Francesco De Masi (1930-2005)

Une autre histoire de l'Ouest (2/2)

Disques • Publié le 15/04/2016 par

L’ANNÉE DES CHIFFRES : 7 WINCHESTERS, 1 MASSACRE, 15 POTENCES ET 1 SALOPARD…


En 1967, trois films majeurs dans la carrière de De Masi vont voir le jour. A tout seigneur tout honneur, celui qui marquera le plus les esprits est Sette Winchesters per un Massacro (7 Winchesters pour un Massacre). En introduction, l’auditeur est happé par une ligne de basse faite de croches (figure 14) qui sert de socle au thème principal, et qui sera répétée encore et encore. Une fois de plus, apparait alors une mélodie mémorable (figure 15) avec, de l’arrière-plan au devant de la scène, des fioritures pour cordes déchainées. Le thème est réellement superbe et reste longtemps dans la tête du mélomane. Tout l’art de De Masi est ici condensé en une ligne mélodique à la fois simple, fluide et musclée.

 

Le thème est décliné abondamment, passant de l’aventure (cf. le générique ou la traversée du Rio Grande) au suspens (The Men Without A Home et cette guitare sur tremolos de cordes mystérieuses) avec un sens de la narration imparable. La chanson tirée de cette mélodie est signée du duo De Masi / Alessandroni avec (comme pour Arizona Colt) Audrey Nohra aux paroles et est interprétée par l’inévitable Raoul. Dire qu’ici la voix de Raoul, gonflée de testostérone, possède des flingues de concours n’est pas exagéré. Le jeu à l’harmonica est là aussi, du souffle du vieux compagnon Franco de Gemini. Si la bande originale ne proposait que cette admirable mélodie, cela serait déjà un beau cadeau mais De Masi, compositeur aussi habile que généreux, écrit un second thème (pour la scène du cimetière indien) dédié à la trompette (figure 16). La trompette est d’ailleurs ici souvent utilisée pour identifier la bande d’ex-Sudistes devenus mercenaires et pillards sous la houlette du colonel Blake, un confédéré avide de trésors. Il faut noter toutefois que si la musique sur disque apparait en mono (l’enregistrement stéréo n’était pas à l’époque monnaie courante dans le cinéma de genre italien), elle est néanmoins tout à fait claire et précise (on est très proche de la qualité sonore de la musique des Sept Mercenaires sortie chez Ryko).

 

15 Forche per un Assassino

 

Le compositeur italien poursuit son exploration des chiffres avec la sortie, la même année, de 15 Forche per un Assassino (15 Potences pour un Salopard). En ouverture, De Masi compose un thème (figure 17) aux cuivres qui sera repris à la guitare électrique et qui contient la fameuse signature du motif des timbales (voir figure 1). La majorité du score tourne autour des moments de suspense avec tremolos de cordes, basse électrique et clarinette basse. L’auditeur est moins dans la jubilation immédiate de Sette Winchesters per un Massacro, et De Masi nous fait découvrir ici une autre facette de son talent, celle de la musique d’attente et de suspense. Au milieu de cette atmosphère un peu lourde se dégage un second thème simple mais très beau à la guitare sèche qui sera repris à l’harmonica (figure 18) et dont la guitare donnera une variante un peu plus loin dans le déroulement de la partition. Le disque se conclut sur une note festive avec une musique mexicaine entonnant une ritournelle endiablée, délaissant la construction sombre de cette partition qui sait se distinguer du tout venant de l’époque.

 

Enfin, notre Francesco signe une troisième œuvre d’importance en cette année 1967 : Vado l’Ammazzo e Torno (La Mort en Retour), également connu en France sous le titre « Je vais, je tire et je reviens. » Il s’agit d’une très intéressante partition, très variée et qui s’ouvre sur un thème principal au cor anglais (figure 19) très mobile, épaulé par une petite formation chorale. La teneur d’ensemble est désabusée et colle parfaitement au sujet : un chasseur de prime est témoin d’une attaque de train perpétrée par un bandit mexicain qu’il veut arrêter. Il décide de faire équipe avec lui, sentant qu’il y a plus d’argent à gagner avec lui qu’en le capturant et le livrant à la justice… La seconde piste de l’album nous dévoile une mélodie à la guitare classique, très simple mais très belle, avec une pointe de nostalgie (figure 20). Le reste du score, guitare sèche et trompette à l’appui, donne beaucoup dans la couleur locale mexicaine, mais cela est fait avec une telle classe qu’on dépasse à bien des égards le cliché musical. La chanson Stranger qui est tirée de cette partition est écrite à quatre mains, De Masi étant allé trouver son complice Alessandroni et l’inusable Raoul (figure 21) pour l’interpréter.

