The Day The Earth Stood Still (Tyler Bates)

The Day The Music Stood Still

Disques • Publié le 22/02/2009 par

The Day The Earth Stood StillTHE DAY THE EARTH STOOD STILL (2008)
LE JOUR OÙ LA TERRE S’ARRÊTA
Compositeur :
Tyler Bates
Durée : 52:57 | 28 pistes
Éditeur : Varèse Sarabande

 

1 out of 5 stars

Succéder à un compositeur de la trempe de Bernard Herrmann sur le remake d’un sujet original qu’il a traité n’est certainement pas chose aisée pour qui que ce soit. Les plus chevronnés s’y casseraient les dents. Des réalisateurs tels que Martin Scorsese (Cape Fear [Les Nerfs à Vif]) ou Gus Van Sant (Psycho [Psychose]) ne s’y sont pas trompés en confiant à des admirateurs d’Herrmann (respectivement Elmer Bernstein et Danny Elfman, excusez du peu) l’adaptation révérencieuse mais néanmoins personnelle des partitions originales, attitude qui est tout autant une marque de respect qu’une manière, en un certain sens, de ne pas tenter le Diable. Dans les deux cas, ce choix plutôt judicieux en fin de compte témoigna de la justesse toujours actuelle des approches du célèbre compositeur.

 

Une tentative similaire a-t-elle un temps été envisagée par le réalisateur Scott Derrickson ? Si tel est le cas, Tyler Bates rapporte lui-même dans un récent entretien accordé à L’Ecran Fantastique que la chose n’était à ses yeux pas envisageable pour la simple (et bonne ?) raison que les thèmes musicaux de Bernard Herrmann pour le film de Robert Wise ne pouvaient de toute façon pas s’adapter à cette nouvelle lecture. Soit.

 

Derrickson et Bates se sont donc entendus pour s’éloigner a priori du modèle existant. Louable décision mais qui en appelle immanquablement une autre : quelle autre approche adopter ? «J’ai voulu me détacher des clichés de la science-fiction» affirme Tyler Bates dans le même entretien, «Malgré la tension et le contexte de l’intrigue, le film reste un drame sur la condition humaine.» Pertinente remarque qui, en toute logique s’imagine-t-on, aurait du prendre valeur de déclaration d’intention… Mais alors… s’est-elle perdue en route ?

 

The Day Paris Stood Still

 

Et d’abord de quels clichés était-il question exactement ? Car aussi surprenant que cela puisse paraître après une telle annonce, c’est à la pelle qu’on les ramasse tout au long de cette nouvelle illustration. Artillerie lourde à portée de main (grand orchestre, chœur et moyens électroniques), le général Bates a en fait choisi la manière fruste en menant de front une guerre totale plutôt que de lancer un soutien furtif et intelligent. Consciencieux dans sa volonté de réitérer des stratégies qui ont pourtant maintes fois prouvé leurs limites, il ne rechigne donc jamais à déployer ses percussions au moindre militaire à l’écran, porte des coups d’assommoir incessants sous forme de crescendos pénibles, brouille l’ouïe de sonorités modernes saturées avant de lâcher ses chœurs en meute pour un final bruyamment cataclysmique. Rien à dire, l’opération « Beaucoup de bruit pour rien » est un succès total. Entre ambiances informes soit disant organiques et esbroufes orchestrales au volume abrutissant, la subtilité (pour autant que le terme puisse avoir un sens ici) se limite à poser une voix féminine éthérée pour un court moment de blancheur (le premier contact). Efficace dites-vous ? Même pas.

 

Il faut d’abord bien se rendre à cette évidence : la voie choisie, celle d’un design avant tout sonore dénué d’accroches mélodiques, est ni plus ni moins celle où s’engouffre de nos jours une large majorité de productions du même type. «Se détacher des clichés» ? A d’autres ! Prévisible de bout en bout, voilà un exemple parfaitement conforme aux bêtes facilités actuelles en matière de partitions pour le cinéma fantastique et de science-fiction à Hollywood, lesquelles érigent en modèle des partitions qui n’offrent jamais ne serait-ce que l’ombre d’une colonne vertébrale ou d’une structure un tant soit peu musicales, et tendent à faire croire que volume sonore rime avec qualité.

 

On cherchera également en vain dans ce que nous assène ici Tyler Bates la fameuse «dimension humaine» suggérée. Heureuse (et involontaire) conséquence de cette promesse non tenue : fatigué par ce qu’on inflige à ses oreilles, le spectateur n’en comprend certainement que mieux la raison pour laquelle la simple et rapide écoute des Variations Goldberg de Jean Sébastien Bach peut instantanément bouleverser Klaatu, l’envoyé extraterrestre interprété par Keanu Reeves ! Quelques grammes de finesse…

 

The Day Roma Stood Still

 

Mais à lire les propos de Tyler Bates, le plus gros malentendu est ailleurs : « Si j’avais dû jouer avec les mêmes couleurs, le même rythme, et sur le même terrain que Bernard Herrmann, il est évident que je n’aurais jamais pu lui arriver à la cheville. » Aveuglé par la clairvoyance de cet ultime aveu, la maladresse du compositeur dans cette situation n’est-elle pas de penser, jusqu’à en être sans doute sincèrement persuadé, de ne pas évoluer dans les mêmes registres que son aîné ? Bernard Herrmann, fort de la conception instrumentale qu’il avait de ses partitions, a en effet souvent fixé pour chaque film une empreinte avant tout sonore : celle du film de Robert Wise était elle-même tout à fait singulière. Cette conception est-elle à ce point éloignée de l’approche actuelle, largement basée sur une certaine idée (même affadie) d’esthétique sonore ? Affirmons-le avec conviction : non.

 

Du reste, qu’est-ce qui pousse Bates à payer son tribut à la partition originale en employant un thérémine, si ce n’est d’une certaine façon pour rejoindre Herrmann sur le fond ? Il n’y a qu’à entendre la manière avec laquelle il traite cet instrument si particulier, pratiquement inaudible de bout en bout de la partition, pour mesurer l’ampleur globale du problème. Car en réalité Herrmann adjoignait systématiquement à son approche instrumentale le geste musical adéquat. C’est ce qui fait aujourd’hui défaut à bien des partitions, et celle-ci ne fait pas exception. Si Bates utilise effectivement l’instrument, jamais pour autant il n’écrit pour lui, préférant le noyer, anonyme, au sein d’une mixture orchestrale et chorale grossière et sans relief.

 

Il faut rester juste : Tyler Bates n’est au fond ni meilleur ni pire que beaucoup de ses collègues, et en aucun responsable de la politique en vigueur à Hollywood en matière de musique, mais il paie ici pour des déclarations hasardeuses destinées à masquer une absence cruelle d’idées. Pour sa défense, reconnaissons-lui une certaine lucidité salvatrice : « Il ne faut pas oublier que, dans (le cas de Bernard Herrmann), on ne parle pas seulement d’une excellente musique de film mais d’une véritable et immense pièce maîtresse qui a marqué l’Histoire des bandes originales… Et il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas avec moi que ça arrivera de nouveau. » Pour l’heure, on ne saurait mieux dire, mais qu’il se rassure : il n’est pas seul…

 

The Day London Stood Still

Florent Groult
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