Conan The Barbarian (Basil Poledouris)

Un ami qui vous veut du bien

Décryptages Express • Publié le 04/01/2016 par

Et si on revenait là où tout a commencé ? Aux portes d’une salle de cinéma d’où, pressant le pas, on sort précipitamment, pressés de rejoindre le disquaire le plus proche, totalement transportés par cette musique magique qu’on vient d’entendre dans le film, et impatient d’acheter le disque de sa bande originale. Merveilleux souvenir, qui est bien souvent celui, inaugural, de notre passion de béophile. Et si on essayait de les revoir ensemble, ces séquences incontournables qui nous ont liés, parfois sans même le savoir, à notre communauté un peu particulière ? Ces séquences rendues inoubliables par les compositions emblématiques qui les accompagnent, mais aussi quelques autres, injustement oubliées, voire parfois méritant d’être oubliées, mais ayant marqué, qu’on le veuille ou non, l’histoire de la musique à l’image. Un voyage à travers plus de cent ans de musique de film, en autant de séquences, à raison d’une par semaine, dans ce nouveau rendez-vous auquel UnderScores vous invite en ce début d’année !

 

CONAN THE BARBARIAN (1982)Conan The Barbarian
Réalisateur : John Milius
Compositeur : Basil Poledouris
Séquence décryptée : The Tree Of Woe (1:16:01 – 1:18:48)
Éditeur : Intrada|

 

Un personnage immobilisé imposant une mise en scène statique, un décor vide de désert s’étendant à perte de vue, condamnant les effets sonores à une discrétion presque totale, et enfin le recours attendu à des plans longs et fondus les uns dans les autres pour nous faire ressentir l’épreuve du héros dans toute sa durée : autant de contraintes découlant du scénario qui laissent les clefs de la scène au compositeur. Film opéra dont toutes les scènes bénéficient d’un traitement musical au plus près de la mise en scène, Conan The Barbarian nous emporte de la première à la dernière image dans un flux mélodique presque ininterrompu, à l’exception de cette séquence. La course de Conan que rien, ni les hommes, ni les femmes, ni les bêtes, n’a arrêté jusque-là, vient d’être brisée par Thulsa Doom le sorcier. Capturé, le Cimmérien est condamné à une crucifixion qui est d’abord une épreuve de solitude : le pire des destins pour le barbare qui n’imagine la mort que l’épée à la main, à travers la porte qui mène au Valhalla. Nous le retrouvons donc sur l’arbre de la douleur attendant dans le désert un trépas anonyme qu’il ne sentira même pas venir. Traduisant l’horizontalité de l’espace et l’engourdissement des sens, la musique, pour la première fois dépouillée de toute construction mélodique, étire une note tenue par les violons, sur laquelle vient se développer une lente plainte des cuivres puis des bois, en pointillés, comme à bout de souffle, ponctuée de percussions-hoquets du crucifié qui agonise.

 

Néanmoins, parmi ces ponctuations se glissent quelques cascades de clochettes qui redonnent immédiatement espoir au spectateur attentif : le compositeur a pris soin de les associer, quelques scènes plus tôt, aux courses de Conan et son compagnon Subotai à travers les paysages d’Hyborée. Ils franchissaient des distances formidables à longues foulées, mais surtout, scellaient leur amitié. En écho à ce que la musique vient de nous souffler, l’horizon du désert est brisé par la silhouette de l’archer, sauveur inespéré. Immédiatement à l’unisson, la note étirée par les violons se mue en rythmique détachée jouée sur des harpes. Le passage brusque de la note trop longtemps tendue qui finit par agacer l’oreiller, à la mélodie doucement lyrique qui la caresse provoque chez l’auditeur un soulagement physique au moment même où le personnage en éprouve un lui aussi. La marque d’un compositeur qui a toujours cherché par sa musique à provoquer une empathie profonde envers les personnages.

 

Disparaissant derrière un relief, Subotai provoque la substitution immédiate de la rythmique par la nappe de cordes : c’est l’œil de Conan, en fait, qui guide le développement musical subjectif de la scène. La note semble trop s’étirer… L’apparition de l’ami n’était-elle que la remontée depuis un esprit hallucinant d’un dernier souvenir heureux ? Le retour à l’image de l’archer – et de la mélodie associée – met un terme au suspense. En quelques mesures, le compositeur redonne toute son ampleur orchestrale au thème qui a accompagné la naissance de la fraternité entre le barbare et l’hyrkanien, deux loups solitaires. Mais Conan n’est plus seul. Subotai vient de lui en donner la plus belle des preuves en traversant le désert pour le sauver. Une image de la relation que Basil Poledouris partagea avec John Milius ? On a envie de le croire, car si Conan demeure l’une des compositions pour l’image les plus aimées, c’est sans doute parce que son metteur en scène a eu l’audace d’une confiance aveugle en son ami et compositeur, au point de lui confier, au moins autant qu’à ses acteurs et à sa caméra, le soin de raconter l’épopée intérieure de l’orphelin de Cimmérie. Superbe geste, récompensé au-delà de toute espérance par une composition dépassant depuis plus de 30 ans l’étroitesse de l’écran pour embraser les imaginaires fantastiques et héroïques.

 

Pierre Braillon
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