The Dark Knight Rises (Hans Zimmer)

Batdance !

Disques • Publié le 31/08/2012 par

The Dark Knight RisesTHE DARK KNIGHT RISES (2012)
THE DARK KNIGHT RISES
Compositeur :
Hans Zimmer
Durée : 51:20 | 15 pistes
Éditeur : Sony Classical

 

3.5 out of 5 stars

« Tu te bats comme un jeune homme, tu donnes tout à chaque coup, sans t’économiser », ironise Bane pendant qu’il martyrise le Chevalier Noir. On a bien envie de dire la même chose à Hans Zimmer, tant sa musique pour The Dark Knight Rises dégage une énergie et une brutalité phénoménales. Hormis quelques passages atmosphériques se laissant aller à la mélancolie, la rythmique omniprésente ne faiblit jamais, pour atteindre parfois des sommets percussifs assourdissants.

 

C’est que le musicien a les mains libres. James Newton Howard a décliné l’invitation, peu désireux de tenir la chandelle entre un Zimmer et un Christopher Nolan dont les rapports seraient devenus trop fusionnels. Le cinéaste en témoigne ironiquement dans le livret de l’album, remerciant le compositeur pour l’apport qu’il juge le plus précieux : c’est Zimmer qui a suggéré qu’un jeune garçon chante l’hymne américain lors de la scène spectaculaire au stade de football américain. C’est donc sans composer une seule note – c’est Nolan qui le souligne – que le compositeur aura été le plus précieux. Les détracteurs de Zimmer apprécieront. Pour piquante qu’elle soit, l’anecdote est sans doute révélatrice de la nature du travail du compositeur : participer à l’élaboration de l’expérience sonore du film et accessoirement, organiser la création de sa bande originale.

 

Soutenu par le réalisateur, Zimmer peut se payer le luxe de ses intuitions. Il obtient d’enregistrer des sessions non préparées avec un ensemble symphonique pendant deux jours, quitte, annonce-t-il à Nolan, à ce qu’il n’en sorte rien. Mais à l’issue des séances, le compositeur est très excité par ses trouvailles, et pense avoir de quoi bâtir le matériel nécessaire au film. Ces idées, finalement résumées en une longue suite, vont servir de boîte à outil dans laquelle sont invités à puiser les musiciens en charge du score proprement dit. L’approche générale pour cette séquelle est assez banale : les personnages récurrents sont accompagnés des musiques auxquelles on les a identifiés dans les épisodes précédents, et les compositions complètement inédites sont associées aux nouveaux personnages. En l’occurrence Selina Kyle, la voleuse surnommée Catwoman, et Bane, le terroriste brutal et mystérieux.

 

The Dark Knight Rises : Batman

 

Le thème de la croqueuse de diamants (Mind If I Cut In?) est parfait. Comme souvent chez Zimmer, la rythmique est essentielle : ici, un battement régulier évoquant irrésistiblement le son produit par une petite colonne de pièces empilées qu’on soupèse. Difficile d’imaginer une image sonore plus réussie d’un personnage qui, outre son goût de l’argent facile, passera le film à soupeser la valeur de ses choix : elle ne prendra pas une décision avant d’en évaluer les conséquences pour son intérêt personnel. Sur cette pulsation vient déambuler une ribambelle de notes au piano qui, tout en nous assurant de l’élégance de Selina Kyle, sonnent comme la promenade de pattes félines sur le clavier. Pour finir, des cordes se glissent sous le piano en ostinati ascendants, et c’est Catwoman qui escalade les parois des riches immeubles de l’élite de Gotham. Avec son vocabulaire musical simplissime, la femme-chat n’en hérite pas moins d’un thème qui dessine immédiatement sa silhouette derrière les oreilles de l’auditeur.

 

Le massif Bane se résume lui aussi à une idée rythmique correspondant à la suite de mots scandés quand le thème apparaît sous sa forme chantée. On sait que pour obtenir les voix, Zimmer a travaillé à partir d’enregistrements sollicités via internet. Sourions tout de même à l’habileté et même l’élégance du geste, qui fait écho à l’ambiguïté du chant dans le film. En effet, on finit par découvrir qu’il s’agit d’une litanie d’encouragement, effectivement entonnée par des anonymes prisonniers d’un puits infernal au fond du désert. Le chant est adressé non pas à Bane, mais à Talia Al’ Ghul, et aussi au héros, Bruce Wayne, et plus généralement, à tous ceux qui tentent l’ascension mortelle hors de leur geôle. En recrutant ses choristes parmi son public, Zimmer, non sans malice, incarne dans le procédé même de fabrication de sa musique le personnage qu’elle doit accompagner : Bane, c’est ce formidable meneur d’homme pour qui l’on est prêt à mourir (qu’on se rassure, le compositeur n’en demandait pas tant !), pourvu qu’on ai pu participer à son projet.

