Entretien avec Michael Kamen

Mr. Kamen's Opus

A propos de From The Earth To The Moon (De la Terre A La Lune), vous avez affirmé avoir développé le thème musical entièrement au piano. Ne pensez-vous pas qu’en composant toujours au piano, c’est courir le risque de se répéter ?

La règle que je respecte vient de l’un de mes grands amis qui a été pour moi un grand professeur, un mentor. C’était Manos Hadjidakis (3), un homme formidable. Un jour il a regardé l’une de mes toutes premières partitions, destinée à un ballet, et m’a dit : «Oh, tu as écrit cela au piano !» Je me demandais comment il pouvait le savoir et il m’a répondu : «Ne compose jamais au piano. Parce que sinon tu vas devenir prisonnier de ta propre technique, tu n’écriras que ce que tu peux jouer». Et moi je joue très mal ! Et, vraiment, la meilleure manière d’écrire de la musique, c’est d’essayer de l’entendre, de «penser» la musique. Et après, je peux aller au piano et me dire : «Est-ce cela que je veux entendre ?» Et si alors vous voulez changer quelque chose, vous l’écrivez, sur papier. Aujourd’hui je travaille sur papier et sur ordinateur. Je joue encore au piano mais je n’ai plus la même technique qu’avant et j’essaye de ne pas m’emprisonner.

A propos de From The Earth To The Moon, j’ai envoyé à Tom Hanks (4) une démo du thème au piano. Il m’a appelé et m’a dit : «Ecoute, je ne veux pas imposer un point de vue artistique, mais j’ai une question : tu veux vraiment cela au piano ?» Et j’ai répondu : «Non, non ! Tout sera orchestral !» et il a dit : «Dieu merci !» (rires). Il a trouvé que c’était très joli, mais il ne voulait pas cela au piano.

 

Pourquoi n’avez-vous pas composé la musique d’ouverture du film de Gregory Hoblit Frequency (Fréquence Interdite) ?

 

J’ai fait une musique pour cette séquence, mais vers la fin, ils ont décidé que cela ne leur convenait pas. J’ai dit : «Ok, prenez quelqu’un d’autre, je ne veux pas faire ce que vous voulez». Et j’ai entendu ce qu’ils ont fait, ce n’était pas si mal (5). J’ai été très amusé par la suite d’entendre certaines personnes me dire : «Oh, j’adore ce premier morceau !» (rires). J’ai aimé en tout cas la manière avec laquelle la musique fonctionne vis à vis des relations entre le père et le fils, le fils sauvant le père dans le passé…

 

Votre nouveau projet, avec Tom Hanks, s’intitule Band Of Brothers (Frères d’Armes). Quel type de musique avez-vous décidé de composer ?

J’ai choisi de raconter une histoire personnelle, ce que j’essaie toujours de faire. Cela parle de la Seconde Guerre Mondiale, une terrible guerre que je n’ai pas vécue bien sûr – je ne suis pas si vieux que cela ! – mais qui me touche énormément. Mon père avait un frère jumeau et ils étaient très proches, autant que des jumeaux peuvent l’être. Or dans l’Amérique en guerre, on ne laissait pas les jumeaux servir tous les deux. Mon père ayant des problèmes à une jambe, son frère a été envoyé dans l’armée et a été tué en Allemagne trois jours seulement avant la fin de la guerre… Je n’avais pas besoin de traduire les batailles, les bombes et cette sorte de choses. Je voulais traduire la tragédie qu’a représenté cette guerre pour l’Humanité. Pour moi, c’est un requiem…

 

Cela se rapproche donc de ce que John Williams a écrit pour Saving Private Ryan (Il Faut Sauver Le Soldat Ryan) ?

Sans doute, mais je pense que j’ai écrit d’une manière plus mélodique. Cela représente dix heures de télévision et chacune se concentrait sur un personnage différent. J’ai donc donné à chacun d’entre eux un thème et parfois un instrument bien précis, un harmonica, une guitare…

 

Et Metropolis (6) ?

C’est une rumeur. On m’a effectivement contacté pour savoir si je voulais le faire et j’ai répondu : «Oui !» Mais c’est un film allemand, produit par une compagnie allemande et j’imagine qu’ils l’ont fait avec un compositeur allemand… Mais oui, je voulais le faire.

 


(3) Compositeur grec (1925-1994), auteur de nombreuses œuvres de concert qui a également travaillé pour le cinéma, notamment sur Pote Tin Kyriaki (Jamais Le Dimanche) et Topkapi de Jules Dassin, ou encore America America d’Elia Kazan.

(4) L’acteur était alors producteur sur la série.

(5) C’est finalement à J. Peter Robinson que l’on doit la musique de cette séquence.

(6) Il s’agissait là d’une nouvelle illustration musicale pour le chef-d’œuvre réalisé par Fritz Lang en 1927.

 

Olivier Desbrosses
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