Fuga dal Bronx (Francesco De Masi)

Tout dans les Muscles #7 : Apocalypse Nouille

Disques • Publié le 07/10/2022 par

FUGA DAL BRONX (1983)
LES GUERRIERS DU BRONX 2
Compositeur :
Francesco De Masi
Durée : 75:07 | 59 pistes
Éditeur : Beat Records Company

 

4 out of 5 stars

 

Michael Bay est à la vulgarité ce qu’Enzo Castellari est au kitch post-apocalyptique. Brossé ainsi, le tableau ne serait sans doute pas reluisant pour ce dernier. Pourtant, dans les années 60 et 70, il réalisa quelques polars et westerns tout à fait corrects (7 Winchesters per un Massacro se laisse encore regarder et écouter grâce à la musique de Francesco De Masi, déjà). Mais il restera sans doute à jamais l’auteur d’une sorte de trilogie apocalyptique (au propre comme au figuré) dont Fuga del Bronx est peut-être le fer de lance, inspiré très lointainement par le hit de Carpenter Escape From New York (le titre italien du film peut d’ailleurs se traduire par « Escape From The Bronx »). Le pitch, d’une affligeante banalité, est simplissime : une multinationale (dont on ne saura pas grand-chose) est prête à tout pour éradiquer le quartier du Bronx devenu une vaste zone délabrée (la plupart des scènes y sont réellement tournées sur place), un repère de voyous vaguement punk mais aussi le refuge de braves gens sans le sou, rejetés par le capitalisme fou, afin d’y construire une enclave high-tech réservée à une population aisée. Elle ira jusqu’à engager l’infâme Henry Silva (spécialiste du rôle de vil salopard sans scrupules) à la tête d’une armée d’exterminateurs en costume d’aluminium disco du plus bel effet afin de parvenir à ses fins. Heureusement, la faune locale peut compter sur l’athlète-acteur au regard aussi expressif que celui d’un ange de la téléréalité, le fantas-mutique Mark Gregory, alias Trash, déjà présent dans le premier volet intitulé 1990 : I Guerrieri del Bronx (Les Guerriers du Bronx). Dans cette suite (qui n’en est pas vraiment une), Castellari utilise plus que jamais les ralentis qui l’ont rendu « célèbre », adossés à un montage plus dynamique. Tout le film (ou presque) se résume à une série d’affrontements entre notre héros chevelu et les forces ammoniaques de Silva, équipées de camionnettes type « marchand de glace » passées au garage tuning du coin… La franche poilade peut être poussée à son apogée si, par une envie loufoque, le spectateur visionne cette impérissable œuvre dans sa version doublée en français où Mark Grégory est affublé de la voix d’Alain Dorval (doubleur attitré de Stallone). Le résultat n’en est rien moins que dantesque.

 

Au milieu de ce métrage fauché surnage cependant l’indéfectible professionnalisme du compositeur Francesco De Masi, auteur d’une partition à la fois rock et orchestrale sertie de thèmes dramatico-épiques qui donnent plus d’allant à ce film miteux mais (involontairement) drôle. Il est virtuellement impossible que le compositeur n’ait pas vu le carnage que représente ce film et, malgré tout, probablement aussi parce que Castellari était son ami, il délivre, nonobstant les limitations budgétaires afférentes à ce genre de production, un score dynamique et kitscho-catchy fort divertissant. Sur fond de batterie rock, de riffs de guitares et de la fameuse signature aux timbales (ici, quelque peu modifiée) chère à son auteur, les cordes, épaulées par des notes éparses d’orgue, exposent un thème héroïque plein de panache, pendant que nos exterminateurs sortent les habitants de chez eux à grand coup de tatanes (quand ils ne les crament pas au lance-flammes !). Assez curieusement, un mégaphone leur assure que chacun sera relogé décemment s’ils se rendent sans histoire (sic)…. Le film n’a pas commencé depuis plus de deux minutes que déjà les contradictions apparaissent (à moins qu’il ne s’agisse de la plus mordante des ironies) et les aberrations scénaristiques fleuriront un peu plus loin. Francesco De Masi, lui, semble n’en avoir cure et continue de mettre en musique les séquences (principalement orientées action) avec un aplomb digne d’éloges.

 

Assez incroyablement, aucun morceau ne porte de titre particulier ; chacun étant affublé d’un opus numéroté Escape Sequence… S’il est vrai qu’en Italie, le procédé de ne pas nommer spécifiquement tous les morceaux enregistrés était monnaie courante, il est rare d’assister à pareil catalogue systématisé ! Néanmoins, malgré cet écueil, on ne saurait passer sous silence l’excellent label italien Beat Records, déjà à l’œuvre en 1983 en sortant un LP assez complet, qui nous offrit en 2021 un CD bourré à craquer, reprenant non seulement le contenu du LP d’origine mais y ajoutant le score tel qu’il apparait dans le film. Bien entendu, cela n’exclut pas les redites (déjà que De Masi n’hésitait pas à se répéter, notamment dans les séquences à suspense). Néanmoins, si vous n’êtes pas allergique au côté rock, à quelques effets synthétiques eighties discrets et à une poignée de mesures au saxophone légèrement réverbéré sur quelques morceaux (pour les moments d’introspection du héros en proie au doute, voire au désespoir, tous joués de manière uniforme par un Mark Grégory au regard de nouille trop cuite qui, semble-t-il selon le réalisateur, avait beaucoup de problèmes familiaux à l’époque), la partition de De Masi se montre bien souvent très supérieure à ce que le visuel propose. Si Mark Gregory (Marco de Gregorio de son vrai nom) fit une dizaine de films de série B (si l’on est gentil), il vécut le reste de sa vie en reclus, sans le sou, et mourut dans l’anonymat le plus complet en 2013. Mais il est vénéré aujourd’hui par les amateurs de nanars comme l’un des acteurs les plus emblématiques du cinéma bis italien fauché. Et peut-être que son aura est en partie due à la musique de De Masi, qui écrivit également les musiques de Thunder et Thunder 3 dont il fut la tête (de veau) d’affiche.

 

Christophe Maniez
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