 

Vado l'Ammazzo e Torno

 

L’IMAGINATION AU POUVOIR CONTRE LES CADENCES INFERNALES


Alors que les étudiants italiens occupent l’Université de Rome, en ce début de 1968, sort sur les écrans Ringo, il Cavaliere Solitario (Ringo le Vengeur). La partition de De Masi, plutôt courte, est auréolée d’un thème principal à la trompette absolument sublime (figure 22). Le Maestro s’amuse encore un peu avec les codes musicaux du western (et ses propres codes avec notamment la signature des timbales, voir figure 1) en offrant à l’harmonica la possibilité de faire un rappel des dernières notes de la phrase musicale (en insérant simplement un do supplémentaire qui fait ici toute la différence). Le procédé n’est pas révolutionnaire mais son efficacité est indubitable ! Ce thème n’apparait que peu dans le reste de la partition, parsemée de pistes bucoliques (sublime utilisation du pupitre des vents dans le second morceau du disque) et de pièces à suspense plus anecdotiques. La teneur globale du score est à l’image du film, trouble si ce n’est vaporeuse.

 

Les cadences de tournage des westerns italiens deviennent peu à peu infernales et les productions sont légion. Et ce n’est que deux mois plus tard que sort …E Venne il Tempo di Uccidere (La Loi des Colts). La tonalité du score de De Masi n’est pas à proprement parler remarquable, mais la veine mélodique du bonhomme semble quasi inépuisable. En effet, le thème composé est encore une fois une merveille, toujours dans la tradition De Masienne : simplicité et efficacité. La chanson (interprétée par un Raoul à la voix toujours plus caverneuse) qui en est tirée est aisément mémorisable (figure 23).

 

Quelques mois plus tard, le Maestro italien accepte de mettre en musique Quanto Costa Morire (Le Prix de la Mort) pour Sergio Merolle, avec lequel il est très ami. Le compositeur se met à la tâche malgré une année riche en projets (plus de cinq westerns cette année-là !) et en émotions (avec la naissance de Filippo, son fils unique). Le film se déroule dans une atmosphère hivernale, tourné en partie sous la neige, avec un casting européen (notre Raymond Pellegrin y joue le rôle du shérif !). Une fois n’est pas coutume, le disque ne s’ouvre pas sur le thème principal mais sur un bref air enjoué d’harmonica. Le thème, qui sera décliné tout au long du score sous de multiples formes (romance, drame, aventure…), n’apparait qu’à partir de la piste suivante (figure 24) sous la forme d’une chanson (Who Is The Man?) interprétée par l’inusable voix rauque de Raoul.

 

Sartana Non Perdona

 

Ce dernier ne sera pas choisi pour chanter la chanson titre du projet suivant, Sartana Non Perdona. Le soin en est en effet confié à Franco Morselli, dont les accointances vocales avec le sieur Raoul ne sont pas qu’une vue de l’esprit ! Cette chanson, Maybe Somewhere Maybe Somebody, revêt une certaine tonalité nostalgique (figure 25) et est reprise sous divers aspects tout au long du score, tantôt de manière mystérieuse et pleine de suspens (magnifiques glissandi de harpe et pizzicati de cordes), tantôt de manière plus feutrée (jolies interventions de la flûte traversière). L’instrumentation dénote quelque peu avec notamment l’apparition d’une voix féminine produisant une charmante et charmeuse vocalise, l’utilisation d’un clavecin (dans une version instrumentale du thème de toute beauté), d’un orgue (dans le titre Ecce Homo) et d’une guitare électrique (dans Senza Sosta). De Masi nous fait cadeau d’une autre chanson basée sur un des autres motifs de la partition, interprétée en italien par Vania, et le disque se conclut finalement par une reprise de la chanson phare (mais cette fois en italien).

 

Le compositeur termine son incroyable année avec une autre petite merveille : Ammazzali Tutti e Torna Solo (Tuez-les Tous et Revenez Seul) qui fait état des deux versions de la superbe chanson tirée du thème principal (figure 26). Ce thème, admirablement peaufiné malgré des délais de plus en plus courts, écrase la partition de son imposante stature. Il est aussi à l’origine d’un magnifique contrepoint de cordes typique du compositeur. Le chanteur Raoul fait son retour avec une version interprétée en italien intitulée Come Mai et une autre en anglais : Gold. Et tout est dit dans ce simple mot : il s’agit de s’attaquer à une réserve d’or, et le scénario, droit dans ses bottes, ne s’écartera jamais du butin convoité. Chuck Connors y tient le rôle d’un chef de bande qui impose le respect avec sa trogne si caractéristique. La partition est dominée par les percussions (woodblock, marimbas, tambourin, caisse claire, timbales, percussions africaines…). Les chœurs de la chorale italienne I Cantori Moderni font une intervention aussi brève que soudaine dans le fantomatique et troublant Ruthlessly, chantant un étrange motif (Mi – Mi bémol – Ré). Mais le tour de force de cette musique réside bien dans son thème, absolument entêtant. Une fois entrée dans vos oreilles et votre cerveau, il y a fort à parier que cette mélodie ne puisse plus vous lâcher !

