UNDER SIEGE 2: DARK TERRITORY (1995)
PIÈGE À GRANDE VITESSE
Compositeur : Basil Poledouris
Durée : 74:04 | 28 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande




Le premier Under Siege (Piège en Haute Mer), déjà conçu à l’époque pour capitaliser sur le succès du diptyque Die Hard (Piège de Cristal) et Die Hard 2: Die Harder (58 Minutes pour Vivre), avait entériné les jalons du film en vogue à l’époque. Ceux qui épousaient la règle des trois unités (temps, lieu et action) chère à Nicolas Boileau appliquée au film d’action hollywoodien. Car, oui, sans le savoir, les blockbusters annoncés de l’époque louchaient du côté du système narratif théâtral tel qu’il fut peu à peu clarifié au XVIIème siècle en France et amorcé par un certain William Shakespeare en Grande-Bretagne. Malheureusement, l’aspect tragédie dans ce genre d’entreprise était bien souvent mis de côté (et l’est encore hélas aujourd’hui). Dès lors, il s’agissait bien davantage de reléguer l’héritage des planches au rang de vulgaire pare-vapeur plutôt que d’en transcender l’archétype. Néanmoins, lorsqu’un scénario de ce type tombait dans les mains d’un artisan émérite capable, par son savoir-faire technique et un sens du montage bien pensé (citons, au hasard, John McTiernan par exemple), de tenir en haleine toute une salle de cinéma avec trois bouts de ficelle et un respect pointu de la règle des trois unités susdite, cela pouvait donner naissance à de petites merveilles du genre. Si Under Siege semblait parfois tenir debout (mais s’effondrait malheureusement plus souvent qu’à son tour), sa suite était lancée sur des rails bien trop prévisibles et finit, sans surprise, par sombrer dans les écueils de l’actioner sans saveur.
Sans saveur, comme le jeu de Steven Seagal, qui arborait pourtant dans le premier volet des aventures de Casey Ryback, ex-Navy Seal spécialiste des couteaux de cuisine, une palette d’acteur moins monolithique que dans la suite de sa carrière. Il tombait ici, à grande vitesse, dans le piège du personnage au sang froid excessif ne lui laissant guère d’autres options que celle de toujours froncer les sourcils quelles que soient les péripéties qu’il affronte. Voyez plutôt. Il cherche sa nièce (la jeune Katherine Heigl), qu’il n’a pas vue depuis longtemps, dans la salle d’attente de la gare ferroviaire : froncement de sourcils (vaguement interrogateur). Il la trouve et récupère les billets de train : froncement de sourcils (agacé). Il empêche un porteur de bagages du train d’accoster sa nièce : froncement de sourcils (réprobateur). Il découvre qu’il se trame une drôle de prise d’otages dans le train qui fonce vers L.A. : froncement de sourcils (inquiet). Il se retrouve hors du train et tente d’y remonter au volant d’une voiture : froncement de sourcils (décidé). Il remonte à bord du train et distribue les mandales, droit comme un poteau électrique : froncement de sourcils (vindicatif). Tout de noir vêtu (il était tout en blanc dans le premier film, cuistot oblige), affublé d’un flegme genre « cause toujours, c’est moi le meilleur », frisant la provocation je-m’en-foutiste, notre brave Steven finira par hacher menu le directeur des opérations d’assaut du train et atomisera le cerveau diabolique de la malveillante entreprise (l’exigence d’une rançon stratosphérique pour ne pas utiliser un satellite secret ultra destructeur) dans une punchline grotesque. Malgré ce tombereau de vicissitudes éculées et d’effets scénaristiques qu’on voit arriver à des kilomètres de rails à la ronde, le film ne provoque pas l’ennui attendu. Est-ce étonnant ? Oui et non. Oui car le pitch du film ferait s’endormir un insomniaque endurci, et non car le film est mené par un Geoff Murphy, réalisateur peu inspiré et sans génie, mais efficace, et un compositeur alors au sommet de sa technique pour l’action scoring mêlant moments furieusement épiques et subtilités rythmiques insoupçonnées.
