Vampire, vous avez dit vampire ? #3

De vampire en pire (1970-1980)

Disques • Publié le 18/05/2017 par

Crucifix, pieu, lumière du jour, feu, eau vive (ou bénite), ail : les moyens d’éloigner ou de détruire un vampire sont légion, suffisamment pour éclipser ses propres pouvoirs. Les faiblesses de cette créature mythifiée par l’écrivain Bram Stoker font d’ailleurs tout le sel des films de vampire. On se demande souvent à quelle sauce va être dégustée la « mort » du prince de la nuit. Et puisqu’un bon vampire est un vampire mort, autant que son trépas soit spectaculaire. Et quoi de plus spectaculaire que de mourir en livrant un combat dantesque face à son ennemi de toujours ? Les meilleurs films de vampire ont d’ailleurs une Némésis (souvent incarnée par le Professeur Van Helsing) à la hauteur du monstre buveur de sang.

 

Ce dernier a tellement travaillé l’esprit des cinéastes que le nombre de films de vampires dépasse aujourd’hui les 300 et fait de la créature de la nuit l’un des mythes les plus traités au cinéma ! On comprendra aisément qu’il faille nécessairement séparer le bon grain de l’ivraie pour tenter de faire un état des lieux car, bien évidemment, ces films ne sont pas tous dignes d’intérêt. Et si, pour être réussi, le style et la photographie (à même de gérer, entre autres, les flux d’hémoglobine) de ce genre de film sont prépondérants, la musique est souvent un élément moteur. Qu’elle soit symphonique ou synthétique, tonale ou atonale, la musique du film de vampire est, comme la créature maléfique, à la fois, séductrice et terrifiante…

 

Vampire Logo 1

#0 – Vampire Logo 2

#1 – L’éveil du vampire (1910-1950)
#2 – La révolution Hammer (1950-1970)
#3 – De vampire en pire (1970-1980)
#4 – Le vampire est derrière nous (1980-2000)
#5 – Le (vam)pire est à craindre (2000-2017)
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Le début des années 1970 marque un certain déclin dans la qualité des scénarios. Le mythe vampirique a du mal à se renouveler et cède parfois la place à une certaine routine, voire une paresse de mise en scène. En témoignent les nombreux films du cinéaste français Jean Rollin qui, du Frisson des Vampires (musique du groupe psychédélique Acanthus) à Fascination (musique presqu’entièrement jouée au piano, avec l’appui de quelques nappes synthétiques, de Philippe d’Aram, éditée par Finders Keepers) en passant par Lèvres de Sang ou La Vampire Nue, continue de mêler érotisme glacé et hémoglobine (pas toujours très) fraiche. Pour autant, c’est avec une coproduction italo-hispano-germanique réalisée par Jesús Franco, Il Conte Dracula (Les Nuits de Dracula) que Christopher Lee trouve là l’un de ses meilleurs rôles. Bruno Nicolai y emploie des cordes en ostinato « à la Morricone » et affiche une couleur originale, légèrement slave, avec l’utilisation d’un cymbalum (l’album est disponible en CD chez Edipan).

 

