Americans (John Barry)

L'Amérique vue par le plus britannique des compositeurs

Disques • Publié le 28/11/2009 par

AMERICANS (1976)
Compositeur : John Barry
Durée : 45:54 | 10 pistes
Éditeur : Ecoutez le Cinéma ! – Universal Music France

 

 

5 out of 5 stars

Pour un compositeur officiant l’essentiel de son temps à destination des salles obscures, s’adonner à une écriture «libre», dégagée des contraintes habituelles liées à l’image, constitue une expérience qu’on imagine volontiers salvatrice. Cette «bouffée d’oxygène», comme il l’appelle lui-même, John Barry se l’offre pour la première fois au milieu des années 70, en plein fastes d’une carrière d’ores et déjà fructueuse : le résultat tient en un magnifique LP de près de trente-cinq minutes que Polydor installe dans les bacs en 1976, ici réédité en CD pour la toute première fois en trouvant sa place en marge de la collection «Ecoutez le cinéma !», dirigée par un Stéphane Lerouge qui n’a de cesse de (re)mettre au jour les joyaux les plus inestimables.

 

Envisagé comme le recueil d’impressions «d’un Anglais sur le pays (les Etats-Unis) qui a nourri l’imaginaire de sa jeunesse», Americans se compose de différentes errances musicales entre les tours de verre d’une grande métropole américaine (Speaking Mirrors), nous conviant à arpenter les avenues de Manhattan (Downtown Walker), le New York nocturne (Social Swing), ou encore à rouler le long d’un rivage californien (Strip Drive). Oscillant entre swing enlevé, lyrisme onctueux et jazz langoureux, l’ensemble fait la part belle aux solistes invités pour l’occasion : au côté d’un orchestre de cinquante musiciens, la trompette de Tony Terran, les saxophones de Ronnie Lang et Jerome Richardson, le trombone de Dick Nash et le piano d’Artie Kane se succèdent ainsi dans de superbes mélodies et d’entêtants contre-chants typiques de leur auteur, tandis que la contrebasse de Mike Rubin et la batterie de John Guerin assure un impeccable soutien rythmique.

 

«Americans a été conçu comme une bande originale imaginaire : pour la première fois, au lieu d’être projetées sur l’écran, les images venaient du fond de moi-même.» Difficile finalement d’éviter toute allusion au Septième Art car la liberté, pour Barry, tient avant tout dans la possibilité de prendre son temps : le temps qu’il veut, le temps qu’il faut, pour élaborer chaque climax et laisser pleinement s’exprimer son sens inné de la mélodie, comme en témoigne la longue et séductrice Yesternight Suite. Au fond, le compositeur anglais n’est pas, comme d’autres peuvent éventuellement le révéler en pareille occasion, homme à montrer un double visage musical : tout juste laisse-t-il peut-être transparaître un peu plus sensiblement, au gré de chacun des morceaux présentés, quelque chose de cette mélancolie annonciatrice de préoccupations futures et qui, comme le fait remarquer Stéphane Lerouge dans ses commentaires avisés, fait de toute façon depuis toujours partie intégrante de sa personnalité.

 

Pour qui est familier des gimmicks chers au John Barry de l’époque, cet album est donc tout à fait conforme à ce qu’on est en droit d’attendre, au point même de se croire furtivement, au détour d’un pont entre deux lignes mélodiques, d’un phrasé au lyrisme délicat, devant quelque séquence feutrée de l’un des premiers James Bond qu’il a mis en musique… Par ailleurs, idéal complément, on trouvera en sus du programme original matière à prolonger le plaisir de l’écoute, quatre titres où le cymbalum est roi, soit les thèmes issus des films The Dove et Follow Me (tous deux co-composés avec l’indispensable Don Black) et surtout, dans la veine du fameux générique de The Persuaders (Amicalement Vôtre), ceux des incursions télévisuelles Orson Welles’ Great Mysteries et The Adventurer (L’Aventurier) aux mélodies irrésistibles dont on peut difficilement se passer une fois en tête.

 

«A leur façon, les dix plages du présent album fonctionnent comme un instantané de John Barry au milieu des années soixante-dix» conclut Stéphane Lerouge. Allons plus loin : Americans en particulier pourrait tout aussi bien constituer une sorte d’aboutissement et s’imposer comme un véritable bilan musical des quinze premières années de la carrière de John Barry. Nous sommes en effet en 1975 (l’album est enregistré en novembre) et dès l’année suivante, notamment pour Robin And Marian (La Rose et la Flèche), le compositeur posera les bases d’un style plus profondément élégiaque, lequel (en continuité avec le précédent, l’attrait pour le jazz demeurant ponctuellement) prendra l’ascendant au fur et à mesure des années qui suivront pour de nouvelles émotions de cinéma au succès non moins immense, celles de partitions telles que Out Of Africa ou Dances With Wolves (Danse avec les Loups). Plus de vingt ans après, de nouveaux albums personnels (The Beyondness Of Things en 1998 puis Eternal Echoes en 2001) témoigneront de cette deuxième veine, comme pour compléter un portrait musical tout juste esquissé avec Americans. Rien qu’à ce titre, ce disque est rien de moins qu’essentiel.

Florent Groult
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