Street Fighter (Graeme Revell)

Tout dans les Muscles #22 : Danse avec les Coups

Disques • Publié le 12/05/2023 par

STREET FIGHTER (1994)
STREET FIGHTER
Compositeur :
Graeme Revell
Durée : 53:06 | 21 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

3 out of 5 stars

 

On se demande bien pourquoi le scénariste Steven E. de Souza est allé écrire et réaliser cette adaptation du jeu vidéo Street Fighter II, qui somme toute se résumait à une série de combats en un contre un. A part pour l’argent, les explications ne semblent pas légion. De Souza, scénariste à succès dans les années 80-90, capable du meilleur (Die Hard, Hudson Hawk) comme du pire (Jumpin’ Jack Flash, The Running Man), a fait de cette adaptation poussive une sorte d’affrontement du bien et du mal à la limite du cartoon parodique. Un film militaro-patriotique, qui se voudrait « second degré » et qui rate sa cible constamment. Un exploit. Les scènes d’action sont platement filmées, les dialogues indigents, les traits d’humour ironiques ou décalés, consternants. Un vrai nanar où il faudra finalement attendre les 20 dernières minutes pour que les coups de poing et de tatanes pointent le bout de leur nez (et encore… cela se règle tout de même allègrement via le gros armement).

 

Alors, ce guerrier de la rue (en québécois), de quoi qu’il cause ? Vous allez voir ! (De Souza a du écrire ça en regardant un épisode des Simpsons). En gros, le méchant général Bison (un Raul Julia à l’article de la mort, atteint d’un cancer de l’estomac et qui décèdera d’un AVC avant la sortie du film) a pris en otage une poignée de civils du Shadaloo (un état imaginaire, avec un nom pareil, on s’en serait douté) et exige le paiement de 20 milliards de dollars contre leur libération (y’a pas à dire, ce sont des otages en or !). Mais c’était sans compter sur les forces des « Allied Nations » (sortes de bérets bleus, toute ressemblance avec des casques de la même couleur n’est évidemment pas fortuite), fièrement menées par le colonel Guile (un Jean-Claude Van Damme qui, selon les dires du réalisateur, consommait une grande quantité de poudre blanche pendant le tournage, et vu le jeu de l’acteur, ça ne devait pas être du talc).

 

La journaliste Chun Li (Ming-Na Wen, surtout connue pour ses rôles dans les séries E.R. (Urgences) et Marvel Agents Of S.H.I.E.L.D.) couvre la situation et assiste au meurtre du colonel Guile (quoi ? déjà ?!). Bison, futé, sent que plus personne ne peut l’arrêter. Mais patatras, coup de théâtre ! Guile n’est pas mort (juste groggy par la coke), c’était un coup monté pour que deux gaillard (Ryu et Ken) s’infiltrent dans l’antre du méchant ! Hou que c’est machiavélique… Bon, inutile de s’appesantir car, malheureusement, tout le reste est du même tonneau. Les seconds rôles sont relégués au rang de figurants (avec parfois quelques lignes de dialogues). La pauvre Kylie Minogue, qu’on distingue à peine sous son équipement (sa cartouchière donne l’impression de peser plus lourd qu’elle !), fait ce qu’elle peut pour accrocher la caméra mais De Souza ne semble pas y prêter attention.

 

Heureusement, la partition majoritairement symphonique de l’éclectique Graeme Revell (un compositeur issu de la scène rock et plus précisément du rock industriel – rappelons que, dans sa jeunesse, il faisait de la musique avec des perceuses-visseuses…) sort parfois fièrement la tête hors de l’eau. En est témoin le thème principal, héroïque et martial comme il se doit, dont le meilleur exemple est Showdown In Shadaloo (la dernière minute vous rappellera un certain Alan Silvestri sur Predator). Car, sur cette production, mine de rien, il y avait un peu d’argent (enfin, quand JCVD ne claquait pas tout dans la farine). Revell, aidé notamment de Tim Simonec et Ken Kugler aux orchestrations, est allé enregistrer son score à Londres avec le London Symphony Orchestra, ce qui n’est pas rien, et cela s’entend. La prise de son fait état d’un orchestre assez massif, notamment au niveau des cuivres et des percussions. Ce thème, dopé aux stéroïdes, sera décliné plusieurs fois, souvent plus subtilement qu’il n’y parait, comme dans The Stealth Boat Attack.

 

Ce score aurait pu être finalement assez passe-partout mais, deci-delà, on se délecte de quelques moments inattendus. Comme ce choix de faire s’affronter Ryu et Véga au son de la habanera de Bizet (Habanero – Véga & Ryu), ici réorchestrée avec une certaine emphase. D’autant qu’on peut parier, sans trop prendre de risques, que les combattants en présence n’ont pas grand chose d’ibérique. Autre moment cocasse de la partition : un thème « à la russe » dans Bison’s Troopers Marching Song, complètement second degré (il n’y a bien que dans la musique qu’on trouvera du second degré réussi) dont les paroles, en espéranto, sont écrites par De Souza. On regrette amèrement qu’il ne soit d’ailleurs pas plus long (à peine une minute).

 

Bon, ne nous leurrons pas. Il y a également des moments plus convenus dans ce score, habilement habillés certes, avec quelques influences ethniques (puisque le Shadaloo est vaguement situé en Asie du Sud-Est, avec Chun-Li Enters The Morgue) et des notes de piano soutenues par des cordes tendues et quelques percus légères (signées Mark Zimoski, un collaborateur fréquent de Christopher Young) pour les moments de suspens plus génériques. On en trouve un exemple dans Guile Discovers Blanka, épaulé de manière fort parcimonieuse par quelques chœurs maléfiques, quand JCVD retrouve son copain de régiment transformé, par manipulation génétique, en une (ridicule) abomination, croisement sauvage entre Hulk et Axelle Red.

 

Au rang des moments plus attendus, vous n’échapperez pas à la trompette du discours de motivation des troupes dans Colonel Guile Adresses The Troops, mais celle-ci emboitera vite le pas dans une resucée du thème d’action, façon branle-bas-de-combat bien vénère. Toujours au rayon des passages obligés, le général Bison (avec sa casquette ras-les-yeux et son costume de nazi 2.0) a droit à un motif inquiétant et un chouïa choral. Il faut dire que le pauvre Raul Julia ne fait quand même pas bien peur et le compositeur sent bien qu’il faut l’aider un peu. Mais son motif, lui, envoie du lourd, que ce soit dans General M. Bison ou Game Over (ce morceau fait aussi état d’une reprise du thème principal, bien guerrier, et constitue, malgré sa brièveté, un des highlights du score).

 

Sans être un chef d’œuvre, le score de Graeme Revell frappe là où il faut, soutient l’action avec brio et emphase et se place souvent bien au dessus du niveau du film de De Souza. Ce dernier récidivera d’ailleurs dans l’adaptation video-ludique ratée avec un Tomb Raider: Lara Croft And The Craddle Of Life (Lara Croft et le Berceau de la Vie) de sinistre mémoire, qui restera comme l’un des plus mauvais films de la décennie 2000, pourtant riches en films abétifiants… Heureusement, on dirait bien que depuis quelques temps, De Souza, réalisateur en carton, a fait ses valises.

 

Christophe Maniez
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