Malgré une fréquentation en baisse dans les salles obscures, la Hammer n’abdique pas et décide d’afficher plus d’érotisme et de gore. Elle met d’ailleurs sur pied dans les années 70 plusieurs long-métrages d’intérêt inégal, à commencer par Scars Of Dracula (Les Cicatrices de Dracula) réalisé en 1970 par Roy Ward Baker, dont la musique, signée James Bernard (éditée en CD chez GDI Records), conserve son attrait gothique, séducteur et inquiétant. Le film, beaucoup plus violent que The Horror Of Dracula, permet tout de même au compositeur britannique d’écrire un Love Theme absolument superbe qui, malheureusement, a peu d’espace pour se développer entièrement, sauf peut-être dans Search For Paul. Les motifs d’action et de suspens (parfois d’une redoutable efficacité comme Villagers’s Revenge et sa variation au sein de Burning Castle Dracula) constituent la part la plus importante de la partition. Des moments de furie orchestrale parsèment le disque pour la plus grande joie de l’auditeur. James Bernard ne se départit pas de sa propension à abuser des vibrato et tremolo aux cordes graves (violoncelles et contrebasses), ce qui a souvent pour conséquence de mettre en valeur les motifs aux bois ou aux cuivres. Il faut ici noter, chose rare dans les films Hammer de l’époque (et de celle qui précéda également), que le compositeur a eu deux opportunités de pouvoir écrire pour ce film des pièces plus longues, dont notamment Paul’s Nightmare Begins (inquiétant avec ses merveilleux arpèges de harpe et le Love Theme transposé en mode mineur aux bois) et The Embodiment Of All That Is Evil, qui dépassent tous deux les six minutes.

 

Ingrid Pitt et Madeline Smith dans The Vampire Lovers

 

Même année, même réalisateur, la Hammer produit The Vampire Lovers dont la musique (éditée chez BSX Records), orchestrale et parfois grandiloquente, est composée par Harry Robinson (autre compositeur emblématique de la Hammer) et dirigée par le chef d’orchestre reconnu du studio, Philip Martell. Le film, porté par la superbe Ingrid Pitt et le non moins vaillant Peter Cushing, raconte l’histoire des Karnstein, famille slave maudite dont la comtesse Mircalla est le porte-drapeau. Par ce film, la Hammer commence un cycle de trois longs métrages sur cette comtesse vampire. Robinson sera à nouveau à la musique l’année suivante pour Lust For A Vampire (Jeunes Vierges pour un Vampire) avec une partition absolument superbe, luxuriante et crépusculaire. Le cycle sur la comtesse Mircalla Karnstein se conclut avec Twins Of Evil (Les Sévices de Dracula) dont la version française est plus que malheureuse puisque l’illustre comte Dracula n’y fait aucune apparition et n’est même pas mentionné dans le scénario ! Le film met en avant la plastique des jumelles Mary et Madelaine Collinson (qui avaient posé toutes deux pour Playboy quelques mois auparavant, attirant ainsi l’œil… avisé des producteurs de la Hammer). Peter Cushing y promène une fois de plus sa figure osseuse et joue un pourfendeur de sorcières et autres vampires, animé par une foi religieuse à la limite de l’intégrisme et même du sadisme. Signe des temps, la bigoterie, voire la religion d’une façon plus générale, est de plus en plus fustigée dans les productions de la Hammer. La musique (éditée chez GDI Records) est également de la main de Robinson, qui a donc l’occasion de boucler lui même la boucle, et présente un thème puissant et cuivré pour le générique introductif. Le reste du score, tout autant superbe, navigue entre suspens aux cordes et musique aventureuse aux cuivres et percussions.

 

Les capitaux américains se sont invités au cours des ans dans la firme Hammer qui produit alors des films (pas seulement de vampires) à tour de bras, en négligeant parfois un peu la direction artistique. Néanmoins, certains films sortent encore du lot. On peut citer ici Dracula A.D. 1972 (traduit en France bizarrement en Dracula 73) dont la musique (éditée chez BSX Records), aux accents plus pop que celle de James Bernard, est signée Michael Vickers. Christopher Lee et Peter Cushing y croisent à nouveau le fer, mais cette fois au XXème siècle. On pourra noter une apparition enchanteresse pour les yeux de la sublimement vulgaire Caroline Munro qui reviendra dans Captain Kronos, Vampire Hunter (Capitaine Kronos, Tueur de Vampires) sous la direction de Brian Clemens, le producteur de The Avengers (Chapeau Melon et Bottes de Cuir) avec Laurie Johnson à la musique (également éditée chez BSX Records et auparavant chez Varèse pour deux morceaux dans une compilation consacrée au compositeur).

