Goliath And The Barbarians (Les Baxter)

Tout dans les Muscles #26 : Mandales en Sandales

Disques • Publié le 14/07/2023 par

GOLIATH AND THE BARBARIANS (1959)
LA TERREUR DES BARBARES
Compositeur :
Les Baxter
Durée : 34:01 | 12 pistes
Éditeur : Intrada

 

4 out of 5 stars

 

Goliath And The Barbarians n’est pas à proprement parler un chef d’œuvre du genre péplumesque, loin s’en faut. Cette coproduction franco-italienne ne brille ni par son originalité, ni par son script (une simple histoire de vengeance et de résistance à l’envahisseur), ni par sa mise en scène (laborieuse). Il s’agit néanmoins d’un film d’aventures divertissant qui comporte, certes, son lot de lieux communs du genre mais qui, par ailleurs, sent bon l’époque des films artisanaux, faits le plus consciencieusement possible et sans cynisme. Le film entre ainsi  parfaitement dans les canons du cinéma italien de ce genre précis qui surfe depuis de nombreuses années déjà sur l’idée de la rentabilité à moindre frais. Mais, à force de surexploitation, ce genre va s’user jusqu’à la dernière corde de son arc. Ni meilleur ni pire qu’une pleine brouette de métrages du genre, ce film ne sortirait guère de la mélasse s’il n’y avait, pour l’amateur de nanars, quelques éléments qui réjouissent l’œil et l’oreille tout autant qu’ils les consternent. Côté ratés, on pourrait aisément charger Carlo Campogalliani, réalisateur incapable de cadrer correctement la moindre scène d’action, se permettant même le luxe de devancer la mode du flou artistique (involontairement, bien entendu). Oui, on pourrait. Mais, à la décharge de l’infortuné metteur en scène, le film connut bien des problèmes indépendants de sa volonté. Le premier d’entre eux étant que, très vite, l’argent vint à manquer. Heureusement, des producteurs charitables américains (oxymore) de la American International Pictures décidèrent, après la vision d’un certain nombre de rushes du film, d’acheter les droits d’exploitation sur le sol américain, ce qui permit de terminer le tournage. Ces braves mécènes avaient en effet une idée pour vendre le film sur le sol de la bannière étoilée : placer, dans le trailer américain des salles obscures, sous le nom de Steve Reeves, le surnom dont ce dernier avait été affublé lorsqu’il participait à des concours de bodybuilding « Mr. Hercules, himself » (Hercule, en personne). Le but était donc d’attirer les spectateurs américains qui ne connaissaient pas encore le nom de cette masse musculaire imposante. Et, ma foi, les producteurs réussirent bien leur coup puisque le film rencontra le succès escompté.

 

Pour l’occasion, sur le sol américain, le film, tourné partiellement en italien, fut redoublé en anglais et la partition musicale de Carlo Innocenzi, pourtant efficace, fut remplacée par celle de Les Baxter. Il faut rappeler qu’entre 1958 et 1959, un mouvement de grève des musiciens de cinéma américain obligeait les sociétés de production à enregistrer la partition du film en Europe (très souvent à Londres). C’est ainsi que Les Baxter se souvint avoir forgé une amitié solide avec un chef d’orchestre dont le nom est souvent lié dans la mémoire béophilique à celui de Bernard Herrmann en la personne de Muir Mathieson. Celui-ci enregistra par ailleurs la partition de Vertigo (Sueurs Froides) hors du sol américain, en 1959, pour les mêmes raisons. Baxter, compositeur d’origine écossaise, comme Mathieson (ce qui dût également consolider leur amitié), avait réussi à faire engager des musiciens du London Symphony Orchestra et du Sinfonia Of London pour constituer une formation qu’il baptisa malicieusement le London Symphonia Orchestra.

