THE EXPENDABLES 2 (2012)
EXPENDABLES 2 : UNITÉ SPÉCIALE
Compositeur : Brian Tyler
Durée : 56:45 | 14 pistes
Éditeur : Silva Screen Records
En soi, l’idée (ou plutôt le « concept », comme l’on dirait aujourd’hui sur un mode ronflant) n’avait rien de très novateur. Ce n’était pas la première fois, loin de là, que le cinéma rameutait les têtes de gondole d’un genre déterminé, avec l’espoir naïvement cartésien que les côtes d’amour de chacune s’additionneraient pour trouver au box-office d’heureuses répercussions. Qu’on se remémore Jim Kelly, Jim Brown et Fred Williamson, les Démolisseurs (Three The Hard Way) de la blaxploitation, réunis pour contrer les plans machiavéliques (et totalement cinglés !) d’affreux suprémacistes blancs, ou l’orgiaque Ziegfeld Follies, qui orchestrait enfin, entre autres numéros zébrés de strass, la rencontre sans cesse ajournée des monuments Fred Astaire et Gene Kelly. Mais contrairement à ses aînés disparates, The Expendables arrivait très longtemps après la bataille. Le cinéma d’action des 80’s, accro au lever de fonte, tranche-montagne et souverain dans les salles obscures, ne se résume plus en ce troisième millénaire qu’à un monticule de cendres mortes, duquel émergent peut-être un Fast Five ici, un Olympus Has Fallen (La Chute de la Maison-Blanche) là. Mais Stallone, aujourd’hui comme hier, n’en a cure ! Flanqué de moult gros bras, pour la plupart vieillissants comme lui, l’Étalon italien écrivait là un nouveau chapitre, pas le plus passionnant hélas, du compendium de gérontologie débuté par ses soins avec Rocky Balboa.
La musique, par contre, exigeait à toute force du sang neuf. Les (tout) petits maîtres de la châtaigne eighties, les Jay Chattaway, David Michael Frank et autres Gary Chang, étaient depuis beau temps rangés des voitures, tandis que les vénérables orfèvres en la matière, tels que James Horner (on pense en ronronnant de plaisir à Commando, chantre du bodybuilding à lui seul) ou Jerry Goldsmith, avaient quitté ce monde. Le dernier cité, peu après sa mort, fut remplacé pour les besoins du tardif John Rambo par Brian Tyler, promu une bonne fois entertainer bourrin en 2003 avec la partition rentre-dans-le-gras de Timeline (où il succédait au pied levé à… Jerry Goldsmith ! Décidément !) Quoique terne et fort oubliable, le résultat eut manifestement l’heur de taper dans l’oreille de Stallone, qui se souvint deux ans plus tard du compositeur permanenté et confia sa tribu de sacrifiables à ses mâles offices. Des trois opéras de la mitraille qui en découlèrent, le second est sans conteste celui qui s’essaie le plus ouvertement à s’affranchir des diktats « zimmeriens », alors que, paradoxe malvenu, le film bafoue son antique ascendance pour mieux s’accoutrer des guenilles du direct to video moderne. Même si confite dans la hideur blafarde des tournages pour une bouchée de pain au fin fond de l’Europe de l’est, la musique tente vaille que vaille d’oindre les rues lépreuses et les entrepôts de guingois d’un peu de couleurs. Le nuancier, portant ici bien mal son nom, est tapageur et gras. Mais le motif musclé déjà à l’œuvre dans le premier opus, et qui retrouve ici la ligne de front, continue d’évoquer plaisamment le zèle belliqueux de Rambo III.
Chemin faisant, Tyler récupère un autre ancien thème, à peine esquissé celui-là, et le fait craquer de deltoïdes luisants afin de pourvoir ses action men d’une marche façon bulldozer. Le ton est martial jusqu’à plus soif, en lourde synergie avec les Rangers crantées et les faciès couverts de brou de noix. Il y a une telle prolifération de cuivres au mètre carré que même les trépidations électroniques de l’épisode un s’en voient consumées comme peau de chagrin. On ne les pleurera pas, tant leur rôle se cantonnait à celui de grossière doublure pour un orchestre déjà suffisamment ventru. Parce qu’on le sait d’un sérieux papal, infichu de moudre ne fût-ce qu’un zeste d’humour ou d’ironie entre deux remous symphonico-rock (quoique, peut-être en est-ce réellement, durant cette scène de préparatifs guerriers bercée par un surréaliste avatar du refrain de My Heart Will Go On), Brian Tyler est brièvement réduit au silence quand apparaît soudain, septuagénaire grisonnant mais toujours d’aplomb, Chuck Norris himself. La sidération règne d’abord de trouver notre cher moustachu escorté des mythiques glapissements de coyote imaginés par Ennio Morricone pour Il Buono, il Brutto, il Cattivo. Puis le spectateur de se remémorer l’étrange culte, quasi-psychotronique, dont l’acteur est nimbé sur la Toile — et tout devient limpide. Depuis The Expendables 2, le monde ébahi connaît la fable du cobra royal et de Chuck Norris. Qu’on nous permette ici même un nouvel aphorisme chafouin : « Quand Woody Allen écoute trop Wagner, il a envie d’envahir la Pologne. Et quand Greta Thunberg écoute trop Brian Tyler, elle saute dans un SUV et fonce inaugurer une centrale à charbon en Varmie-Mazurie. »