 

Horst Janson dans Captain Kronos, Vampire Hunter

 

Christopher Lee fait en 1973 sa dernière apparition en comte Dracula pour la Hammer avec The Satanic Rites Of Dracula (Dracula Vit Toujours à Londres) d’Alan Gibson. La musique (aussi éditée par BSX Records) est écrite par John Cacavas qui officia sur un grand nombre de séries télé (Kojak, The Equalizer…). Son Main Title, au ton vif et coloré avec sa ligne de basse électrique, ses cuivres et sa batterie, ne transparait hélas que peu dans le reste de la partition, somme toute assez classique. Pendant ce temps, la Hammer continue d’empiler les projets et on peut notamment mentionner ici Countess Dracula (La Comtesse Dracula) avec une musique de Harry Robinson dont il n’a été édité à ce jour qu’un court morceau sur une compilation des films de la Hammer. Ne passons pas sous silence l’excellent Vampire Circus (Le Cirque des Vampires), avec la pulpeuse Ingrid Pitt, dont l’ouverture de plus de neuf minutes, grandiloquente à souhait, composée par David Whitaker, a été éditée par Silva Screen Records sur son excellente compilation éponyme. La partition de Whitaker exploite avec maestria tout l’orchestre symphonique, faisant résonner les cymbales et les cuivres avec un sens de la dramaturgie totalement assumé.

 

L’année 1974 voit apparaitre sur les écrans la dernière production Hammer à scénariser la présence de Dracula (mais sans Christopher Lee) : The Legend Of The Seven Golden Vampires (La Légende des Sept Vampires d’Or), tentative de cross-over improbable entre le film de vampire et le film de kung-fu ! La musique (toujours chez BSX Records) retourne dans le giron de James Bernard, qui n’oublie pas de faire retentir son célèbre motif de trois notes pour Dracula, tout en esquissant une orchestration influencée par le grand Orient.

 

Charlton Heston dans The Omega Man

 

Mais dans ces années 70, c’est des Etats-Unis que provient la relecture la plus intéressante du mythe vampirique avec The Omega Man (Le Survivant), autre adaptation de la nouvelle I Am Legend de Richard Matheson, avec un Charlton Heston impérial en figure christique. Si les vampires présentés craignent la lumière (du jour ou artificielle), ils ne sont pas pour autant des buveurs de sang. La fantastique musique du film, qui compte pour beaucoup dans l’atmosphère de solitude désabusée vécue par le personnage central, est signée Ron Grainer (le thème de The Prisoner, c’est lui). Le compositeur d’origine australienne y déploie plusieurs thèmes qui ont d’immenses qualités dont celle, et pas des moindres, d’être immédiatement mémorisables grâce à un sens mélodique unique. L’édition, sous-titrée « 2.0 Unlimited », produite par le label Film Score Monthly, est à privilégier, la qualité sonore y étant tout à fait remarquable. Si le score (et le film) commencent par le fameux titre A Summer Place de Max Steiner, dans une version jazzifiée pour batterie, piano, vibraphone et saxophone, l’auditeur est ensuite immédiatement happé par le thème central, mélancolique et tragique, de Grainer, avec une ligne de basse électrique simple qui soutient les cordes et les bois avec une fluidité carrément imparable. Grainer le reprend admirablement dans Another Night, le développe, en quelque sorte, par une phrase B qui fait son apparition dans Where Have All The People Gone ? et dans l’absolument merveilleux On The Tumbril où l’orchestre tout entier associé à la basse électrique, l’orgue et la batterie entrent en parfaite symbiose. Un motif d’action, lui aussi d’une efficacité redoutable, souligne les exploits de notre dernier homme sur terre, comme dans Surprise Party, le nerveux Needling Neville avec sa basse électrique et son orgue imposant ou encore dans l’intrépide The Getaway. Un piano aux accents goldsmithiens se fait entendre dans Zachary Makes His Move (il s’agit sans doute d’un des meilleurs morceaux de l’album) pour laisser la place à une reprise aux altos et violoncelles du thème central qui fera jubiler l’amateur de musique le plus blasé. Un must have pour tout collectionneur qui se respecte ! Grainer est hélas un compositeur qui aurait mérité une carrière bien plus imposante, vu son énorme talent…