 

Ce chant apparaît dans toute sa force dès la troisième plage du disque, Gotham Reckoning. Tendu de bout en bout par la pulsation associée tout le long du disque à Bane, mais aussi au thème de l’ascension traversant tout le film, le morceau monte comme une vague irrésistible jusqu’à ce que les voix éclatent. Difficile de ne pas se sentir galvanisé par le mouvement (révolution?) qui s’en dégage. Comme le thème de Catwoman, celui du fléau de Gotham est une image sonore parfaite du personnage.

 

The Dark Knight Rises : Catwoman

 

Et pour ces deux personnages, la signature rythmique des thèmes est si identifiable qu’il suffit à Zimmer de la citer brièvement pour les faire apparaître. En quelques tintements, Catwoman s’invite dans Nothing Out There et il suffit d’une intrusion de l’ascension caractérisant Bane dans Imagine The Fire ou Fear Will Find You pour matérialiser la capacité du terroriste à atteindre son adversaire ou qu’il soit, quand il le veut.

 

Pour le reste des morceaux, Zimmer revisite les compositions des opus précédents. S’il a, à d’autres occasions, gravé sur les albums de ses scores d’abominables remixes, ou étiré à n’en plus pouvoir des kilomètres d’ostinati violoneux et de coups de cuivres pompiers, ici, c’est à un travail de réorchestration parfois subtil et de glissements sonores travaillés que sont soumis les mélodies connues. Le fameux thème à deux notes associé à Batman est par exemple ici décliné selon l’état du héros. On l’entend, étouffé et plus aigu qu’à l’accoutumée, dans la brève ouverture du film On Thin Ice, puis il est augmenté de quelques notes dans The Fire Rises, comme si une autre vie était possible pour celui qui ne veut plus être le chevalier de Gotham, et il faut attendre la fin de Despair, au milieu du disque, pour que Zimmer cite enfin le leitmotiv, légèrement ralenti, dans toute sa majesté. Le musicien va même jouer sur des inversions de ces deux notes, comme dans The Fire Rises. Une façon de désigner Bane comme le double négatif de Batman ?

 

Il serait fastidieux d’énumérer toutes les déclinaisons auxquelles Zimmer recourt pour accompagner les différentes péripéties du récit. A l’écran, le résultat, mélangé aux effets sonores, peut paraître assourdissant et répétitif. Mais l’album, très incomplet si l’on en juge par la quantité de matériel inédit accessible en pièces détachées au gré des diverses plate-formes de téléchargement existantes, est néanmoins soigné. L’introduction, A Storm Is Coming, pure virgule d’ambiance sonore, est reprise au deux tiers du disque, Death By Exile, avant que le feu d’artifice final ne soit lancé. L’inclusion de ces deux passages d’une trentaine de secondes témoigne de la volonté de fabriquer pour l’auditeur du disque une expérience sonore véritablement narrative.

 

The Dark Knight Rises : Bane

 

Les trois dernières pistes sont une apothéose musicale en forme d’apocalypse rythmique, synthétique et symphonique, un pandémonium assez hallucinant, Sabbat improbable où Stravinsky se fracasse contre 2 Unlimited et Holst fusionne violemment avec Jeff Mills. Les thèmes s’entrechoquent et l’on a parfois l’impression que Zimmer les empile les uns sur les autres, avec les couches d’ostinati de cordes et les percussions incessantes. Mais le résultat est plus sauvage que pompier, plus radical que convenu et témoigne plus d’une rage créatrice que d’une paresse artistique.

 

Mélange de sonorités électroniques assumées et d’instruments acoustiques intriqués au point qu’on peine parfois à les distinguer, The Dark Knight Rises est sans doute l’album le plus abouti de la trilogie. Zimmer y explore la veine qui lui correspond le mieux : des morceaux propulsés par des percussions et des basses profondes, bases rythmiques redoublées par des ostinati instrumentaux, les mélodies étant souvent reléguées à des interventions brèves. On préférera les moments d’accalmie évoqués par des plages atmosphériques sans réel contenu mélodique à ces passages tire-larmes avec petit piano qui pleure et violons qui sanglotent. Hans Zimmer est bien plus intéressant ici que quand il se confronte au swashbuckling ou à l’écriture symphonique dans un pachydermique Pirates Of The Caribbean (Pirates des Caraïbes), ou un lassant Sherlock Holmes. Ici, au sommet du match, le compositeur démontre un sens de la relance et du break diabolique, voisinant avec le meilleur de la techno, comme lorsqu’il lâchait au milieu d’Inception un Mombasa sans fioritures. Pour Zimmer, le cinéma a peut-être cela de commun avec la rave-party : un grand moment collectif de déchainement sensoriel. Si c’est l’idée que vous vous faites du septième art et de la musique, venez à The Dark Knight Rises : Hans y mixe déguisé en chauve-souris.

 

The Dark Knight Rises 

Pierre Braillon
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