Moonraker (John Barry)

Fly me to the moon

Décryptages Express • Publié le 15/08/2016 par

MOONRAKER (1979)Moonraker
Réalisateur : Lewis Gilbert
Compositeur : John Barry
Séquence décryptée : Flight Into Space (1:32:15 – 1:38:47)
Éditeur : Capitol / EMI Records

 

En admettant que le doute eût encore existé, quelque part au fin fond des aficionados réticents à écorner l’objet du culte, la sortie dans les seventies moribondes de Moonraker n’eut rien de plus pressé que de lui tordre le cou : James Bond, sous les traits débonnaires de Roger Moore, avait cessé de dicter les nouvelles modes pour mieux se soumettre, l’échine docilement courbée, au(x) parfum(s) du moment. Après la blaxploitation, le cinéma de kung-fu starisé par les feulements de Bruce Lee, et avant Indiana Jones, le fin gourmet 007 s’attaquait cette fois à Star Wars. Quittant le plancher des vaches, devenu soudain trop étroit pour ses extravagantes aventures, le voici qui s’élance aux commandes d’une navette vers les noirs abysses de l’espace, avec pour mission de contrecarrer coûte que coûte la folie destructrice du milliardaire Hugo Drax… et, tant qu’à faire, de rameuter à son bord les fans de Luke Skywalker qui dériveraient par là.

 

Assez curieusement, l’influence du hit planétaire de George Lucas, à base de coursives incrustées de néon et de pistolasers crépitants, tarde à se faire sentir — et pas seulement parce que John Barry, fidèle au poste, se refuse à singer les tourbillons d’héroïsme hyper-cuivré de son confrère John Williams. La scène du ballet aérien, majoritairement chiche en bruitages, et qui s’adonne à de majestueuses lenteurs qu’auraient fuies comme la peste tant d’autres films plus soucieux de vélocité, rappelle en effet rien moins que 2001: A Space Odyssey (2001, l’Odyssée de l’Espace). Autre date cruciale dans l’histoire de la science-fiction à l’écran, autre référence des SFX au cœur des étoiles… et autre univers musical, auquel Barry ne souscrit pas davantage. Il est vrai que le thème de Drax, qu’on dirait propulsé par le même coussin de feu sur lequel s’élève la fusée de Bond, n’a pas grand-chose d’une invitation à valser aux abords du Danube si bleu… Là-haut, dans l’encre sombre de l’infini, s’épand un poème symphonique qu’aurait aussi bien pu ciseler Gustav Holst si notre système solaire avait compté une neuvième planète.

 

Moonraker

 

Plus le méchant est réussi, affirmait Hitchcock, qui en connaissait un rayon sur le sujet, mieux le film s’en portera. On laissera à la libre appréciation de chacun le niveau d’impassible et dangereuse suavité auquel peut prétendre Michael Lonsdale. Pour sa part, John Barry, entièrement acquis à l’adage, y va de sa contribution précieuse en adoptant durant toute la séquence le point de vue démiurgique du vilain. Le vide ténébreux où glissent les vaisseaux, néant dépourvu de chaleur et de vie que les cors transpercent de leur voix de stentor, devient par une grandiloquente analogie l’esprit même d’Hugo Drax, ce misanthrope illuminé qui ne rêve que d’annihiler l’espèce humaine. De la souillure et de la corruption, a-t-il pour certitude, se lèveront les nouveaux Adam et Eve. Un idéal dément, sans conteste, mais néanmoins, chose curieuse, follement romanesque, quasi virginal dans cette utopie de pureté vers laquelle il tend tout entier. Jusqu’à présent gonflée de morgue, et marchant au pas de l’oie, la partition accoste d’impressionnistes rivages, que bercent des chœurs zéphyriens lorsque le soleil caresse de ses rayons la flottille volante. De l’autre côté des hublots, de jeunes éphèbes, baignés d’or, scellent par d’innocents baisers un amour supposé changer la face du monde.

 

En ces instants, le sentimental incurable qu’a toujours été John Barry se trouve à son affaire. Mais à titre temporaire seulement, car l’éblouissante clarté ne tarde pas à découper sur le fond noir éternel une forme mystérieuse. La station orbitale de Drax est là, infatuée de ses dimensions immenses et des cuivres la saluant en grandes pompes, ceux-là mêmes dont, plusieurs années après, résonneraient les grands espaces (non plus galactiques, mais quelle importance ?) d’Out Of Africa et Dances With Wolves (Danse avec les Loups). Tout compte fait, il y a peut-être déjà une belle louche de Star Wars dans cette image comme suspendue, devant laquelle le spectateur s’attend à demi à voir surgir une certaine Etoile Noire. James Bond lui-même, c’est pour dire, reste coi face à pareil spectacle. Et la chorale féminine, si diligente à enluminer les séraphins paisiblement assis à l’intérieur des navettes, s’ombre tout à coup d’une inquiétude mal formulée. D’abord arche de Noé rédemptrice, dont Barry magnifiait la terrible splendeur, la station revêt ses atours véritables : ceux d’un tombeau écrasé de silence.

 

Benjamin Josse
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