 

La partition de Les Baxter pour ce Goliath And The Barbarians n’a rien à envier à celles de plus illustres plumes. On y trouve en effet tout ce qui chatouille agréablement l’oreille dans le genre. Au premier rang desquels, bien entendu, de l’aventure échevelée avec des pièces bien furieuses comme Ride Of The Barbarians (une cavalcade de cuivres, soutenue par un xylophone herrmannien et des cordes en ostinato de deux notes – largement entrecoupé de motifs mélodiques ou rythmiques différents pour ne pas lasser l’oreille – les compositeurs actuels devraient s’en inspirer…) ou Rape Of The Village (où l’ostinato de deux notes dont, peut-être, John Williams s’est inspiré pour le requin de Jaws pointe à nouveau le bout de son nez). Ici, des altos et violoncelles, épaulés par un tambourin alerte et des cuivres fiers, se battent contre des bois et des violons hystériques avant qu’un motif tourbillonnant (du plus bel effet) ne vienne sonner l’alarme auprès de Goliath. Les tonalités plus sombres et staccatos herrmanniens de Barbarian Games apparaissent plus clairement au gré d’interventions pianistiques lugubres et de clins d’œil évidents à Miklós Rózsa. Voilà qui fait vraiment figure de fort bel ouvrage ! Le score n’est pas non plus en reste dans le registre de l’étrange et du suspense avec Night Attack Of The Stranger où des cordes tendues, à peine audibles, sont entrecoupées d’interventions mystérieuses d’un low piano (il s’agit d’un morceau qui évoque habilement l’intrusion du héros zigouillant les barbares dans la noirceur de la nuit).

 

Mais il serait injuste de cantonner la musique de Les Baxter à ces francs coups de collier. Car le compositeur est aussi capable d’une plus grande subtilité. En atteste le sublime et léger Landa (Love Theme) où le hautbois, délicat, présente le thème d’amour, vite soutenu par le thème de Goliath aux cordes, comme si, déjà, par la musique, le spectateur était amené à comprendre que la frêle Giulia Rubini aura bien du mal à exister, seule, face à la fougueuse Chelo Alonso ! Cela rappelle bien évidemment le procédé classique des péplums italiens mise en musique par Francesco De Masi et tant d’autres, mais dans une tonalité plus herrmannienne. Donc, de la romance, il y en a. Mais que serait la romance, dans ce genre très codifié, sans une touche d’exotisme ? Cet aspect suave, Les Baxter nous l’apporte par le biais de quelques danses hypnotisantes. Car le meilleur des atouts de ce film n’est pas forcément à aller chercher dans la largeur d’épaules d’un Steve Reeves taillé dans le tronc d’un séquoia. Les courbes et le tempérament volcanique de la sculpturale Chelo Alonso vous envouteront à coups sûrs. L’actrice mena d’ailleurs la vie dure au réalisateur qui lui en demandait toujours plus dans le registre du charme aguicheur et, à la fin d’une prise, excédée, elle ira vers lui, le giflant, en lui disant « Et maintenant, c’est mieux ? » C’est ainsi qu’elle s’adonne à des pas de danses fiévreux lors de morceaux comme Fire Dance, illustrant une certaine idée de la sensualité, accompagnée de tout le décorum musical habituel (tintement cristallin des tingsha, harpe, flûte et timbales). Ce morceau, et d’autres du même acabit, dérive vite vers l’envoutement diabolique avec son chœur féminin haut perché. Certaines danses acquièrent même, par la musique du compositeur et la gestuelle de Chelo Alonso, un caractère presque animal, captant les mouvements dangereux de la danseuse sur un rythme non linéaire (en maniant un glaive que Conan lui-même aurait bien du mal à soulever, mais passons sur ce détail). Enfin, au chapitre essentiel des marches péplumesques, on aurait tort de ne pas citer l’excellent morceau March Of Victory avec sa reprise du thème de Goliath d’abord aux cordes altières, puis par les cuivres, sous forme de marche triomphante, sur laquelle les cordes et les bois s’envolent en trilles vigoureuses, avant que tout ceci n’explose dans un crescendo thématique old school qui ne laisse aucune ambigüité quant à la personnalité du vainqueur des barbares en fuite.

 

L’album sorti chez Varèse en LP en 1979, repris par Intrada en CD en 2014, ne saurait être assez recommandé tant il s’agit là d’un bel exemple de l’artisanat hollywoodien au service d’un genre certes daté aujourd’hui, mais qui permet de faire l’éloge d’un compositeur hélas trop connu pour ses musiques easy listening et ses partitions pour film d’horreur à petit budget, qui ne manquent pas d’intérêt, convenons-en, mais qui peinent à se hisser au niveau de ce bel exemple de panache et de charme qu’est Goliath And The Barbarians.

 

 

Christophe Maniez
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