 

Frank Langella dans Dracula

 

Le cinéma de blaxploitation n’est pas en reste non plus et accouche en 1972 de Blacula (Blacula, le Vampire Noir) dont la musique de Gene Page (éditée chez BMG), entre funk et rythm and blues, surfe également sur les effets de mode. Néanmoins, la partition créée est plus qu’agréable à l’oreille et utilise parfaitement un orchestre quelque peu réduit (budget oblige) se composant principalement d’une basse électrique, de plusieurs guitares électriques (dont une pédale wah-wah), d’une batterie et d’un piano. Mais c’est en 1979 que nait une véritable pépite avec un nouveau Dracula mis en musique par un John Williams encore tout auréolé du succès de Star Wars. La musique (éditée chez MCA Records), à l’image du comte incarné par Frank Langella et du Professeur Van Helsing campé par un Lawrence Olivier un peu vieillissant, est d’une grande sensualité, quasi hypnotique et fiévreuse, avec un thème extrêmement malléable de dix notes. Ce thème central, d’abord exposé aux cordes dans Opening And Storm Sequence, dégage une puissance peu commune. To Scarborough donne l’occasion à Williams d’écrire un des scherzo dans il a le secret, vif, avec un petit motif d’action extrêmement simple qui se complexifie peu à peu par l’entremise d’une orchestration fouillée. Pour tout dire, la partition de Williams brille de mille feux et impose son ampleur orchestrale aux images cendrées de John Badham.

 

La même année, en Australie, est produit Thirst (Soif de Sang), mis en musique par Brian May (et réédité par Dragon’s Domain Records) qui constitue un habile mélange d’orchestre façon Stravinski et de chœurs latinistes et maléfiques. Mais en France, on préfère railler le mythe que lui tirer la révérence. Débarquent alors deux comédies à l’humour as toujours très léger. C’est d’abord à Edouard Molinaro qu’on demande de mettre en scène, en 1976, Dracula Père et Fils. Titre, une fois de plus, mensonger puisque Christopher Lee y incarne bien un comte mais sous un autre nom que celui de Dracula. Il pratique l’autodérision aux côtés de son « fils » interprété par un Bernard Menez (!!) tout dégingandé. La musique (disponible dans le second coffret consacré au maestro roumain, sorti chez Larghetto), composée par notre Vladimir Cosma « national » (même s’il est roumain, il est un peu français aussi dans nos cœurs), enchaine les clichés avec malice. Trois années plus tard, c’est au tour de la bande de comique troupier Les Charlots de se mettre en travers de la route de Dracula avec Les Charlots Contre Dracula. Comme ils en ont souvent l’habitude, les Charlots écrivent la musique eux-mêmes, sans prétention aucune.

 

Enfin, c’est en Allemagne qu’il faut chercher une œuvre de qualité en cette fin de décennie où le vampire est plutôt tourné en dérision, avec le remake du film de Murnau intitulé Nosferatu, Phantom Der Nacht (Nosferatu, Fantôme de la Nuit) et réalisé en 1979 par Werner Herzog. Ce dernier fait appel au groupe Popol Vuh pour la musique de son film, même s’il emprunte également quelques morceaux à des compositeurs classiques comme Wagner ou Gounod pour donner un peu de force narrative à son récit. Les années 1970, chaotiques pour le mythe vampirique, vont alors déboucher sur une nouvelle génération de films proposant une lecture plus contemporaine de l’œuvre désormais légendaire.

 

Klaus Kinski et Isabelle Adjani dans Nosferatu

Christophe Maniez
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