script ou du livre. Et ensuite, la vision du réalisateur, son interprétation de cette écriture. C’est très important pour un compositeur d’avoir de la marge, de l’espace, de la liberté , de pouvoir explorer… J’ai tenté de faire ça avec Kevin Costner sur son dernier film, Open Range. J’avais accepté le projet. Les gens de Disney ont appelé, car ils avaient besoin de musique temporaire pour le film. Et vous savez ce qu’ils ont utilisé ? Starship Troopers !!! Quand j’ai vu ça, j’ai dit : «Ce n’est pas ce dont nous avions parlé. Je ne peux pas faire ça». Et je me suis retiré du film. Ce n’est pas un space opéra ! C’est un western classique, très intime, dans la boue, sous la pluie… Ce fut malheureusement la fin de ma collaboration avec Kevin.

 

N’étiez-vous pas censé faire Dances With Wolves (Danse Avec Les Loups) ?

 

Oui. Parce que Kevin adorait le score de Lonesome Dove. Mais j’était déjà engagé pour faire un film avec John Milius, Flight Of The Intruder (Le Vol de l’Intruder). Ce fut un choix très difficile… Mais John Barry a signé une partition splendide. Je suis allé aux Academy Awards cette année-là, et Mike Medavoy m’a regardé, et m’a dit : «C’aurait pu être toi !». Et il avait raison… Mais je suis tout de même parvenu à travailler avec Kevin, sur For Love Of The Game (Pour l’Amour du Jeu).

 

Vous n’avez pas non plus participé aux Rough Riders de John Milius ?

 

 

Rough Riders… Elmer l’a fait, n’est-ce pas ? Je ne pouvais pas le faire. J’étais attendu sur un autre film à ce moment-là. Probablement Starship Troopers. De la même façon, j’ai aussi dû refuser Comanche Moon, de Simon Wincer, adapté du livre de Larry McMurtry (l’auteur de Lonesome Dove). Et Simon vient de finir une minisérie de 6 heures, Into The West. Malheureusement, je n’ai pas pu y participer, pour raisons de santé. Mais j’espère que mon jeune ami Eric Colvin le fera. C’est un merveilleux compositeur, un musicien complet.

 

Quels sont vos projets à venir ?

 

Il y a un film de Simon Wincer. Je viens de déménager dans une île au large de Seattle. J’y ai installé mon studio. J’y compose, juste pour moi. Je voulais faire un break, juste après mon divorce, qui a creusé un grand trou dans ma vie. Donc j’écris de la musique pour moi tout seul ! Je n’ai pas dirigé un orchestre en live depuis The Touch (Le Talisman), un film que j’ai fait en Chine, il y a environ 3 ans. Et une représentation en public, c’était il y au moins 5, 6 ans…

 

Quand j’étudiais la musique à l’université, c’était un gros mot, musique de film… Ils ne voulaient pas en entendre parler : «Ce n’est pas de la musique !». Et, dans un sens, c’est vrai, ce n’est pas du Mozart. Mais les choses changent. Je pense qu’ils commencent à reconnaître enfin la musique de film. Et peut-être commencent-ils aussi à se lasser de Mozart ? J’aime beaucoup, mais je ne veux plus aller à un concert de musique de Mozart. Je veux écouter du Philip Glass, quelque chose que je n’ai pas déjà entendu. Mais quelque chose d’accessible, pas quelque chose de trop grave, de trop pesant. Et je pense que la musique de film est accessible et populaire, une sorte de pont entre l’univers classique, la musique de concert et la pop music. Je pense qu’il y a là un créneau, qu’il est viable, et que les gens y sont réceptifs, parce qu’ils se souviennent des films. Les films sont le scénario, le reflet de notre temps. Ce qui est dommage, c’est que tout le monde se contente de faire des suites ou des remakes de séries télé… Mon dieu, mais combien de Mission : Impossible va-t-il y avoir ? Qui veut voir Tom cruise à ce point -là ?

 

Et, alors qu’on compose, on se dit si souvent : «Mais qui donc va écouter ça ?». En plus, il y a tellement d’effets sonores dans les films que parfois, on n’y entend plus la musique. «Pourquoi fais-je ce métier ?». Mais lorsqu’on travaille avec un réalisateur, en particulier si on a une relation étroite avec eux, comme pour moi John Milius, Paul Verhoeven, Randall Kleiser, Simon Wincer… c’est important, parce que nous mettons en musique leur pensée. C’est un peu comme le rapport entre Tim Burton et Danny Elfman, entre John Williams et Steven Spielberg, et George Lucas. John Ottman et Bryan Singer. Fellini et Nino Rota. Parce ces compositeurs et réalisateurs se comprennent, qu’ils parlent un language qui leur est propre. C’est crucial, cette relation est importante pour le film.

 

La mer semble être l’un de vos thèmes favoris. Vous inspire-t-elle particulièrement ?

 

Oh oui ! La mer a toujours tenu une place importante dans ma vie. Tout d’abord, j’ai grandi à Naples, près de Long Beach, en Californie. J’ai commencé à naviguer à l’âge de 6 ans. J’ai eu mon premier bateau à 9 ans. J’ai débuté le surf à 12 ans. Et je suis allé de plus en plus souvent, et de plus en plus loin sur l’océan. Il y a une île au large de la Californie, Catalina, j’y allais tout le temps. J’y vais toujours. Je bourlingue toujours. Ca a toujours été mon évasion. Pour certains, c’est la drogue, l’alcool, le sexe, le travail… Pour moi, c’est la mer.

 

Quand nous avons tourné Big Wednesday, nous somme allés à Hawaï, et John nous a fait surfer sur des vagues gigantesques. Nous croyions tous que nous allions y passer ! Ce genre de choses… le début de Conan, Nietzsche, «Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort», c’est un peu le credo de John !

 

Et quand Wind a été mis en route, je tenais énormément à y participer, parce l’America’s Cup a toujours été extraordinairement intéressant pour moi, ainsi que les hommes qui y participent. Je me suis donc rendu aux bureaux de la production, à Berkley, Californie, et je les ai suivis, et je suis resté sur leurs talons jusqu’à ce qu’ils me donnent le job !

 

Oui, la mer est un élément très important dans ma vie, tout comme le piano, que j’ai débuté à l’age de 7 ans. J’adore jouer, je peux jouer pendant des heures. Mais lorsque j’ai besoin de silence, je vais retrouver la mer. Je pense d’ailleurs qu’il existe une sorte de relation entre la musique et la mer : vous devez être en mesure de comprendre le monde de manière intuitive, tant pour composer que pour naviguer. Vous devez connaître le courant, comprendre l’étale, le flot et le jusant, et savoir que tout est toujours en mouvement, toujours changeant, à la fois gris et bleu, clair et obscur, puissant et serein. Toujours changeant…

 

 

En hommage à Basil Poledouris (1945-2006)

 


Entretien réalisé le 22 juillet 2006 à Ubeda par Olivier Desbrosses & Stéphanie Personne.

Transcription & traduction : Olivier Desbrosses.

Photographies : Olivier Desbrosses.

Remerciements à toute l’équipe du Festival d’Ubeda pour avoir rendu possible cet entretien, ainsi qu’à Basil Poledouris pour sa gentillesse et sa disponibilité.

 

Olivier Desbrosses
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