THE ROCK (1996)
THE ROCK
Compositeurs : Nick Glennie-Smith, Hans Zimmer & Harry Gregson-Williams
Durée : 133:43 | 35 pistes
Éditeur : Intrada
Quand les grands esprits se rencontrent… gare aux gerbes d’étincelles prêtes à gicler convulsivement ! C’est même un escadron de chandelles romaines crépitantes et démesurées qui embrasa les collines d’Hollywood en 1996, lorsque les terribles manitous du cinéma d’action scellèrent un pacte voué à éreinter les cinq sens du spectateur. Pour donner l’impulsion initiale, le big bang propulsif, il y eut le producteur vedette Jerry Bruckheimer, doppelgänger longiligne de Joel Silver, qui empoicrait sans relâche d’huile moteur et de gomina la formule à succès autrefois mise au point avec son ancien associé Don Simpson (qu’une overdose emporta d’ailleurs durant le tournage). Son poulain flambant neuf, un jeune loup à dents de sabre du nom de Michael Bay, piaffait à sa remorque, impatient de prouver qu’aucune inhibition, aucun scrupule artistique n’entraverait jamais sa vision toute personnelle de ce que doit être un divertissement pop-corn. À eux seuls, ces deux-là auraient formé un dynamic duo au degré terminal de la déliquescence, plus que ce qui était nécessaire pour faire sauter tels de vulgaires bouchons de champagne les strapontins des salles obscures. Un homme, cependant, manquait encore à ce stade. Un brisaque dûment assermenté lui aussi, terrible lessiveur de tympans, dont les capacités de destruction, en fusionnant avec la vulgarité achevée des nouveaux tycoons du cinématographe, provoquèrent des séismes en série. Trois décennies plus loin, ces rots telluriques n’ont toujours pas fini d’ébranler les enceintes au supplice.
Le lecteur averti aura bien sûr reconnu à travers cet apocalyptique portrait Hans Zimmer en personne. Les années 2000, point de départ généralement reconnu de sa main-mise quasi-absolue sur le son hollywoodien, étaient certes encore à venir, mais le compositeur n’avait pas attendu que Gladiator casse la baraque pour bâtir son nid — son quartier général, disons plutôt. Un bunker trapu baptisé Media Ventures, depuis lequel il ouvrit des brèches béantes dans ce qui demeurait alors le pré carré des Jerry Goldsmith, Michael Kamen, Alan Silvestri et autres vénérables. The Rock, pour filer davantage la métaphore guerrière, fut à peu de choses près son Alésia, son Midway, son Austerlitz. Au bout de l’effort, moite et collant, le monopole des blockbusters farcis de pyrotechnie l’attendait. Sans doute cette récompense, qui a valeur d’or, revenait-elle de droit à Zimmer, lui qui ne ménagea pas sa monture (en l’occurrence, ses baudets âpres à la besogne, Nick Glennie-Smith et Harry Gregson-Williams) afin de pousser le style maison dans ses retranchements absolus. En résumé, on attrape à bras-le-corps le séminal Crimson Tide (USS Alabama), on le passemente d’une nouvelle épaisseur de ces verroteries aux couleurs hurlantes qui l’emmaillotaient déjà, et, ainsi harnaché, plus éructant que jamais, on le jette sans forme aucune de procès dans les profondeurs galeuses d’Alcatraz, au beau milieu des ripailles déchaînées par Michael Bay. Moins souper de maître queux aux mille et un raffinements qu’holocauste culinaire où les marmitons en panique se marchent sur les pieds, la recette fit malgré tout date. Après The Rock, le déluge. D’assourdissantes décalcomanies de cuivres, de décibels forant les tympans avec le concours zélé d’un Dolby apoplectique, comme si la musique de film des âges modernes était devenue le théâtre d’une lutte à mort entre un feu roulant d’effets sonores toujours plus pointilleux et des escadrons de croque-notes, chaque camp mû par la résolution jusqu’au-boutiste de rabattre le caquet de l’autre.
Première des inévitables victimes collatérales, le pupitre des bois rapetisse à trois fois rien à l’échelle du conflit. Son trait saillant se résume à une flûte, petite émissaire vaillante des jours heureux, qui ne fait que passer en tapinois sous le pilonnage continu des énormes pièces d’artillerie « zimmeriennes ». Intronisé à l’unanimité chef de meute, un thème outrageusement pompier résonne comme le chant d’amour de Bay à l’endroit de la bannière étoilée et de ses héros en treillis. La suite de la carrière péristaltique de l’ex-clippeur prouva amplement que ces trémolos solennels n’avaient rien d’une simple foucade, et c’est de bonne grâce aujourd’hui qu’on attribue au moins à The Rock, film et musique confondus, le mérite d’une forme graisseuse de sincérité. Pas moins apocryphe, une fascination en culottes courtes pour les amas de tôle concassée et les champignons atomiques transpire à grosses gouttes de chaque photogramme. Pour un peu, on croirait presque cette superproduction velue mise en chantier exclusivement pour donner du grain à moudre, ou plutôt de la brique à piler, aux nervis du futur Remote Control. Même le grouillot Don Harper, venu en coup de vent pour affubler une course-poursuite sous cocaïne d’un motif à l’héroïsme boudiné, trépide en parfaite symbiose avec le gros de la horde. Tous sur la même longueur d’ondes hoquetante, tous complices, tous frères siamois. À genoux parmi les volutes de fumigènes, renversé en une posture de Christ déchu dont un lent crescendo appesanti de gras réverbère à la diable les tourments, Nicolas Cage ne voit son périple s’achever que pour assister à l’avènement du Nouvel Ordre Musical. Crucifié d’extase ou envahi par l’épouvante ? Selon son humeur, les nodosités de sa sensibilité, selon qu’il aura mangé frugalement ou plein de calories, chacun tranchera.