Doomsday (Tyler Bates)

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Disques • Publié le 10/02/2023 par

DOOMSDAY (2008)
DOOMSDAY
Compositeur :
Tyler Bates
Durée : 64:10 | 23 pistes
Éditeur : Lakeshore Records

 

4 out of 5 stars

 

Neil Marshall, réalisateur britannique, bien souvent monteur et scénariste de ses propres films, est une sorte de profanateur de sépulture cinématographique : il déterre des sujets archi-rebattus pour les revisiter à sa sauce. Une sauce souvent bien gore, excessive et flippante, non dénuée d’ironie. Ainsi, quand il dépoussière le mythe du loup-garou, cela donne un Dog Soldiers certes un peu amateur, mais supra énervé. Quand il nous attire dans les tréfonds d’un dédale de grottes sans issue, poursuivis par des êtres cauchemardesques qui n’ont pas vu la lumière du jour depuis des centaines d’années, ça donne The Descent, film clausto-horrifique prenant et angoissant. Et quand il veut rendre un digne hommage à John Carpenter, il nous balance en pleine poire un film totalement décomplexé, direct, bas du front, mais furieusement cinématographique. Doomsday, improbable mélange des genres qui fait se croiser le pur film d’angoisse horrifique à la 28 Days Later (28 Jours Plus Tard) avec le cinéma anarchique et irrévérencieux de fin du monde à la Escape From New York (New York 1997) ou le road movie punko-médiéval à la Mad Max.

 

Pour ceux qui n’aurait pas vu ce Doomsday, dans un futur pas si lointain (à l’époque de la sortie), un méchant virus décime la population écossaise au point que le seul moyen entrevu pour arrêter sa progression est de provoquer un large confinement (toute ressemblance avec l’actualité de ces dernières années est fortuite… mais troublante). Le gouvernement va même jusqu’à ériger un immense mur, version 2.0 du mur d’Hadrien, et laisse les contaminés s’éteindre lentement, bien à l’abri dudit mur. Eden Sinclair, rescapée de l’épidémie au service des forces de l’ordre du Royaume-Uni, équipée d’un œil-caméra après avoir perdu le sien dans sa jeunesse, y est envoyée en mission. Accompagnée d’un commando high-tech restreint et de deux monstrueux blindés, la voilà partie à la recherche d’un éventuel antidote afin d’endiguer le virus qui se propage dans la capitale londonienne. Le pitch a de quoi donner le tournis, mais ce serait commettre une erreur que d’en attendre trop. C’est avant tout un film hommage, pas toujours très fin mais efficace.

 

Et c’est exactement ce qu’on retrouve dans la musique de Tyler Bates : des références carpenteriennes à gogo, de l’action où s’entrechoquent des sonorités électro, un bon gros son rock, un orchestre symphonique bien punchy pour les scènes qui le nécessitent et même parfois l’intervention de quelques chœurs pour renforcer le côté apocalyptique du contexte. Pas subtil pour un sou, le script, qui s’évertue à faire s’entrechoquer des mondes aussi antagonistes que le néo-médiéval, l’anarchie punk et la « civilisation moderne », s’accommode donc bien des capacités du compositeur, pas non plus réputé pour être un esthète de la musique de film. Celui-ci s’ingénie donc à faire se télescoper des univers musicaux opposés pour réaliser des tentatives de fusion au forceps. Notre Bates à concours (puisqu’il réussit plus à force de ténacité que par ses dons musicaux propres) donne quand même à l’auditeur de quoi dresser l’oreille dans quelques morceaux où l’on sent qu’il s’amuse beaucoup à parodier ses ainés. Ainsi, dans le dramatique Exodus, nous livre-t-il sa version désespérée de fin du monde, épaulé par un chant plaintif féminin de circonstance non dénué d’atouts, en cherchant toujours le crescendo qui tue, soit par des montées de cordes/cuivres qui présentent le court motif central de quatre notes, soit en développant l’unique thème de la partition, rentre dedans quoiqu’ultra-dramatique et efficace à l’écran. Mais là où Bates fait le plus mouche, c’est lorsqu’il mixe habilement les synthés 80’s avec des inclinaisons que n’auraient pas renié un John Harrison de Day Of The Dead (Le Jour des Morts-Vivants) dans des titres comme Boat ou Block 41. La tension y est maintenue par un rythme répétitif et des samples de percussions qui s’empilent. Le travail sur les sonorités est d’ailleurs assez plaisant et démontre que Tyler Bates a réfléchi un minimum à son approche musicale globale.

 

D’ailleurs, plus on avance dans l’histoire, plus le rapport synthés-orchestre s’inverse pour faire en sorte que les instruments acoustiques soient mieux mis en valeur. Une valeur toutefois assez relative tant on aurait parfois apprécié que l’orchestre, qu’on devine pourtant non réduit à la portion congrue, soit un peu plus mis en avant. C’est notamment le cas lors des séquences plutôt correctement filmées comme celle de l’assaut dans l’hôpital désaffecté (Hospital Battle et ses riffs de guitares agressifs, ses cordes furax, sa batterie rock qui s’emballe et l’intervention de quelques chœurs bien placés, qui donnent une dimension assez juste du piège qui se referme sur nos héros), la fuite vers la gare (Train Escape) ou encore le final en forme de course poursuite durant lequel l’héroïne s’offre le luxe de pousser une magnifique Bentley noire dans ses derniers retranchements (Bentley Escape). Le jusqu’auboutisme de l’entreprise de « casse sans compter » est somme toute assez jubilatoire. Malheureusement, le film de Marshall ne va toutefois pas jusqu’à l’ultime sacrifice, comme s’il ne faisait pas totalement confiance à sa propre vision. Ce qui est dommageable, tant jusqu’ici son esprit rock a déferlé sur certaines images bien noires et sans appel sur les capacités de l’esprit humain à déraper. A force de privilégier l’aspect rock et brutal de sa musique, on pourrait d’ailleurs également reprocher à Bates de donner l’impression de se méfier de l’orchestre. Peut-être était-ce là une demande du réalisateur ou de la production ? Ou peut-être était-ce aussi par volonté propre du compositeur de laisser le récit dans une tonalité sombre qu’il sait mieux retranscrire sans l’orchestre qu’avec. Du reste, la fin du métrage en atteste, puisqu’elle essaie en effet de singer les films où le héros, après avoir réussi sa mission, se transforme en bouton rouge de l’apocalypse. Une apocalypse musicale que, ma foi, Bates, avec ses forces et faiblesses, maitrise correctement.

 

 

Christophe Maniez
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