Ce compositeur d’origine grecque, Basil Poledouris, auteur dont le nom est à jamais attaché à celui de Conan The Barbarian (Conan Le Barbare), se paie le luxe ahurissant (qui l’est encore plus si on se réfère à notre époque actuelle pour un film de série B) d’avoir non pas deux, ni trois, mais bien quatre thèmes (ou motifs) développés (sans compter toute une ribambelle de dérivés) ! Le premier, bien évidemment bâti pour souligner les scènes d’action de notre Seagal sans égal, est de ceux qui vous campent un personnage en deux temps, trois mesures : robuste et intraitable, héroïque et gonflé de testostérone. Il fait bien sûr sa première apparition dans le Main Title, après un rapide clin d’œil à la Fanfare For The Common Man de Aaron Copland, et connaitra des variations qui feront vibrer l’amateur de « thème musclé que personne ne peut arrêter » comme dans la deuxième partie de Intruder Discovered, terriblement efficace, et mieux encore dans le dernier tiers du long morceau de bravoure Casey Off The Train, ou le dantesque Hostage Car Shootout où on croirait entendre un ripp-off de Robocop en mode bien vénère. Tout ça est fait pour donner l’impression que ce film est un film d’hommes qui en ont. Des vrai(e)s. A tel point qu’il n’est pas possible de ne pas voir l’obsession phallique du film dès son ouverture représentant le décollage d’une fusée. C’est tellement grossier que ça en devient même embarrassant dans la suite du métrage. Mais chut, n’en dévoilons pas trop… Heureusement, Poledouris, à qui on ne la fait pas si facilement, se prend au jeu de la grandiloquence amenée par le film lui-même, et balance des cuivres bien pêchus à tour de bras et des syncopes rythmiques dans tous les coins, comme pour nous dire « Ok, c’est too much, mais on peut faire encore plus too much, écoutez donc moi ça ! »
Le deuxième thème récurrent (ou plutôt motif) est celui lié à l’espace et au satellite qui plane au-dessus de nos têtes et dont tout le monde (à part le Pentagone, bien sûr) ignore l’existence. Poledouris utilise un idiome classique en la présence d’une figure répétitive et circulaire de huit notes (le plus souvent au synthé) qu’il fait monter et descendre pour créer la sensation de tension et de menace qui ne trouve d’ailleurs pas son point d’apaisement. Ce thème apparait également lorsque le cerveau de l’opération fait tout ce qu’il peut pour rendre crédible la terrible apocalypse qu’il peut provoquer à distance. La tonalité d’ensemble de ce morceau repose sur l’idée qu’il n’y a pas de point de résolution, pas de relâchement, il pourrait durer à l’infini sans l’intervention du compositeur lui-même. C’est ce procédé qui crée le suspense, bien plus que le propos fadement servi par les acteurs, ou même la mise en scène ras des pâquerettes (un comble pour ce genre de scènes d’ailleurs).
Le troisième thème (là aussi, presque plus un motif rythmique qu’autre chose) représente carrément l’ossature du score. Bâti sur un schéma en 5/4, intégré parfois dans un pur 4/4 (avec un brio déconcertant), ce motif de 4 notes répétées donne une impulsion à laquelle il est impossible de résister. L’auditeur averti ne pourra pas s’empêcher de dodeliner de la tête ou de taper du pied. Comme le dit l’une des orchestratrices de la partition, Lolita Ritmanis, le tour de force des compositions de Poledouris réside dans le fait qu’il voulait que chaque section de l’orchestre sente qu’elle joue un rôle primordial et qu’elle n’ait jamais l’impression de ne faire que de l’accompagnement. Au point que la structure rythmique de Poledouris donne le tournis puisqu’il devient, à plusieurs reprises, difficile de distinguer qui joue le motif et qui en joue le contrepoint.
Enfin, Poledouris gratifie la nièce de Casey Ryback et sa relation compliquée avec son oncle d’un thème délicat joué le plus souvent au hautbois. Comparativement au reste des thèmes et motifs employés, il n’aura que peu de place pour se développer mais offre ce qui manque au film : un point d’accroche émotionnel. Car Poledouris, même au sein des productions les plus martiales et guerrières, n’oubliait jamais que le plus important était la mélodie ou le thème. Le film de Geoff Murphy oscille (volontairement ?) toujours entre le film qui se voudrait sérieux et le nanar le plus poussif (situations alambiquées, dialogues indigents, intrigue ultra-convenue). A force de vouloir faire un film d’action sombre (le sous-titre du film annonce quand même la couleur), avec un héros vêtu comme s’il allait à un enterrement (il est d’ailleurs intéressant de remarquer que Ryback, à la fin du film, sur la tombe de son frère, arbore à nouveau l’uniforme blanc), les producteurs voulaient toucher un plus large public que celui de leur cible d’origine. Preuve en est qu’ils ne savaient pas trop bien quelle direction à donner à ce produit : le scénario d’origine fut pas mal modifié pour faire en sorte que le héros du film soit bien Ryback, alors qu’à la base il n’en était rien. Il s’agit donc d’un pur produit de l’opportunisme hollywoodien, (mal) calibré et au final, bien inoffensif. En totale opposition avec l’ambiance musicale de Poledouris qui, comme un Goldsmith, donnait tout ce qu’il pouvait même pour des productions bien médiocres.