HANNIBAL (2001)
HANNIBAL
Compositeur : Hans Zimmer
Durée : 54:07 | 12 pistes
Éditeur : Decca Records
Ridley Scott, après avoir permis à Goldsmith et à Vangelis de composer certaines de leurs meilleures partitions, a cependant jeté son dévolu sur Hans Zimmer, dont il dit apprécier par-dessus tout l’éclectisme, pour en faire son compositeur de prédilection. Les deux hommes ont travaillé ensemble sur pas moins de six films et le metteur en scène ne jure plus que par le «son» Remote Control depuis une vingtaine d’années. Après le succès colossal de Gladiator, il était donc tout naturel de confier Hannibal à Zimmer, ce qui donnera au compositeur l’occasion de livrer l’un de ses scores les plus inattendus et fascinants après The Thin Red Line (La Ligne Rouge).
Devenu depuis le milieu des années 90 le directeur d’un studio tentaculaire spécialisé dans la production en chaîne de musiques de films standardisées, le compositeur a réuni tous les talents qu’il estimait nécessaires et a de nouveau permis l’éclosion d’un gigantesque travail d’équipe comme il en a le secret. La bande originale de Hannibal, totalement foutraque en apparence, est un exemple typique de ce chaos organisé. Jugez plutôt : la musique est dite composée par Hans Zimmer, mais la moitié de ce qu’on entend dans le film et sur l’album est due à Johann Sebastian Bach, Johann Strauss II, Klaus Badelt (qui a également œuvré sur Gladiator et composé une bonne partie de The Pledge), Martin Tillman (qui collaborera aux deux opus de The Ring), Mel Wesson et enfin Patrick Cassidy (qui travaillera plusieurs fois avec la nouvelle égérie de Zimmer, Lisa Gerrard, notamment sur Salem’s Lot). Jim Dooley, Steve Jablonsky et Geoff Zanelli sont chargés des arrangements additionnels tandis que tous les noms des MediaVenturiens les plus connus se retrouvent dans les credits de l’album, sans oublier celui de James Newton Howard. Avec tout cela, il est miraculeux que le compositeur soit parvenu à maintenir une quelconque unité d’ensemble !
Passons rapidement sur les morceaux classiques : on sait depuis le film précédent qu’Hannibal Lecter est un amateur de Bach mais aussi d’opéra, ce qui explique que Patrick Cassidy, à la formation classique bien plus poussée que celle de Zimmer, soit allé jusqu’à écrire un livret complet dont Ridley Scott ne retiendra que quatre minutes, magnifiques, illustrant la mise en scène de Dante’s La Vita Nuova à laquelle assistent Hannibal Lecter et l’inspecteur Pazzi. Quant à Johann Strauss II, son Blue Danube est pastiché de façon savoureuse par Klaus Badelt dans Gourmet Valse Tartare. À l’instar de Danny Elfman pour Batman, le compositeur imite la forme classique pour la déformer peu à peu et lui donner finalement un aspect grotesque et malsain. Lorsqu’on sait que cette valse accompagne le dîner des sangliers voulu par le monstrueux Mason Verger, l’idée se révèle excellente ! Passons aussi rapidement sur les morceaux d’angoisse, souvent très brefs et uniquement destinés à faire sursauter le spectateur. Quasiment absents de l’album mais relativement fréquents dans le film, ils consistent en de courtes séquences synthétiques dissonantes faites de lacérations de cordes grinçantes et de chœurs samplés qui vont crescendo jusqu’au hurlement. Des morceaux comme The Capponi Library, For A Small Stipend et Firenze Di Notte – ce dernier ajoutant quelques rythmes synthétiques hors de propos – s’avèrent alors purement fonctionnels et fort peu intéressants. Malgré ses quelques succès dans le domaine du thriller tels Pacific Heights (Fenêtre sur Pacifique) et The Fan (Le Fan), il est évident que le genre horrifique n’a pas la prédilection du compositeur teuton.
Pour accéder au véritable cœur de la composition, il faut se concentrer sur les quelques pistes centrales qui éclipsent tout le reste : Dear Clarice, Avarice, Virtue, Let My Home Be My Gallows, The Burning Heart et To Every Captive Soul, dans lesquels on reconnaît parfaitement le style de Zimmer, certes autodidacte et souvent critiqué pour cela mais aussi mélodiste au talent indéniable. Suite à ses bouleversants travaux pour Terrence Malick et Steven Spielberg (producteur du documentaire The Last Days), Zimmer nous offre ici de purs morceaux de bravoure prouvant qu’il s’est tout de même taillé la part du lion. Longs adagios langoureux confiés principalement aux cordes, souvent graves et sombres, accompagnées par des clochettes et un piano mystérieux mais aussi par des chœurs à forte consonance liturgique, ces passages à la fois séduisants et intrigants illustrent la quête éperdue de Clarice Sterling, quête qui lui révélera les sentiments ambigus qui l’unissent au tueur.
Si elle peut surprendre au premier abord, la tonalité religieuse très prononcée qu’affectionne le compositeur, constatée depuis Broken Arrow jusqu’à The Prince Of Egypt (Le Prince d’Egypte), s’avère en fait tout à fait appropriée au sujet, à savoir l’amour d’Hannibal Lecter pour l’art et la beauté classiques. La passion atteint son comble dans To Every Captive Soul, hommage à peine dissimulé aux adagios des symphonies de Gustav Mahler (lui aussi remercié dans les crédits), magnifiquement écrit et transcendant les images. Au final, la musique d’Hans Zimmer pour Hannibal, annonçant la réussite que sera plus tard celle de The DaVinci Code, fait du film de Ridley Scott une véritable œuvre d’art, beaucoup plus riche et cohérente qu’il n’y paraît.