Outre le fait de servir un remake très critiqué, la musique de Black Christmas a le triste honneur d’être la dernière composée par la regrettée Shirley Walker. Longtemps collaboratrice de Danny Elfman, de Hans Zimmer ou encore de Brad Fiedel aux postes d’orchestratrice, chef d’orchestre et compositrice de musique additionnelle, elle s’est spécialisée dans la science-fiction, le thriller et le film d’horreur, notamment aux côtés de John Carpenter, ce qui fait d’elle l’une des très rares musiciennes d’Hollywood à s’être aventurée avec succès sur un terrain toujours occupé exclusivement par des hommes. Hélas, l’industrie du disque ne lui a jamais rendu justice et très peu de ses travaux ont été édités en disque, ce qui limite fortement l’accès à sa musique en dehors des images. Black Christmas, troisième collaboration de Walker avec Glen Morgan après Final Destination 2 (Destination Finale 2) et Willard, vient donc s’ajouter à une longue liste d’inédits que certaines maisons de disques auront peut-être un jour l’audace d’exhumer. Espérons-le !
Habituée aux univers sombres et gothiques (on pense par exemple à Batman : The Animated Series), la dame livre à nouveau un score sulfureux aux accents d’apocalypse. Les tueurs psychopathes, elle connaît déjà puisqu’elle en a croisé dans Turbulence et dans Willard ; la Mort non plus n’a pas de secrets pour elle puisqu’elle lui a prêté une identité musicale tout au long des trois premiers Final Destination. Excellente technicienne à défaut de posséder un style vraiment personnel – en effet, elle semble toujours en train de pasticher les compositeurs avec lesquels elle travaille… à moins que ce ne soit l’inverse ? – Walker choisit l’efficacité et livre exactement la partition qu’on était en droit d’attendre, respectant à la lettre tous les codes du genre. Seul problème, mais de taille : alors qu’elle nous a souvent habitués à l’orchestre symphonique, la musicienne n’a pas pu bénéficier, pour d’évidentes raisons budgétaires, d’un véritable orchestre et se trouve contrainte de faire appel au synthétiseur. Cela dit, alors que très souvent les synthétiseurs chargés de sonner comme un orchestre au grand complet donnent lieu à un résultat ridiculement cheap, ce n’est pas le cas ici et l’on pourrait fréquemment se méprendre sur ce qu’on entend dans le film tant les sonorités électroniques sont sophistiquées et semblent provenir de vrais instruments.
Dans la première partie, la musique originale est mise au second plan : l’atmosphère se doit d’abord d’être créée par les nombreuses chansons de Noël, celles qu’on nous ressert dans chaque film sur le sujet en version plus ou moins rock. Les références classiques sont également présentes par le biais de nombreuses citations du Casse-Noisette de Tchaikovsky, dont les notes cristallines ou mélancoliques, selon le contexte, peuvent s’avérer passablement inquiétantes. Lors des premières interventions du tueur et des flashbacks sur son enfance, la musicienne a en revanche toute latitude pour exploiter son propre canevas, conventionnel mais convaincant. Cuivres sévères et menaçants évoquant le thème principal de Cape Fear (Les Nerfs à Vif) de Bernard Herrmann ou encore celui de Falling Down (Chute Libre) de James Newton Howard : attaques de cordes couinantes, longs crescendos grinçants ponctués de bois ambigus, brusques sursauts tonitruants. C’est presque trop : Walker joue la carte du second degré, à l’instar du réalisateur. Le comportement ridicule et agaçant des jeunes femmes, la « punition méritée » que constitue leur mort (comme dans tout slasher qui se respecte), l’apparente désinvolture dont fait preuve le tueur lorsqu’il « réarrange » leurs cadavres, tout cela est accompagné de clochettes sautillantes et de pizzicati moqueurs, comme si chaque instrument caractéristique de Noël et synonyme d’émerveillement était systématiquement détourné à des fins mortifères.
Lorsque l’action s’emballe et que les morts s’accumulent en seconde partie, la musique s’enflamme et la compositrice se lâche complètement : tonalité solennelle et dramatique, marche funèbre pour cors rythmée par un tonnerre de percussions vengeresses, poursuites endiablées, surenchère rugissante dans la plus pure tradition horrifique, depuis James Bernard jusqu’à Marco Beltrami. Au final, Black Christmas n’est certes pas un score original et encore moins un score inoubliable – certains le trouveront même affreusement fonctionnel – mais il témoigne d’un art consommé du suspense, de l’action et de la terreur. Pour la dernière fois avant de tirer sa révérence, Shirley Walker déchaîne les enfers et elle le fait bien, garantissant à son public un Noël des plus tourmentés. Paix à son âme !