The Adventures Of Baron Munchausen (Michael Kamen)

Raccrocher la lune

Décryptages Express • Publié le 28/08/2017 par

THE ADVENTURES OF BARON MUNCHAUSEN (1989)The Adventures Of Baron Munchausen
Réalisateur : Terry Gilliam
Compositeur : Michael Kamen
Séquence décryptée : On The Moon (0:48:39 – 0:54:13)
Éditeur : Warner Bros.

 

Se frisant la moustache au-dessus d’un sourire radieux lui fendant le visage, l’œil plissé et rieur, Michael Kamen n’aurait-il pas quelque chose du Baron de Munchausen ? Tous les deux ont gardé de l’enfance un goût du jeu et des défis idiots et impossibles. Et en matière de quitte ou double cinématographique, le film consacré au Baron par Terry Gilliam en 1988 fait figure de miraculé. Lorsque qu’un Kamen enthousiaste, encore porté par la victoire artistique ayant conclu la bataille de Brazil, dans laquelle il fut un partisan de première ligne, l’équipe du film revient essorée d’une production cauchemardesque, unanimement décrite par chacun de ses membres comme une suite de catastrophes, de malchances et d’entourloupes sans fin.

 

A l’image du Baron qui, lorsqu’il aborde enfin les rivages paisibles de la lune, a survécu de justesse au crash de son aérostat taillé en pièces par la foudre et l’orage, une tempête contre laquelle il s’est jeté, acculé, vers la seule échappatoire des cieux pour fuir les canons des armées turques assiégeant la ville. Là, évanoui au bastingage d’un vestige de proue sortant lentement des flots lunaires pour s’enfoncer mollement dans le sable du rivage comme on quitte à reculons la douce somnolence d’un réveil sans contraintes, le Baron goûte à un répit si réparateur qu’il a un goût d’éternité et la fraîcheur d’un élixir de jouvence… Un moment d’autant plus suspendu que c’est la première accalmie d’un film qui nous a saisi à la gorge depuis le premier plan pour ne plus desserrer sa prise, la frénésie des affabulations du Baron grimpant de concert avec l’angoisse toujours croissante des habitants assiégés, pressurés par la mitraille et les bombes. Michael Kamen, commentant comme toujours le récit de l’intérieur, traduit la saveur inédite de ce moment engourdi en la nimbant d’une musique aux tonalités étrangères à celle qui ont précédé.

 

The Adventures Of Baron Munchausen

 

Les clochettes qui piquettent l’oreille, d’abord, jolie image musicale mimant les étoiles clignotant sur les flots ridés. Puis ce chœur éthéré, ouvrant délicatement le répertoire des images les plus oniriques et poétiques associées à la lune. Le glas de cette brève rêverie est sonné par la cloche saluant l’apparition d’une sphère armillaire démesurée, accompagnée d’un bref cliquetis évoquant aussi bien la mécanique d’une boîte à musique que le tic-tac d’une horloge. Un contrepied musical qui annonce celui que nous réserve l’irruption toute proche du souverain sélène. En fait de contrée du rêve, la lune est le théâtre des délires tyranniques de son Roi, persuadé d’être à l’origine de l’univers, et d’en être le seul et grand ordonnateur. Un monde dans lequel tout, jusqu’aux montures les plus fantasmagoriques, comme celle, tricéphale, du souverain, cachent en fait les rouages et les engrenages des mécaniques les plus rationnelles.

 

D’ailleurs, sitôt le songe évaporé, les horizons déserts couverts de sable se ferment, le monde semble rapetisser, comme mu par la volonté mesquine de tout circonscrire de son roi. Les panneaux coulissants d’une ville factice se meuvent au rythme d’une parodie de fanfare, sans résonance, aux sonorités nasales, comme crachotée par une boîte à musique déglinguée et désynchronisée. Les sujets du triste Re de la Luna, visibles nulle part, n’ont d’autre existence que leurs acclamations ponctuant la musique. Kamen fait ricaner son petit orchestre et affiche haut et fort son antipathie pour ce roi fantoche aux tyrannies risibles. Une occasion immédiatement saisie de réaffirmer, d’une toute autre manière que dans Brazil, l’aversion pour les systèmes quels qu’ils soient que Kamen partage avec Gilliam, et dans laquelle le Baron est tout autant trempé que Sam Lowry. Ce qui n’empêche pas la lucidité. Si peu fondées qu’elles soient, certaines volontés de puissance, pour peu qu’elles trouvent une chambre d’écho, peuvent laisser sur la réalité une empreinte aussi forte que le talon d’un colosse. C’est justement le vide du royaume lunaire qui fait résonner la voix de son dictateur, et avant d’avoir pu convaincre quelqu’un d’autre de sa petitesse, Sally et le Baron doivent bien se résoudre à admettre que le tyran est un géant. Et qu’ils ne sont, pour l’heure, rien de plus que des objets de son désir totalitaire. Un rappel aussi brutal que la fin des rêves chevaleresques du timoré employé du Ministère de l’Information de Brazil, ici sonné par les mêmes cloches que celles qui résonnaient à l’unisson de la sphère armillaire. Le roi de la lune et ses instruments parlent de la même voix mécanique et pathétique, sinon détestable, de ceux qui veulent que le monde soit l’expression de leur loi. Le Baron Munchausen, comme toujours, s’échappera car il a la sympathie de deux rêveurs puissants, Terry Gilliam et Michael Kamen, fermement attachés au rejet de tout esprit de chapelle, fut-elle bâtie sur la lune.

 

Pierre Braillon
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