John Barry (1933-2011)

Disparition du père musical de James Bond

Portraits • Publié le 02/02/2011 par

John Barry nous a quittés le 30 janvier 2011 à l’âge de 77 ans, emporté par une crise cardiaque. Avec lui disparaît l’un des derniers grands noms de la musique de film, laissant derrière lui un héritage musical riche d’une multitude de partitions légendaires et s’étendant sur près d’un demi-siècle. Initialement issu de l’univers du jazz, une influence que l’on retrouve dans la majorité de ses compositions pour le cinéma anglais des années 60, Barry s’appuie également sur ces mêmes bases pour définir une fois pour toutes la voix musicale de James Bond avec une musique à la fois cuivrée et sensuelle qui sied à merveille aux aventures de l’espion britannique. Il continuera cependant à faire évoluer son approche de la composition pour l’image jusqu’à la fin des années 70, affinant un style devenu immédiatement identifiable. Sa musique est luxuriante, toute en rondeurs et en mélodies langoureuses, faisant la part belle aux cordes soyeuses et aux cuivres dans leur registre le plus chatoyant, et sa simplicité apparente explique certainement pourquoi ses thèmes ont touché droit au cœur de plusieurs générations de spectateurs. En effet, rares sont les compositeurs de cinéma à avoir atteint une notoriété semblable à celle de Barry. Mais il ne faut pas oublier qu’au-delà de son talent de mélodiste hors-pair, la grande force du compositeur est aussi et surtout d’apporter aux films qui lui sont confiés exactement ce dont ils ont besoin, créant une atmosphère inimitable qui restera sa marque de fabrique, gravée à jamais au cœur des 110 films dont il a composé la musique.

 

Né à York, en Angleterre, le 3 novembre 1933, John Barry Prendergast est le cadet de trois enfants. Sa mère est pianiste classique et son père possède plusieurs salles de cinéma. A l’âge de 14 ans, Barry est d’ores et déjà capable de tenir seul la cabine de projection. Il commence rapidement à assimiler la musique accompagnant les films qu’il voit chaque soir, à tel point qu’avant même que quitter l’école, il a décidé de devenir compositeur de musique de film. Aidé dans son objectif par des leçons de musique (piano et trompette), le jeune Barry n’a pourtant aucune idée de comment débuter dans la voie qu’il avait choisie. Alors qu’il effectue trois ans de service militaire à Chypre en tant que trompettiste, il en profite pour étudier par correspondance les arrangements pour jazz, ce qui lui donnera finalement l’idée de monter son propre groupe. Ainsi naît The John Barry Seven, qui enchaîne dès 1957 tournées et apparitions à la TV avant de signer un contrat avec EMI en 1959. Si le succès n’est pas immédiatement au rendez-vous, le talent de Barry s’impose suffisamment pour convaincre l’équipe dirigeante des studios d’Abbey Road de lui donner sa chance en tant qu’arrangeur et chef d’orchestre pour d’autres artistes du catalogue EMI.

 

 

C’est en 1960 que John Barry se voit offrir son premier travail pour le cinéma avec la bande originale de Beat Girl (L’Aguicheuse). Quelques partitions plus tard, en 1962, la United Artists l’invite à participer à un petit film d’espionnage intitulé Dr. No (James Bond Contre Dr. No). Arrangeant pour le film un thème écrit par Monty Norman (les producteurs étaient peu satisfaits de la version originale), Barry est loin d’imaginer qu’il va devenir le compositeur attitré de la plus longue franchise de l’histoire du cinéma, pour laquelle il composera onze partitions. Suivent donc au fil des années soixante From Russia With Love (Bons Baisers de Russie, 1963), Goldfinger (1964), Thunderball (Opération Tonnerre, 1965), You Only Live Twice (On Ne Vit Que Deux Fois, 1967) et enfin On Her Majesty’s Secret Service (Au Service Secret de Sa Majesté, 1969) : cinq partitions qui constituent la quintessence musicale de l’univers cinématographique du héros de Ian Fleming. C’est également grâce à 007 que Barry démontre à la même époque un autre de ses talents : sa capacité à écrire des chansons-titre hautement mémorables, s’adjoignant pour l’occasion les services des paroliers Don Black, Leslie Bricusse ou encore Lionel Bart. Goldfinger, qui bénéficie de la voix sublime de Shirley Bassey, dépasse même dans les classements A Hard Day’s Night des Beatles, offrant à son auteur un disque d’or.

 

Mais les années soixante vont aussi permettre à Barry de démontrer sa versatilité en travaillant sur une impressionnante quantité de films aussi divers que Zulu (Zoulou, 1964), The Ipcress File (Ipcress : Danger Immédiat, 1965), The Knack… And How To Get It (Le Knack… et comment l’avoir, 1965), The Chase (La Poursuite Impitoyable, 1966) et Born Free (Vivre Libre, 1966), pour lequel il devient le premier britannique à obtenir à la fois l’Oscar pour la meilleure musique et celui pour la meilleure chanson. Barry termine la décennie avec The Lion In Winter (Un Lion en Hiver, 1968), pour lequel il remporte son troisième Oscar, et le très beau Midnight Cowboy (Macadam Cowboy, 1969).

