L’Âge d’Or de la comédie musicale égyptienne

#2 : Les chanteuses à la voix d'or

Dossiers • Publié le 09/07/2018 par

CHADIA : l’Oiseau du Nil (1931-2017)


Née d’une mère turque et d’un père égyptien, Chadia était une grande chanteuse et une des artistes arabes les plus connues de sa génération. (110 films, 6 feuilletons et de nombreuses chansons). À ses débuts, son air à la fois enfantin, céleste et malicieux représentait parfaitement l’adolescente typique, avec ses caprices, ses doutes et ses passions. Dans les années 50/60, elle a interprété les personnages les plus variés, tant dans des rôles légers et comiques que dans un répertoire plus dramatique, à une moyenne ahurissante de cinq films par an. Actrice de talent qu’une riche filmographie honore, elle se fait surtout une réputation dans les comédies musicales, où elle incarne la jeune fille amoureuse, espiègle et effrontée qui bouscule les traditions, tout en sublimant la féminité, ce qui lui valut le surnom de « la vilaine fille du cinéma égyptien ».

 

Chadia demeure aussi une chanteuse à la voix incomparable, suave et légère, qui fait surtout merveille à ses débuts, dans les chansons composées par Mahmoud el Sherif, comme Les Femmes ne savent pas Mentir (Al Sittat ma ya rafouch Yikdibou – 1954) et Retiens ta Langue (Lisanak Hisanak – 1953), qui comprend un savoureux duo musical avec la chanteuse Souad Mekaoui.

 

Chadia

 

Mais c’est surtout l’excentrique et talentueux Mounir Mourad qui lui écrira ses plus fameux airs : le charmant Son Yana Son, dans L’Étudiant (El Telmiza – 1961) d’Hassan al Imam ; le fantaisiste Alo Alo (Bonjour nous sommes ici), en duo avec Faten Hamama, dans Rendez-Vous avec la Vie (Mawid Maa el Hayah – 1953) ; Voleur de Sommeil, dans Plus fort que l’Amour (Aqwa min al Houb – 1954), et sa charmante guitare hawaïenne ; ou encore le mélancolique In ra Mennek ya Ain (Ô Dieu, de Toi), pour piano et cordes, dans le film d’Henri Barakat Ô mon Amour (Irham Hubbi – 1959). Chadia donne également la réplique à Mounir Mourad, acteur-compositeur fantasque et déchaîné dans Mon Amour et Moi (Ana wa Habibi – 1953), où il donne libre cours à toutes ses extravagances musicales.

 

Avec le chanteur-compositeur Mohamed Fawzi, elle a interprété plusieurs rôles dans des films à chants dont L’Esprit et le Corps (Arrouh wal Jassad – 1948) d’Helmi Rafla et Les Filles d’Eve (Banat Hawaa – 1954) de Niazi Mostafa. En 1954, dans L’Honneur d’une Jeune Fille (Sharaf el Bint), le grand Mohamed Abdelwahab lui écrit la magnifique mélodie Ahebbek (Je t’aime) qu’elle interprète assise sur un piano tournant, au milieu d’un prestigieux plateau empli de danseuses et de musiciens. Mais c’est surtout dans les films de la superstar Abdel Halim Hafez comme L’Idole des Foules (Maaboudat al Jamahir – 1967) qu’elle marquera le cœur du public. Sur le duo musical Haga Ghariba (Un Besoin Étrange), composé par Mounir Mourad, la tendre voix enfantine de Chadia offre en particulier un savoureux contraste avec celle du « rossignol brun ».

 

Chadia et Shoukri Sarhan dans Les Femmes ne savent pas Mentir (1955)

 

Après Abdel Halim Hafez, elle joue avec l’autre phénomène du film musical oriental, Farid al Atrache, dans deux films réalisés par le brillant Youssef Chahine. Deux œuvres de commande assez mineures dans la carrière du cinéaste mais qui contient son lot de pépites musicales, notamment sur le mélo Tu es mon Amour (Anta Habibi – 1957). Une comédie plutôt plaisante où le couple vedette, contraint à un mariage forcé, finit par s’apprivoiser et s’aimer. On trouve notamment dans ce film un superbe plan-séquence nocturne, qui part d’un pianiste pour arriver vers un groupe de musiciens puis finir sur le chanteur interprétant la superbe plainte mélancolique Ahleflak Ma Tesadakshi, au côté de Chadia. Cet excellent titre figure sur le disque des musiques de films d’Al Atrache, Nagham fi Hayati / Enta Habibi, qui comprend également le rayonnant Zeina interprété par Farid et Chadia lors d’une excursion dans le désert.

 

En 1962, on retrouve Chadia dans Le Caire, la Nuit (Al Kaira fi I Layl), un film musical ambitieux, avec un casting haut en couleur mais aux chansons un peu décevantes. Les chanteuses Sabah, Fayza Ahmed, l’actrice Nadia Lotfi, le comique Fouad el Mohandès et la danseuse Nagwa Fouad y interprètent chacun un numéro musical, mais c’est clairement la chanson de Chadia J’ai un Problème, légère et sautillante, écrite par Baligh Hamdi, qui se distingue du lot. Les autres mélodies écrites par Mohamed al Mougui et Ali Ismail se révèlent quand à elles un peu moins prenantes.

 

En dehors du cinéma, le nom de « la Fille du Nil » restera aussi attaché à la révolution égyptienne de 2011 avec sa chanson Ya habibti Ya Massr (Ô, Égypte, ma Chérie), un hymne patriotique, composé par Baligh Hamdi qui a été entonné par des milliers de jeunes Égyptiens sur la place Tahrir (place de l’indépendance) du Caire.

 

Chadia et le compositeur Baligh Hamdi / Pochette du 33 tours de La Mélodie de la Fidélité (1955)

 

Né en 1931, à Shubra au Caire, et décédée en 1993, Baligh Hamdi était le compositeur préféré de Chadia. C’est un artiste égyptien majeur, au style très personnel, ancré à la fois dans la modernité (mélodies courtes et rythmées) et l’héritage traditionnel des chansons fleuves de Riad al Sombati et Zakaria Ahmed. Un genre intermédiaire entre le savant et la variété, qualifié dans les années soixante de « variété classicisante ». Il signe de nombreuses chansons et morceaux de danses pour le cinéma ainsi que pour les grandes vedettes de la musique arabe comme Oum Kalthoum, Sabah, Abdel Halim Hafez et la chanteuse algérienne Warda al Jazairia, avec qui il partagera sa vie.

 

À l’écran, on lui doit notamment l’ambitieuse bande sonore du film Un Soupçon de Peur (Shey Min el Khouf – 1969), d’Hussein Kamal, l’histoire d’un tyran intraitable qui sème la terreur chez les habitants d’un petit village. Et puis il y a la superbe chanson désespérée, Kol Shayaa Rah, interprété par la chanteuse Najat el Sagaghira dans le beau mélodrame Les Bougies Noires (El Shoumou el Sawdaa – 1962) d’Ezzel Dine Zoulfikar, une histoire d’amour contrariée entre une jeune infirmière et un poète devenu aveugle et misogyne à cause d’une rupture sentimentale. D’autres morceaux de Baligh Hamdi sont évoqués au cours de ce dossier, notamment sur le portrait consacré à Abdel Halim Hafez. Pour les amateurs, on conseillera le beau concert-hommage au compositeur, par le groupe Oman Arab Music Band, qui réinterprète quelques-unes de ses plus belles pièces.

 

 

Julien Mazaudier
Les derniers articles par Julien Mazaudier (tout voir)

La rédactionContactMentions légales

Copyright © 2008-2025 UnderScores