 

Ammazzali Tutti E Torna Solo

 

LE DÉCLIN DU WESTERN SPAGHETTI


Francesco De Masi continuera à travailler dans le western italien pendant les premières années de la décennie suivante, mais le rythme des productions a considérablement baissé (à la différence du giallo qui prend son réel envol au début des années 70) à tel point qu’on ne notera que deux contributions dignes d’intérêt. La première, La Sfida dei Mackenna (Le Défi des Mackenna), sort sur les écrans au tout début de l’année 1970. Le thème principal (figure 27) est d’abord exposé à la trompette sur fond de cordes tourbillonnantes. Le succès des westerns italiens est en berne depuis quelques temps, à mesure que le genre s’essouffle et peine à se renouveler. Les scénarios tournent en rond et la qualité des productions s’en ressent. Les budgets s’étiolent et, par voie de conséquence, celui alloué aux musiques de film marque le pas. La section de cordes est moins imposante, tout comme l’est celle des cuivres. De Masi revient à ses débuts pour palier cette difficulté de contingence : le piano refait son apparition dans son registre le plus grave pour marquer le suspense, allié à la harpe dans certains moments de tension. Western spaghetti oblige, le compositeur continue d’incorporer la guitare électrique et la basse.

 

La seconde contribution de De Masi en cette fin d’année 1970 est pour le film C’e Sartana… Vendi la Pistola e Compratti la Bara ! (Django Arrive, Préparez vos Cercueils). On serait tenté de dire que plus le titre est long, moins bon est le scenario et plus le budget musique est faible ! Mais Francesco s’en sort haut la main malgré les limitations. Le disque s’ouvre sur un thème joué à l’harmonica par le complice de toujours, Franco De Gemini, puis à la trompette sur un motif de guitare acoustique. Le score emploie beaucoup de percussions variées au détriment de la taille de l’orchestre. On trouve néanmoins quelques idées intéressantes, comme l’utilisation d’une guitare hispanisante ou le jeu à l’orgue Hammond. Comme pour dire adieu à un genre qu’il a si bien mis en musique, le compositeur italien nous livre, pour la fin du film, un nouveau et dernier thème, très accrocheur qui aurait pu servir de générique de début tant il est remarquable de simplicité (figure 28).

 

C’e Sartana… Vendi la Pistola e Compratti la Bara !

 

Francesco De Masi, on le voit, a marqué de son empreinte le western italien. Son nom mériterait d’être aussi connu que celui de Morricone. Il lui a sans doute manqué un brin de réussite dans le choix des films qu’il a mis en musique, là où le géant Morricone a su bénéficier d’une trilogie Leonienne ayant eu le plus grand des succès. Mais la musique de De Masi ne démérite pas, même si elle joue parfois d’un copier/coller de son maître Ennio. Et à ce titre, terminons ce voyage à travers ce qui restera probablement comme l’une de ses meilleures musiques pour le cinéma : Lone Wolf McQuade (Oeil pour Oeil). Si le film n’est pas à proprement parler un western, il en utilise presque tous les codes (unité de temps, de lieu – le désert, duel final qui ne met pas à l’honneur les flingues des protagonistes Chuck Norris et David Carradine mais plutôt leurs coups de tatanes dans la tête). Ce film de 1983 permet au compositeur de créer un de ses plus beaux thèmes (figure 29), longue mélodie un rien désenchantée qui marque l’auditeur également pour son rapprochement avec un thème de Once Upon A Time In The West (Il Etait Une Fois dans l’Ouest). Certes, ce ne sont que quelques notes qui s’enchainent rapidement, mais la paternité du motif est bien à aller chercher du côté de Morricone (figure 30). L’ensemble de la partition de Lone Wolf McQuade baigne dans une étrange nostalgie, notamment grâce à une superbe et douce mélodie écrite pour évoquer les sentiments qui se développent entre Chuck Norris et la superbe Barbara Carrera.

 

Si Francesco De Masi reste tout de même, malgré – ou peut-être à cause de – son goût pour le pastiche, un maitre orfèvre de la musique italienne (voir son sublime Concerto per Pistola et son « hommage » au premier concerto de Tchaïkovski), il est aussi un de ceux qui vous font aimer la musique de film, et en particulier celle du western transalpin. Bravo Maestro !

 

Lone Wolf McQuade

Christophe Maniez
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