 

 

Désormais confortablement installé au sommet de la liste des compositeurs les plus demandés, et ce des deux côtés de l’Atlantique, Barry aborde les années soixante-dix avec un éclectisme toujours renouvelé, du western avec Monte Walsh (1970) au film historique avec The Last Valley (La Vallée Perdue, 1971), Mary, Queen Of Scots (Marie Stuart, Reine d’Ecosse, 1971) et Robin And Marian (La Rose et la Flèche, 1976), du film de guerre avec Hanover Street (Guerre et Passion, 1979) au fantastique avec le remake de King Kong (1976) et à la science-fiction de The Black Hole (Le Trou Noir, 1979). Sans oublier bien entendu une poignée de James Bond, de l’adieu de Sean Connery à la saga avec Diamonds Are Forever (Les Diamants sont Eternels, 1971) à la consécration de son successeur, Roger Moore, dans The Man With The Golden Gun (L’Homme au Pistolet d’Or, 1974) et Moonraker (1979), retrouvant pour ce dernier Shirley Bassey. Une décennie au cours de laquelle il travaille également beaucoup pour la télévision, composant entre autres le célèbre thème de The Persuaders (Amicalement Vôtre, 1971) et même bon nombre de musiques de publicité, dont le fameux The Girl With The Sun In Her Hair.

 

A l’aube des années 80, John Barry compose Somewhere In Time (Quelque Part dans le Temps). Malgré le succès mitigé du film, l’impact de la musique est tel que la bande originale deviendra même disque de platine. Une réussite que le compositeur attribue au contexte de sa création, le thème principal ayant été écrit peu après la disparition de ses parents. Cette partition constitue également un tournant : c’est en effet à cette période qu’il achève de ciseler son style, plus que jamais reconnaissable à ses envolées de cordes lyriques au romantisme exacerbé. Jusqu’à la fin de sa carrière, il ne s’éloignera plus vraiment de cette approche très émotionnelle et, d’une certaine façon, très pure, de la composition.

 

 

Un aboutissement que l’on constate aisément à l’écoute des partions-phare de cette décennie : Raise The Titanic (La Guerre des Abîmes, 1980), Body Heat (La Fièvre au Corps, 1981), Hammett (1982), Frances (1982), High Road To China (Les Aventuriers du Bout du Monde, 1983), Peggy Sue Got Married (Peggy Sue s’est mariée, 1986) et Masquerade (1988). En 1985, il compose l’une de ses musiques les plus célèbres pour Out Of Africa de Sydney Pollack, qui lui vaudra un quatrième Oscar. Les années 80 signent également son adieu à 007 avec trois dernières partitions : Octopussy (1983), A View To A Kill (Dangereusement Vôtre, 1985) et The Living Daylights (Tuer n’est pas Jouer, 1987) dans lequel il fait également une apparition sous les traits d’un chef d’orchestre.

 

Après deux années sabbatiques imposées par de graves problèmes de santé, Barry revient en fanfare en 1990 et signe son dernier chef-d’œuvre pour Dances With Wolves (Danse avec les Loups) de Kevin Costner, qui lui donnera également son cinquième et dernier Oscar. Son rythme d’écriture diminue ensuite sensiblement au cours des années 90, ne composant qu’une dizaine de partitions entre le Chaplin (1992) de Richard Attenborough et Mercury Rising (Code Mercury, 1998), en passant par Indecent Proposal (Proposition Indécente, 1993), The Specialist (L’Expert, 1994), The Scarlet Letter (Les Amants du Nouveau Monde, 1995) et Swept From The Sea (Au Cœur de la Tourmente, 1997). Il met cependant son temps libre à profit pour enregistrer pour Sony des compilations de ses plus grands succès (Moviola et Moviola II) ainsi que deux albums de musique de concert pour Decca Records, The Beyondness Of Things et Eternal Echoes. Il achève la décennie avec la partition de Playing By Heart (La Carte du Cœur, 1998), hommage à nombre d’idoles du jazz qu’il admire parmi lesquelles Stan Kenton, Gerry Mulligan, Bud Shank et Chet Baker.

 

 

C’est en 2001 qu’il compose Enigma, qui restera son ultime partition pour le cinéma, avant d’entrer dans une semi-retraite dont il ne sortira qu’occasionnellement pour quelques concerts londoniens donnés en son honneur. Déjà très frêle, il apparait également en 2007 au Festival Musique & Cinéma d’Auxerre pour un concert au cours duquel il est fait Commandeur dans l’Ordre National des Arts et des Lettres. Enfin, en octobre 2010, Barry annule in extremis sa venue en Belgique, au Festival du Film de Gand. C’est son successeur sur la saga James Bond, David Arnold, qui y accepte en son nom un Lifetime Achievement Award récompensant l’intégralité de sa carrière au cinéma.

 

Laissons donc l’épilogue à Sir Richard Attenborough, qui a dit du compositeur de Chaplin : « Il n’est jamais satisfait de ce qu’il fait. Chaque jour, il se réveille en se disant que dans son esprit va naître une combinaison magique de notes qui va au bout du compte nous ravir, dans une salle de concert ou au cinéma. C’est parce qu’il pense qu’il reste toujours un sommet à gravir que c’est un grand compositeur. »

 

Olivier Desbrosses
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